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"Carnets de massacre" par Shintaro Kago

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Il est rare de voir publier, en France, un manga dans la mouvance Eroguro. " Carnet de massacre " peut pourtant être considéré comme le digne représentant de ce mouvement atypique qui s’est principalement développé au Japon, mais que ne renierait certainement pas le marquis de Sade, Georges Bataille ou même Romain Slocombe pour rester dans les références françaises.

Très prisé au Japon, le genre Eroguro (1) reste peu représenté dans le reste du monde. Certaines œuvres basées sur ce courant sont néanmoins arrivées en France par le biais d’auteurs comme Suehiro Maruo (2) ou Junji Ito (3). " Carnets de massacre " se distingue néanmoins de ces deux auteurs en présentant un univers moins cauchemardesque et critiquant ouvertement la société de consommation contemporaine.
Découpé en chapitres indépendants les uns des autres, on retrouve pourtant un fil conducteur et des protagonistes identiques d’histoire en histoire. Situé dans un japon moyenâgeux, ce manga s’ouvre avec les démonstrations sordides d’un couple japonais au bord de la rupture. Afin de faire un meilleur mariage, Lemon doit se débarrasser de sa femme Iwa. Pour cela, il s’est procuré un poison venu d’Europe. Malheureusement pour lui, et surtout pour sa femme, elle n’en mourra pas. Bien au contraire elle développera une sorte de tumeur purulente qui va la défigurer complètement. Excité par cette vision cauchemardesque, Lemon exhibera sa nouvelle beauté dans un club où la difformité et les autres défauts corporels sont mis en avant.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Dans la deuxième histoire, on découvre Suzune, une prostituée aux talents prisés par les clients. Le seul reproche qui lui est fait est de ne pas exprimer son désir par des mots durant l’accouplement. Pour cause, elle a la faculté de déplacer sa langue de sa bouche vers ses autres orifices. Malheureusement, un beau jour, sa langue passe dans le corps d’un client, effrayé, et il disparut avec. À la suite de péripéties burlesques, elle réussit à refaire pousser une nouvelle langue qui, cette fois-ci, s’enroule à l’intérieur de sa boite crânienne. Du coup, elle finit, non plus comme prostituée, mais comme dérouleur de " langue de toilette " afin d’essuyer, entre autres, les fesses du shogun soufrant d’hémorroïdes.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
La nouvelle suivante continuera dans l’exploitation de la femme-objet en recréant ce qu’aujourd’hui le fabricant Bandai appel les Gashapon. Des capsules ovoïdes placées dans des distributeurs automatiques destinés aux collectionneurs de figurine, strap pour portable ou tout autre objet de petite taille. Ce mode de distribution est très en vogue au Japon, depuis une trentaine d’années. On retrouve ici le principe des distributeurs, mais sous forme de femme se remplissant le ventre de ces petites boules surprises et offrant leur anatomie intime en les expulsant une par une par leur vagin. Les clients redoubleront d’effort et dépenseront sans compter pour compléter leur collection naissante. La concurrence se mettra en place avec de meilleurs produits et les pondeuses ne se révéleront pas toutes très efficaces ou en bonne santé. Une vrai critique sordide de ce mode de consommation actuel, basé sur le désir, l’aléatoire et la cupidité du genre humain. Sûrement l’histoire la plus intéressante et la plus amusante de ce recueil.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Le reste est dans la même veine. Libraire jaloux se faisant greffer des mains à chaque membre afin d’être plus productif en écriture.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Attaque de pièces de tissu vivantes bouchant les orifices humains.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Virus faisant apparaître une multitude trous sur les objets et les hommes.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Pantin de bois meurtrier. Et pour finir quatre mini récits servant de conclusion souvent macabre à toutes ces histoires surréalistes.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Le trait de Shintaro Kago convient parfaitement à ce type d’histoire. Réaliste et nerveux, il offre un travail à la plume extrêmement soigné et détaillé. Les décors sont omniprésents et les personnages clairement identifiables. Une belle réussite qui, malheureusement, n’est pas mise en valeur par la couverture bariolée. Celle-ci n’étant pas bien représentative du contenu à la fois sombre et grotesque, ce qui est dommage. Ce manga étant vendu sous film plastique vu les images choquantes pouvant être présentées à un lectorat non averti, cela n’incite pas à découvrir cet auteur. Surtout que le prix du livre (18 &euroWinking empêche tout achat impulsif. Espérons juste que certains lecteurs ne s’arrêteront pas là et retourneront le livre dont le dos est beaucoup plus représentatif de l’univers, sordide, décalé et dérangeant de ces " Carnets de massacre ".

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Gwenaël JACQUET
" Carnets de massacre, 13 contes cruels du Grand Edô " par Shintaro Kago Éditions IMHO 18 €
(1) Eroguro : Érotique grotesque.
(2) Les œuvres de Suehiro Maruo publié en France sont les suivantes : " Jeune Fille aux camélias " édité chez Imho en 2005, " Yume no Q-Saku " édité chez Le Lézard noir en 2005, " Lunatic Lover’s " édité chez Le Lézard noir en 2006, " Vampyre I " et " Vampyre II " édités chez Le Lézard noir en 2006, " L’île panorama " édité chez Casterman en 2010, " La Chenille " édité chez Le Lézard noir en 2010, et divers autres éparpillées dans des revues.
(3) Les œuvres de Junji Ito publié en France sont les suivantes : " La Femme limace " édité chez Tonkam en 2009, " Les Fruits sanglants " édité chez Tonkam en 2010, " Gyo " édité chez Tonkam en 2006, " Hallucinations " édité chez Tonkam en 2010, " Le Journal de Soïchi " édité chez Tonkam en 2009, " Le Journal maudit de Soïchi " édité chez Tonkam en 2009, " La Maison de poupées " édité chez Tonkam en 2010, " Le Mystère de la chair " édité chez Tonkam en 2009, " Remina " édité chez Tonkam en 2008, " Spirale " édité chez Tonkam en 2002, " Tomie " édité chez Tonkam en 2004, " Le Voleur de visages " édité chez Tonkam en 2008.

L'article "Carnets de massacre" par Shintaro Kago est paru initialement chez BD Zoom