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« Mon Étoile secrète » par Wang Qiaolin et Wang He

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Urban China continue son travail d’édition de manhuas avec ce titre, plutôt fleur bleue, assez déroutant. En tout cas, une chose est sûre, cette maison d’édition n’a pas choisi la facilité en ne sélectionnant que des auteurs singeant les productions japonaises. « Mon Étoile secrète » est un roman graphique léger, destiné à une jeunesse qui devrait facilement s’identifier à ces protagonistes qui leur ressemblent tellement, malgré leur origine chinoise.
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À 16 ans, Xiaoxi quitte sa petite ville natale pour intégrer une école en métropole. Elle, qui ne se déplaçait qu’à pied, doit maintenant prendre le bus. Elle est également confrontée au regard de ses camardes de classe. Des enfants venus de tout horizon. Du coup, elle se permet de juger la superficialité de certains ou l’arrogance d’autres, alors qu’on sent qu’elle même souffre d’un complexe d’infériorité. Au départ, elle refuse de se laisser aller, elle se compare toujours aux autres et, surtout, à ceux qui sont meilleurs qu’elle. Pourtant, un jeune homme, très ouvert d’esprit et convivial, va essayer de se rapprocher d’elle. Sur la défensive, elle va accumuler les faux pas. Au final, avec une autre amie, il va lui proposer de s’inscrire à l’atelier de théâtre où elle va se révéler très talentueuse.
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« Mon Étoile secrète » est un récit intimiste sur la vie et les émois adolescents. Entièrement peint à l’aquarelle, ce manhua se distingue du reste des productions asiatiques, souvent réalisées en noir et blanc. Les couleurs sont vives et les traits de contour au marqueur ocre sont légers. Le dessin est délicatement travaillé et il aurait été bien qu’il en soit de même concernant le scénario qui, malheureusement, même s’il est bien construit, ne sort pas du lot. C’est une romance adolescente, comme il en existe des centaines en Asie. De plus, on sent bien que c’est une collaboration avec une femme de lettres et une illustratrice. La première, vraisemblablement plus à l’aise avec les mots, alourdit d’explications et de narrations superflues les dessins. Le choix français au niveau de la typographie n’étant pas particulièrement heureux, non plus.
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« Mon Étoile secrète » reflète bien le passage de l’enfance à l’adulte. Les personnages, comme tous adolescents se posent beaucoup trop de questions et inventent des drames qui n’en sont finalement pas. Une chose est sûre, c’est que la jeunesse chinoise n’est vraiment pas si éloignée que ça de la jeunesse française. Même si Xiaoxi est l’héroïne incontestable de cette histoire, elle n’est pas exempte de défauts. Loin des clichés, elle peut être maladroite, mais aussi sensible et gentille. En revanche, sa tendance à l’auto-apitoiement la rend vraiment humaine et, à la lecture de ce titre, on se surprend à la fois à l’aimer comme à la détester. Bref, elle est humaine et ça, c’est réconfortant.
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Ce livre est un volume unique de 150 pages tout en couleurs présenté dans un format plus grand que les mangas. Quelques pages de postface donnent le ressenti des personnes impliquées dans sa création et la dessinatrice Wang He explique sa technique pour créer ses pages en couleurs directes dans un cahier technique. Très instructif.
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Ce manhua ne sort pas complètement des clichés de la romance pour jeune fille en fleur en adoptant une histoire classique. Néanmoins, la belle mise en image des planches aquarellées véhicule parfaitement les sentiments des différents protagonistes de cette courte aventure. Une curiosité fraîche qui donne un avant-goût de l’été et nous change des productions exclusivement japonaises.
Gwenaël JACQUET
« Mon Étoile secrète » par Wang Qiaolin et Wang He
Éditions Urban China (15&euroWinking – ISBN : 9782372590051

« Sangsues » T1 par Daisuke Imai

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Les mondes parallèles restent l’apanage de la science-fiction. Pourtant, il existe des cas bien réels ou des humains trouvent le moyen de vivre dans en marge de la société, tout en étant à nos côtés. Pour la collectivité, ces gens n’existent plus, puisqu’ils sont, la plupart du temps, censés être décédés. Du coup, cela les oblige à vivre aux crochets de leurs concitoyens en se faisant le plus discret possible. C’est ce qui explique que l’on peut les qualifier de sangsues, et c’est le thème de ce manga.
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Yoko est une jeune fille ordinaire de 21 ans. Aujourd’hui, elle vit au rythme d’autres personnes. Lorsqu’elle repère un appartement vacant, elle se débrouille pour en avoir le double des clés et le squatter jusqu’au retour de son propriétaire. Ainsi, elle va naviguer de logement en logement au gré de la journée. Elle prend soin de ne rien déranger, et pourtant, n’hésite pas à se servir avec parcimonie dans le réfrigérateur de ses victimes. Jusqu’ici, tout se passait bien, avant qu’elle ne se fasse surprendre par un autre squatter. C’est là qu’elle découvre le terme de sangsue et les contraintes qui régissent cet art de vivre aux crochets des travailleurs. Alors que jusque-là elle était invisible, elle va s’engouffrer dans un nouveau monde avec ses propres codes et ses conflits.
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Les pages couleur ont été conservées dans l’édition française.
Ce premier volume d’une série de cinq met en avant la vie de Yoko, jeune néophyte dans le monde des sangsues. Ce principe classique, où le lecteur pénètre en même temps que l’héroïne dans le monde qui l’entoure, permet de créer une vraie connivence. On a réellement la sensation que tout ce qui est égrené au fil des pages fait avancer l’histoire.
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Avec cette première œuvre, Daisuke Imai se classe immédiatement parmi les grands auteurs. Sa maîtrise de la construction narrative lui permet de créer une intrigue aux rebondissements multiples et vraiment inattendus. À aucun moment, il ne cherche à compliquer inutilement son récit. Tout est limpide et très bien amené, tout en ménageant un suspense bienvenu. Évidemment, un bon scénario ne serait rien sans un bon dessin. C’est aussi le cas, puisque ce néophyte excelle dans sa représentation de la lumière avec des ombres franches. Ce n’est pas l’univers sombre de Frank Miller ou Atsushi Kaneko, mais un monde plutôt ensoleillé. Comme celui d’une belle journée d’été ou le soleil taperait bien fort, ce qui est souvent le cas au Japon.
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Pour une première BD publiée, c’est un coup de maître. Daisuke Imai a réalisé ce manga alors qu’il avait 30 ans (en 2011), et cette maturité se ressent bien évidemment dans le dessin et l’histoire, mais également dans les sujets évoqués. Il est clairement à l’écoute des problèmes de société actuels. Sa vision du monde n’est pas en noir et blanc, contrairement à son dessin. « Sangsues » n’est pourtant pas un simple pamphlet politique sur la crise du logement ou le mal-être identitaire de certains humains. Ce thriller offre plusieurs niveaux de divertissement et de réflexion, ce qui le rend encore plus attrayant.
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Si les premières pages, assez légères, posent la basse de l’intrigue, on comprend vite, avec les derniers chapitres, que les sangsues vont s’affronter dans une guerre de territoires sanglante. Ce qui semblait être la simple tranche de vie d’une jeune fille un peu paumée va monter en puissance au fil de ce premier volume, pour devenir un vrai thriller. Yoko a clairement mis les pieds dans un monde qu’elle ne soupçonnait pas.
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Les couvertures japonaises de « Sangsues » (titré « Hiru » au Japon) sont très différentes de l’édition française en bichromie. Ici, les couleurs aquarellées dominent, et l’ambiance est bien plus joyeuse et moins oppressante.
Aujourd’hui, Daisuke Imai vient de commencer deux nouvelles séries au Japon. Ou, plutôt, une même histoire d’amour racontée selon deux points de vue diamétralement opposés. Sous le titre « Koto Koto » nous découvrons simultanément la vision de Yukichi dans Young Champion, ainsi que celui de Chihiro dans Manga Action, tous deux publiés chez Akita Shoten. Une approche innovante de la narration où chaque histoire peut se lire indépendamment l’une de l’autre, mais où les recoupements offrent une troisième lecture instructive. Cet auteur n’a visiblement pas fini de nous surprendre. En attendant, n’hésitez pas à vous plonger dans le monde de « Sangsues », encore une très belle découverte du label Sakka des éditions Casterman.
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Les premières pages couleurs de « Koto Koto - Yukichi no Koto » (à propos de Yukichi) ont été publiées le 24 février 2015 dans Young Champion et celles de « Koto Koto - Chihiro no Koto » (à propos de Chihiro) dans Manga Action, le 3 mars 2015.
Gwenaël JACQUET
« Sangsues » T1 par Daisuke Imai
Éditions Casterman (7,95 &euroWinking – ISBN : 2203095369
HIRU © Daisuke Imai 2011 / SHINCHOSHA PUBLISHING CO.

« Marine Blue » T1 par Ai Yazawa

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En attendant une hypothétique reprise de la série « Nana », les éditions Delcourt publient les fonds de tiroir de l’auteure. Quand « Marine Blue » est sorti en 1990, c’était la plus longue série réalisée par Ai Yazawa avec quatre tomes. Depuis, elle a publié d’autres titres, dont « Nana » (21 volumes), « Gokinjo » (7 volumes) ou « Paradise Kiss » (5 volumes).
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Tachina Haruka a 16 ans et travaille dans le café de son oncle sur une plage réputée des surfeurs. Là, elle y fait la rencontre d’un jeune homme extrêmement doué et jalousé par son cousin, lui aussi adepte du surf. Mais le bellâtre est loin d’être un inconnu, il lui a même sauvé la vie lorsqu’elle avait dix ans. Prise d’une crampe en pleine mer, il l’avait immédiatement ramenée sur la plage. Depuis, elle était secrètement amoureuse de lui, mais rien ne s’est passé comme elle l’imaginait. Il avait notamment dû partir faire des études aux États-Unis et lui avait seulement laissé son chien, Dolphins, en cadeau d’adieu.
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Entre rivalité amoureuse et compétition de surf, la vie paisible d’Haruka va vite prendre des tournures romanesques. Une fois les bases de l’histoire posées dans le premier chapitre, les quiproquos et les rendez-vous ratés vont se succéder, afin de rapprocher tour à tour ces garçons et cette jeune fille un peu perdue, dans le tourbillon de leur jeunesse.
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Dix ans séparent « Marine Blue » de « Nana » et cela se voit. Malgré ses études de stylisme avorté, Ai Yazawa n’avait pas encore sa patte caractéristique et fashion qui l’a rendu célèbre. Le style est classique, voire même absent. Rien ne différencie cette série des divers mangas pour filles publiés dans les années quatre-vingt-dix. On est loin de retrouver l’auteur de « Nana » dans cette histoire et ces dessins. Les fans seront surpris. Mais cela n’en fait pas un mauvais manga. C’est même un retour dans ces années où le shojo manga a vu son offre exploser et se diversifier. Depuis une dizaine d’années, les codes qui définissaient les œuvres destinés à un public féminin ou masculin étaient très clairs. Les éditeurs cherchaient surtout à coller une étiquette en fonction du genre et du public visé. Petit à petit, cette frontière a éclaté et la situation est aujourd’hui plus ambiguë, même si certains genres « classiques » perdurent. Les cases explosent, les pages sont à bord perdu, les trames sont omniprésentes et surtout grattées pour donner un peu d’effet. Le trait à la plume est assez nerveux avec son épaississement artificiel et ses hachures qui remplissent l’espace. On est clairement dans le registre du shojo manga avec son lot de clichés caractéristiques.
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« Marine Blue », c’est un peu comme revisiter l’Histoire du manga. Toucher du doigt ce qui se faisait au siècle dernier, il y a maintenant 25 ans. Un quart de siècle nous sépare de ce titre et il ne faut pas l’oublier en le feuilletant. Les fans seront sensibles à cette pièce d’anthologie, les amateurs de shojo pur et dur le seront également. Les autres passeront leur chemin.
Gwenaël JACQUET
« Marine Blue » T1 par Ai Yazawa
Éditions Delcourt (6,99 &euroWinking – ISBN : 978-2-7560-6651-6
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« Dans l’intimité de Marie » T1 par Shûzô Oshimi

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Isao Komori fait partie de ces jeunes qui n’ont pas de travail et restent cloîtrés chez eux à jouer aux jeux vidéo, ce que les Japonais appellent Hikikomori (1). Il sort seulement le soir pour faire quelques courses dans le coin. Ce qui est bien évidement un prétexte pour croiser « l’ange de la supérette », une jeune fille qu’il aimerait bien aborder, mais il ne sait pas comment. Elle-même, à ses petites routines, elle se rend systématiquement dans cette boutique à 21h et achète toujours la même chose, puis rentre chez elle alors que Isao la suit. Mais un jour, il va étrangement se réveiller dans son corps.
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Complètement déboussolé, il ne saura pas comment réagir. Il va tout faire pour préserver l’intimité de cette jeune fille. Il comprend surtout qu’il n’a aucun repère concernant sa vie passée. Il ne sait même pas qui sont ses parents, son frère ou même où se trouvent les toilettes. À l’école, ses copines sentent bien que quelque chose d’inhabituel se passe. Apparemment, cette fille, Marie Yoshizaki, était une bonne élève, studieuse et entourée d’amis. Tout l’inverse d’Isao qui, aujourd’hui, parasite son organisme. Dans un moment de lucidité, le jeune homme va imaginer que s’il est prisonnier du corps de Marie, l’inverse doit également être possible. Mais le Isao qu’il trouve à la supérette ne se souvient même pas de cet ange et semble encore plus nonchalant qu’avant.
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Les échanges de corps entre homme et femme, voilà un sujet récurrent de la science-fiction ou de l’érotisme. Ici, c’est l’enquête qui en résulte qui est mise en avant. Quel est le mystère entourant la disparition de Marie ? Dans ce premier tome, l’intimité n’est pas si intime que ça puisque Isao refuse de souiller son corps, ne serait-ce qu’en la regardant dans la glace. Il a même du mal à fouiller dans ses affaires pour choisir des sous-vêtements. Il va jusqu’à s’habiller ou prend son bain avec un bandeau sur les yeux. Mais ne vous laissez pas attendrir par ce premier volume, la véritable nature des différents protagonistes va se révéler au fur et à mesure que l’histoire progresse.
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Au travers des interrogations et des différentes situations, on peut facilement deviner que c’est un homme qui est derrière ce récit. La psychologie féminine n’est clairement pas son fort, mais comme il est question d’un garçon dans un corps féminin, il est logique qu’il finisse par agir en mâle. Les premiers chapitres expliquent la situation et lèvent le voile sur d’éventuelles relations lesbiennes de l’héroïne avec l’une de ses camarades. Mais tout cela, et bien d’autres révélations, sera à découvrir dans les tomes suivants. Une chose est sûre, Isao Komori, qu’il soit dans son corps ou dans celui de Marie est vraiment pathétique. Bien évidemment, le plus important est : mais qu’arriverait-il lorsque la vraie Marie reviendra et surtout où est-elle maintenant ?
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Aujourd’hui, cette série ne compte que 5 volumes au Japon et avance doucement, mais sûrement. Les sentiments des personnages évoluent et on découvre leurs vraies natures. Inévitablement, on arrive à des états de fait contraires à la logique. Ces situations paradoxales révèlent de vraies surprises. En espérant que la conclusion soit à la hauteur.
Gwenaël JACQUET
« Dans l’intimité de Marie » T1 par Shûzô Oshimi
Éditions Akata (7.95 &euroWinking – ISBN : 2369740574
(1) Hikikomori pourrait se traduire par NEET en bon franglish (Not in Education, Employment, or Training : Ni dans l’éducation, au travail, ou stagiaire). Les deux termes étant utilisés au Japon en fonction de la gravité de la pathologie.

« Les Misérables » T1 par Takahiro Arai

« Les Misérables » T1 par Takahiro Arai
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S’attaquer à un des chefs-d’œuvre de la littérature française, tel est le pari que Takahiro Arai a relevé en adaptant « Les Misérables » de Victor Hugo. Ce passionné de littérature occidentale a su rendre la force, la tristesse et la justesse de ce récit datant pourtant d’une autre époque. De quoi faire découvrir un classique indémodable à la jeunesse actuelle, public bien évidemment visé par cette adaptation dynamique et forte.
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Jean Valjean est un paria que la société rejette à cause de ses 19 années de prison. Condamné pour avoir volé un bout de pain afin de nourrir les sept enfants de sa sœur, il alourdira inexorablement sa peine en s’évadant à de nombreuses reprises. À sa sortie, c’est un être aigri, plein de rancœur envers la société qui le lui rend bien. Un seul homme va lui ouvrir sa porte, un évêque qui a foi en l’humain. Cette rencontre va complètement changer sa vie.
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Normalement, tout le monde connaît cette histoire. Le roman de Victor Hugo fait partie du patrimoine culturel français, mainte fois adapté à la télévision ou au cinéma. Dans le cas présent, il vaut mieux oublier l’excellente performance de Lino Ventura dans l’adaptation au cinéma de 1982 par Robert Hossein. Ce manga est moderne, le graphisme est dynamique, les cases éclatées et les sentiments décuplés. Ce traitement peut déplaire aux puristes du roman original, mais intéressera les adolescents d’aujourd’hui grâce à une mise en forme reprenant les codes du manga.
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Si le dessin est excellent dans son genre, qu’en est-il du respect de la trame originale ? On ne peut pas affirmer que l’histoire de base n’est pas respectée, néanmoins, elle ne suit pas à la lettre celle de Victor Hugo. Au début du récit, le roman se focalise sur la vie de l’évêque Myriel, Jean Valjean n’apparaissant qu’autour de la centième page. Takahiro Arai a pour sa part décidé de commencer son récit par les années de galère de Valjean. Il est vrai que ce traitement, plus démonstratif, correspond mieux aux canons du manga moderne. Tout comme les passages où le lion sommeillant en Jean Valjean prend réellement corps lorsque sa fureur s’exprime pleinement. Certaines erreurs sont pourtant flagrantes. Quand, chez Hugo, il est question de couverts dérobés, ce sont ici des assiettes en argent qui nous sont montrées. Peut-être une erreur dans la traduction originale en japonais sur laquelle se base cette adaptation ?
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En France, nous connaissons surtout Takahiro Arai pour sa série en 9 volumes « Arago » parue chez Pika : un polar londonien faisant suite à son premier grand manga « Darren Shan », lui-même une autre adaptation d’un roman américain fantastique mettant en scène des vampires. Si les mangas ne nous sont pas parvenus, il nous est possible de voir l’adaptation cinématographique qui en a été tirée : « L’Assistant du vampire » (Paul Weitz, 2009). Avec « Les Misérables », le mangaka change donc totalement de registre, tout en gardant le côté noir et cynique.
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On pourrait penser qu’adapter Victor Hugo, Académicien français, en manga relève du sacrilège, voir de l’inconscience. Pourtant, le respect pour le texte original et la maîtrise de la mise en scène de Takahiro Arai impressionnent et il aurait été dommage de s’en priver. La série en est déjà à son cinquième recueil au Japon. En France, la suite arrivera juste avant l’été. Une seconde vie à destination de la jeunesse d’aujourd’hui pour ce classique. Ce premier volume ne traite qu’une infime partie du roman, mais avec une telle force, un tel luxe de détails et d’émotions que l’on ne peut qu’avoir hâte d’en lire la suite.
Gwenaël JACQUET
« Les Misérables » T1 par Takahiro Arai
Éditions Kurokawa (7,65 &euroWinking – ISBN : 978-2-36852-141-0

« Front Mission Dog Life & Dog Style » par Yasuo Otagaki et C.H. Line

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Dans l’esprit collectif, le jeu vidéo et le manga sont extrêmement liés. Pourtant, la plupart des livres qui sont issus de cette filière ne brillent ni par leur originalité ni par leur qualité scénaristique. Il y a souvent matière à développer un monde à part entière et créer, ainsi, une vraie synergie entre les deux médias. « Front Mission Dog Life & Dog Style » fait partie de ces œuvres allant plus loin. Pas besoin d’être familiarisé au fonctionnement du jeu d’origine pour plonger au cœur de l’histoire qui nous est offerte ici.
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À la fin du XXe siècle, l’île d’Huffman surgit au sein de l’océan Pacifique, suite à une éruption volcanique. Son sol regorge de minerais précieux et de bien d’autres richesses naturelles. Du coup, deux grandes puissances se disputent le territoire. Scindée en deux, cette île devenue paradisiaque a réussi à obtenir une paix qui repose, malheureusement, sur des bases peu stables.
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Une équipe de journalistes japonais est sur place en permanence pour commenter l’actualité locale. Le petit groupe réside dans la partie occupée par l’union des pays d’Asie et de l’Australie, alors que le reste de l’île est gouverné par les pays d’Amérique. L’histoire débute sur la mutation d’Akira Matsuda au sein de la rédaction locale. Il est chargé de remplacer Leona Kurihara au bout d’une semaine de transition.
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Cette semaine ne se passera pas comme prévu puisqu’en quelques jours la guerre éclate sous des prétextes fallacieux d’invasion. Le conflit ne met pas bien longtemps à s’intensifier. La violence s’installe de manière exponentielle. Les journalistes sont en première ligne. L’atmosphère devient vite étouffante et ce n’est pas seulement dû au climat tropical de l’île.
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Alors qu’elle cherche à s’enfuir par tous les moyens possibles, Leona réussit à obtenir des billets d’avion de manière peu orthodoxe. À bord d’un blindé censé l’amener à l’aéroport, en compagnie d’Akira, elle succombe d’une balle perdue en pleine tête.
Extrêmement choqué, Akira est de retour au Japon ; il entreprend alors une campagne d’information de manière détournée, afin de montrer les réelles horreurs que la guerre engendre. Il est aidé par Kenichi Inuzuka, un collègue journaliste en poste depuis des années sur Huffman.

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De corpulence peu imposante, sans grande personnalité physique ni signe distinctif particulier, ce dernier sait se faire tout petit sur un champ de bataille. Il obtient ainsi des clichés poignants, tout en évitant de se faire tuer. C’est le personnage central de ce manga. Passionné par la technologie, ses connaissances, égrenées de manière froide et méthodique, paraissent déplacées et quelque peu dérangeantes face à ces événements atroces. Ses clichés, volés au milieu des scènes de combat, révèlent le vrai visage de ce conflit armé.
Réalisés en 2007, certains passages de ce manga sont criants de vérité. Notamment quand on les compare aux récents événements, peu glorieux, relayés par des clichés se passant de commentaires, où l’humiliation du vaincu prend le pas sur le côté soi-disant civilisé de l’humain.
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Résurgence d’un style mecha tombé un peu en désuétude, ce manga renoue avec les qualités narratives et visuelles qui avaient fait le succès des films « Patlabor » de Mamoru Oshi. Ici, les mechas sont utilisées comme armes de combat, comme peuvent l’être un tank ou une jeep à notre époque. Rien de bien extraordinaire, les auteurs ne s’attardent pas dessus, ils font partie du décor. Ce qui est intéressant, c’est de voir l’impact que peut avoir la guerre sur des gens aux préoccupations peu éloignées des nôtres. Il est facile de se glisser dans la peau de la plupart des protagonistes. Le scénario est construit de manière à développer le point de vue des différents acteurs ou spectateurs sur ce conflit. Kenichi devient rapidement le point central de l’histoire, relatant les faits de manière brute. L’introduction de la situation géopolitique de l’île se fait assez rapidement et sans bla-bla inutile. Les situations sont décrites de manière claire. La lecture du récit en est facilitée et on se prend à dévorer les 200 pages d’une traite, en ne demandant qu’à avoir la suite rapidement.
Mélangeant différentes histoires, une enquête police vient pimenter le récit : le gouvernement cherchant à contrôler l’information en débusquant la source des images pouvant mettre à mal sa politique aux yeux du public. Cela ne vous rappelle rien ? Véritable reflet de la fuite de certaines informations sensibles telles qu’elles sont divulguées aujourd’hui. Notamment par le biais d’internet et des réseaux indépendants qui fleurissent de par le monde. Simple extrapolation de situation bien réelle magistralement romancée.
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Le dessin de C.H. Line aide beaucoup à apprécier ce manga à sa juste valeur. Mélange de réalisme un peu caricatural, les personnages ne sont jamais outranciers. Parfaitement identifiables, ils sont typés tout en ne tombant pas dans la caricature facile et raciste. Il est aisé de ressentir leurs sentiments sur leurs visages. Leurs expressions sont communicatives et le lecteur sent la peur de la population à chaque page. Tout comme il ressent la froideur, la placidité et la méticulosité de Keinchi.
Bien évidement, les scènes d’action sont à la hauteur de ce qui se fait de mieux dans le genre science-fiction/mécha. Les robots, mais également les missiles, les bâtiments et tous les véhicules illustrant cette histoire sont détaillés avec soin. Peu d’artifices superflus masquent l’action, tout est clair comme si nous étions aux premières loges. Les robots ont une chorégraphie dynamisée par une mise en page moderne, mais sachant rester sobre. Le ballet des combats est entrecoupé d’explosions et d’images répugnantes, contrastant entre elles. Les armes de destruction massive sont bien présentes et les deux puissances sont décidées à les employer.
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« Front mission Dog Life & Dog Style » ne ressemble à aucun autre manga, et encore moins à une adaptation de jeu vidéo. Le graphisme fouillé ravira les amateurs de seinen, qu’ils soient fans de mechas ou non. Quant au scénario, il devrait contenter les adeptes des histoires bien construites ou le message prend le pas sur le sujet. On ne se trouve pas ici face à un simple manga sur une guerre atroce, mais sur une vision bien plus évoluée de notre société et de ses dérives ; vision centrée sur la place du journaliste censé relater les faits, rien que les faits, face à conflit se déroulant à des centaines de kilomètres de nos vies. Pourtant, cette distance ne l’empêche pas de nous toucher lorsque le travail de reportage est fait avec intelligence et honnêteté. Si l’ambiance développée dans ce premier tome arrive à se maintenir, voir à se transcender dans les volumes suivants, on sera face à l’une des meilleures séries du genre.
Gwenaël JACQUET
« Front mission Dog Life & Dog Style » par Yasuo Otagaki et C.H. Line Édition Ki-oon (7,50 &euroWinking ISBN : 978-2-35592-348-7
© Yasuo Otagaki, C.H.LINE / SQUARE ENIX CO., LTD.

"Divine Nanami" T1 & 2 par Julietta Suzuki

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La nouvelle série de Delcourt " Divine Nanami"(1) est principalement destinée aux toutes jeunes filles. Mélange de surnaturel, de culture et de romance, elle a su trouver son public au Japon dans le magazine de prépublication Hana to Yume(2). Est-ce qu’il en sera de même en France ?


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KAMISAMA HAJIMEMASHITA © 2008 by Julietta Suzuki / HAKUSENSHA Inc., Tokyo
L’histoire de ce manga est légèrement tirée par les cheveux et peu crédible. Mais là n’est pas vraiment la question, il fallait une base permettant une certaine excentricité sans tomber dans le manga humoristique. Nanami est une jeune fille au destin bien compliqué. Son père, criblé de dettes et joueur invétéré, ne trouve rien de mieux que de s’enfuir du domicile en l’abandonnant. Rapidement expulsée, elle trouvera sur son chemin, Mikagé, un jeune homme extrêmement sensible et largement paumé. Tenant des propos plus qu’étranges et légèrement incohérents, tout en s’apitoyant sur son triste sort, il offrira un bien étrange cadeau à Nanami : sa demeure. Or, c’est un présent empoisonné : loin d’être une maison traditionnelle puisqu’il s’agit d’un temple délabré. Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’en acceptant cette offrande, elle accepte également de devenir la nouvelle déesse des lieux.
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KAMISAMA HAJIMEMASHITA © 2008 by Julietta Suzuki / HAKUSENSHA Inc., Tokyo
S’en suivent quiproquos et autres situations cocasses ou étranges. On est loin de l’humour débridé de Rumiko Takahashi sur " Lamu " ou " Ranma 1/2 " mais il ne faut pas perdre de vue que cette série s’adresse à l’origine à un public bien ciblé : les jeunes filles. Julietta Suzuki reste dans le même registre que ses précédentes œuvres (non publiées en France). Cette jeune mangaka dessine depuis son enfance, mais c’est en 2004 qu’elle publie sa première histoire courte " Ura Antique " (" Retour vers l’antiquité ") remarquée suite à sa participation au " 44e Big Challenge pour jeunes talents " qu’elle remporte bien évidemment. Seconde consécration avec " Asa ga kuru " (" Le Matin arrive ") autre histoire courte lui permettant de gagner le 338e concours " Mangaka Course " du magazine Hana to Yume. C’est donc dans cette revue prestigieuse qu’elle publie une nouvelle histoire courte, " Hoshi ni naru hi " (" Le Jour où j’ai eu besoin des étoiles "). Elle enchaîne ensuite plusieurs mangas uniques avant de se lancer dans une longue série " Akuma to Dolce " (" Dolce et le démon "), en 2005. Cette même année, elle remporte le grand prix Athéna avec " Karakuri Odette " qui est donc sa troisième consécration en moins de deux ans.
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KAMISAMA HAJIMEMASHITA © 2008 by Julietta Suzuki / HAKUSENSHA Inc., Tokyo
Comme vous vous en doutez, Julietta Suzuki est un pseudonyme. Le prénom Julietta vient du personnage Julietta Sakamoto dans le manga pour adulte " Air Master ". Très éloigné des Shôjos qu’elle dessine, ce manga parle d’une ex-gymnaste qui se met à pratiquer le combat de rue. Julietta Suzuki dessine donc des bandes dessinées car elle aime également en lire. Contre toute attente, son auteur favori est Junji Itō, célèbre mangaka porté sur les récits macabres dont certaines œuvres ont été traduites en France (3).
" Divine Nanami " comporte, pour le moment, neuf volumes au Japon. Et le succès étant au rendez-vous, la série commencée en 2008 devrait encore continuer un petit moment. Très léger dans ses propos et sa contraction, ce n’est pas un manga compliqué à lire. De quoi passer un bon moment de fraîcheur et de réflexion en en apprenant un peu plus sur les croyances japonaises. Dans cette édition française, un lexique a été judicieusement placé en fin de volume afin de se documenter facilement sur ces coutumes qui parfois nous semblent bien étranges. Par contre, on aimerait bien comprendre pourquoi Mikagé a décidé de s’enfuir. Pour le moment, aucune réponse réelle à cette question. Cela ne semble pas préoccuper l’auteure. Quand je vous disais que l’histoire était tirée par les cheveux !
Gwenaël JACQUET
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" Divine Nanami " T1 & 2 par Julietta Suzuki
Édition Delcourt (6,95&euroWinking
(1) " Divine Nanamie ", " Kami-sama Hajimemashita " en version originale se traduirait par " Heureux de vous rencontrer Dieux "
(2) Hana to Yume (Fleurs et rêves) est un magazine de prépublication édité par Hakusensha, depuis 1974. Destiné aux très jeunes filles, il a notamment publié des séries célèbres comme : " Glass no Kamen "(" Laura ou la passion du théâtre "), " Fruits Basket ", " Special A ", " Fight Girl " … Cette revue sort deux fois par mois, le 5 et le 20. Elle comporte de nombreux suppléments et gadgets.
(3) Junji Itō est
notamment publié chez Tonkam : " Gyo ", " Hallucinations ", " La Femme limace ", " La Fille perverse ", " La Maison de poupées ", " La Ville sans rue ", " Le Journal de Soïchi ", " Le Journal maudit de Soïchi ", " Le Mystère de la chair ", " Le Voleur de visages ", " Les Fruits sanglants ", " Rémina ", " Spirale ", " Tomié "...
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Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Amatsuki" T1 par Shinobu Takayama

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Sur fond de mythologie et de mélange de technologie présente et passée, " Amatasukii " transporte le lecteur dans un monde qui n’est pas si lointain, mais tellement différent du nôtre : le grand Édo.

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Être un cancre à l’école peut conduire à visiter une expo grandeur nature. © 2005 by Shinobu Takayama / Ichijinsha Inc.
Le jeune Tokidoki Rikugoa a de grosses lacunes en histoire. Il est envoyé, avec d’autres élèves de sa classe, dans un musée sur le Japon ancien. Celui-ci a la particularité de reconstituer la période d’Édo à l’aide des dernières technologies et offre une immersion totale lorsque l’on porte des lunettes spéciales permettant de simuler certaines parties comme le ciel ou des artisans au travail.
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L’explication sur le fonctionnement des lunettes. © 2005 by Shinobu Takayama / Ichijinsha Inc.
Alors qu’il cherche son chemin, Tokidoki est attaqué par un animal surnaturel. Cette rencontre le fera basculer du XXIe vers le XIXe siècle. Blessé à l’œil gauche, il est recueilli par un moine qui l’hébergera tout comme il abrite Kon Shinonome, un autre étudiant qui est pour sa part prisonnier de ce monde depuis deux ans.
" Amatasuki " est le premier manga publié en recueil de Shinobu Takayama (1). Et pour une première œuvre, c’est un coup de maître. Rapidement adapté en animation pour une série de 13 épisodes produite par le studio Deen en 2008. Cette version sera un peu décevante contrairement au manga. L’animé reprenant plus les mauvais côtés de l’intrigue, tout en ne suivants pas fidèlement l’intrigue originale. De plus, le graphisme est banal et beaucoup moins travaillé que dans le manga.
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Galerie des personnages principaux en version SD. © 2005 by Shinobu Takayama / Ichijinsha Inc.
Il est difficile de rentrer dans l’histoire d’" Amatasuki ". La construction narrative un peu confuse cache pourtant de bonnes idées. Les passages de combats sont expédiés rapidement et la multiplication des intervenants rend leurs suivis compliqués. De même qu’il est difficile de situer les personnages dans leur environnement, les décors n’étant présents que lorsqu’ils sont strictement nécessaires. Shinobu Takayama fait le minimum syndical, que ce soit en matière du scénario comme de dessin. Pourtant, ces défauts se font rapidement oublier. Le graphisme général est particulièrement agréable et les personnages sont bien typés. Ils ont chacun leurs caractéristiques propres, on ne peut pas les mélanger. Les attitudes générales, que ce soit dans la posture ou dans les expressions du visage, sont extrêmement bien rendues. On sent que tout ce petit monde pourrait être vivant. Les variations de plans sont nombreuses : plongé, contre plongé, face, dos, plans d’ensemble, etc. Shinobu Takayama maîtrise parfaitement son dessin afin d’éviter la monotonie.
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La rencontre de Toki et du Yokai qui le fera basculer dans l’autre monde. © 2005 by Shinobu Takayama / Ichijinsha Inc.
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Loin de la science-fiction pure, le passage dans le passé se fait tout en douceur. Le lecteur est orienté vers la mythologie ancienne et Shinobu Takayama s’est visiblement bien documenté sur cette période de transition au Japon. L’avantage d’être un homme venant du futur est évidemment d’avoir des connaissances bien supérieures par rapport aux autochtones de l’époque. Si les leçons de physique de Tokidoki lui servent de temps en temps, il ne met pas vraiment à profit son savoir et c’est bien dommage. Il se laisse porter par ce monde comme il le faisait dans le présent. Ce comportement peut sembler décalé, surtout lorsque l’on imagine le changement de confort qu’il doit subir. L’histoire aurait mérité un petit approfondissement supplémentaire. Le déroulement des événements est assez lent, mais cela correspond bien au ressenti concernant le mode de vie de l’époque ou certaines personnes, plutôt haut placées, se laissaient vivre.
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Coincé dans le passé, autant essayer de s’entendre avec les autres. © 2005 by Shinobu Takayama / Ichijinsha Inc.
Le héros est capable d’apercevoir les Yokai, créatures mythologie japonaises, contrairement à la plupart des protagonistes. Ce pouvoir apporte un peu de piment supplémentaire à l’histoire et offre son lot de situations incongrues. Le sujet est peu exploité dans ce premier volume, mais devrait s’approfondir par la suite. Par contre, n’espérez pas, en tant qu’occidentaux, en apprendre beaucoup plus sur la culture japonaise d’il y a deux siècles, tout est traité de manière superficielle et l’Histoire n’est pas le sujet. L’auteur prend d’ailleurs de grosses libertés par rapport à ça. Petit plus, le traducteur a multiplié les notes de bas de casse afin d’expliquer la plupart des spécificités historiques présentes dans ce manga. Excellent point, à la fois culturellement parlant et pour la compréhension générale de l’histoire. Ces anecdotes étant souvent évidentes pour les Japonais.
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Extrait des illustrations couleur des trois premières couvertures. © 2005 by Shinobu Takayama / Ichijinsha Inc.
" Amatasuki " reste un bon manga. Les dessins séduiront les jeunes garçons et l’histoire, facilement abordable, le met à la portée d’un large public. Un bon titre, bien plus intéressant dans sa version papier que dans sa version animé. De plus, les couvertures sont de toute beauté. À la fois sobres avec leurs fonds blancs, et travaillées avec des jeux de lumière et de nombreux détails sur les étoffes. Un vrai régal. Shinobu Takayama est une auteure dont on devrait entendre parler.
Gwenaël JACQUET
" Amatasuki " T1 par Shinobu Takayama
Édition Kaze Shônen up ! (7,50&euroWinking
ISBN : 978-2-82030-065-2
(1) Elle a commencé sa carrière avec deux histoires courtes : " Enra enra " et " Kagome no tori haima doko he " toutes deux parues en 2003, juste avant " Amatsuki ".
Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Judge" T1 par Yoshiki Tonogai

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Avec le nouveau manga de Ki-oon, " Judge ", les fans de Yoshiki Tonogai ne seront pas déroutées. Mêmes ingrédients que " Doubt ", même sorte de thriller ou la tension psychologique prend le pas sur la représentation gore de la violence. Avec, néanmoins, la mort qui est toujours au bout...

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© Yoshiki Tonogai / SQUARE ENIX CO., LTD.
Yoshiki Tonogai est clairement un amateur de la série de sept films " Saw ". Il en reprend les ficelles en les adaptant au monde du manga
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 : huis clos, jeu mortel, poupée annonciatrice du chalenge, cassette vidéo (à la place d’audio), télévision servant de lien avec le monde extérieur, etc. Si cette saga américaine a su renouveler le genre " thriller/gore ", il était facile de surfer sur cette vague de popularité. Néanmoins, Yoshiki Tonogai, même s’il s’inspire ouvertement du genre, a sût créer un univers qui lui est propre avec son premier manga " Doubt ". " Judge " en reprend certaines ficelles, on est clairement dans le même monde, mais ici le challenge est plus sournois : les " pécheurs " vont devoirs s’entretuer pour survivre.
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© Yoshiki Tonogai / SQUARE ENIX CO., LTD.
Après quelques pages couleur montrant l’agonie et la mort d’un inconnu, tout commence réellement par une histoire tranquille. Atsuya sort avec Hikari depuis peu, alors qu’ils se connaissent depuis l’enfance. Hiro, le jeune frère d’Atsuya se serait bien vu à sa place, car il se rend compte qu’il perd l’amitié de cette jeune fille qui a partagé tous leurs jeux d’enfant. Comme elle doit choisir un cadeau pour Noël en leur compagnie, Hiro annonce à son frère qu’Hikari a déplacé le rendez-vous d’une heure afin de pouvoir savourer un court instant de tête-à-tête avec elle. Alors qu’ils font tranquillement les boutiques, Atsuya, de son côté, sort de son travail et se fait renversé par un camion. Hiro se sent évidemment coupable de la mort de son frère. Deux ans plus tard, il se retrouve enfermé dans une pièce sombre affublée d’un masque de foire en forme de lapin.
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© Yoshiki Tonogai / SQUARE ENIX CO., LTD.
Sept autres personnes bien vivantes et portant également un masque partagent le même sort. Une neuvième personne est pourtant la, le jeune du début, mort après avoir retiré son masque sans autorisation. Avertissement morbide en guise de préambule, ils doivent coopérer sinon ils meurent. Les masques représentent tous des animaux, comme dans " Doubt " il y a celui du lapin, mais également, lion, cheval, cochon, loup, chien et ours sont représentés. Tous ces jeunes sont ici pour être jugé, car ils ont tous, soi-disant, commis un péché, un des sept péchés capitaux. Ils vont donc mourir pour ça. Ils vont devoir désigner eux même qui périra et au final, seul quatre d’entre eux survivront.
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© Yoshiki Tonogai / SQUARE ENIX CO., LTD.
Vu l’environnement réduit dans lesquels cohabitent les protagonistes, il ne faut pas s’attendre à une grande fresque violente, mais plutôt à un combat psychologique ou les dialogues et l’attitude des personnages prendront tous leurs sens. Dans ce premier numéro, peu de morts à part ceux du début, Yoshiki Tonogai a très bien construit son récit afin de nous laisser dans l’expectative une fois le manga refermé. Même si le lecteur découvre les vrais visages des prisonniers, il ne sait, au final, que peu de choses sur eux. Les informations sont distillées au compte-gouttes. L’état d’esprit de certains jeunes est, petit à petit, mis en avant afin d’aiguiser la curiosité du lecteur et l’obliger à reconstruire le puzzle que Yoshiki Tonogai prend un malin plaisir à tracer.
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© Yoshiki Tonogai / SQUARE ENIX CO., LTD.
SI le scénario est prenant, il est dommage de le desservir avec un dessin qui manque d’aboutissement. Les personnages sont tous longilignes, sauf le mort du début gros et bouffi. Les visages sont étirés comme si le dessin était déformé. Le trait est régulier : trop régulier... Il manque de vie, de plein et de déliés. Néanmoins, cela contribue à rendre l’ambiance encore plus froide et pesante. La mise en page et les multiples changements de plan permettent, de leur côté, de bien s’imprégner de l’atmosphère qui règne dans ces pièces malgré le peu de décors représentés. Yoshiki Tonogai fait de superbes illustrations, les couvertures sont là pour le prouver, mais il est obligé de différencier ses personnages par des artifices vestimentaires afin de ne pas perdre le lecteur. La couverture justement, extrêmement soignée et positionnée à l’horizontale comme pour " Doubt ". La règle est la même, les protagonistes en couleur et masqués sur la jaquette apparaissent en noir et blanc et démasqués sur la couverture du dessous. Sur ce numéro un, ils sont tous debout. Au fil des volumes, ils tombent les un après les autres. Il vaut mieux ne pas trop prêter attention aux couvertures des volumes non lues si l’on veut garder le suspense. Mais, même si l’on sait qui est le prochain sur la liste à décéder, ce n’est pas cela qui est important. Ce qui compte, c’est son histoire personnelle, la raison qui l’a amené, de force, à participer à ce jeu macabre. C’est également la cohésion du groupe, le tiraillement psychologique obligeant ces jeunes à faire mourir un de leurs camarades afin de survivre de leur côté qui rend captivant ce manga. Le lecteur de son côté est également mis à l’épreuve. Impossible de ne pas penser à ses propres actions, ses propres péchés. Et surtout, comment réagirions-nous en présence d’un tel dilemme. Comment jugerait-on et surtout, de quel droit le ferions-nous et avec quelle conviction ?
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© Yoshiki Tonogai / SQUARE ENIX CO., LTD.
Seuls trois volumes sont parus à ce jour au Japon. Il est donc aujourd’hui impossible de savoir le fin mot de l’histoire. Si Yoshiki Tonogai arrive à toujours tenir son lectorat en haleine avec autant de brio, cela augure un nouveau succès pour les éditions Ki-oon.
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© Yoshiki Tonogai / SQUARE ENIX CO., LTD.
L’éditeur à d’ailleurs mis le paquet pour le lancement de ce titre. La sortie en librairie était prévue pour le 30 juin afin de coïncider avec le début du festival " Japan Expo ". Yoshiki Tonogai, l’auteur, a fait le déplacement depuis le Japon afin de dédicacer son œuvre à quelques chanceux tirés au sort. Et, clou du spectacle, une énorme exposition, en plein centre du festival met en scène certains protagonistes en taille réelle avec leur masque, bien évidemment. Ces représentations ont étaient fabriqués en France dans les locaux de la société Atakus bien connus des collectionneurs de figurines. Extrêmement détaillés et posés sur des mannequins habillés comme dans le manga, positionné au milieu d’un plateau vide et froid : l’effet est saisissant.
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Les masques qui ont était utilisés par Ki-oon pour son diorama grandeur nature. Ils ont été sculptés par l’équipe d’Atakus, bien connu des amateurs de figurines de collection.
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De nombreux objets promotionnels sont offerts durant le salon Japan expo. Notamment ce trio de masque en carton assez bien réalisé et que les lecteurs pouvaient acquérir en s’offrant des mangas sur le stand de l’éditeur Ki-oon.© Yoshiki Tonogai / SQUARE ENIX CO., LTD.
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Commeà chaque festival, les sacs Ki-oon faisait bonne impression par leur taille imposante (prêt d’un mètre de largeur). Quatre séries phare de cette éditeur sont représentées sur les deux modèles disponibles en recto-verso : Judge, Run Day Burst, Amanchu et Brides Stories. © Yoshiki Tonogai / SQUARE ENIX CO., LTD.
Enfin, signalons que " Judge " n’est pas une copie conforme de " Doubt " : ce manga est dans la même veine, sans être une suite directe. Du coup, il devrait trouver assez facilement son public. À moins que celui-ci tombe, à son tour, dans la paranoïa en dévorant ce thriller machiavélique.
Gwenaël JACQUET
" Judge " T1 par Yoshiki Tonogai
Éditions Ki-oon (7,50 € )
ISBN : 978-2-35592-282-4
Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Kings of Shôgi" T1 par Katori et Andô

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Le Shôgi est un " sport " extrêmement prisé au Japon. Entièrement basé sur la tactique, il pourrait être comparé aux échecs ou aux jeux de dames en Europe. De nombreux tournois annuels font se rencontrer de simples amateurs ainsi que des professionnels, les prix étant conséquents. L’engouement de ces parties silencieuses, où la tension psychologique est à son comble, sont bien éloignées du monde du poker pourtant aux enjeux si proches.

Le manga débute assez tragiquement, alors que Shion vient de voir ses parents assassinés sous ses yeux dans le petit appartement que la famille occupe. Shion, tout comme son père, est passionné par le jeu de Shôgi et il semblerait que le mobile du meurtrier soit lié à ce sport. Suite, à cet événement, Shion se renferme sur elle même et perd l’usage de la parole. Adoptée par ses voisins de palier, la famille Yasuoka (également maître Shôgi), elle se perfectionne rapidement dans la discipline. Sept ans plus tard, elle participe à des tournois pour à son tour passer professionnelle.
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L’intrigue de ce manga est loin d’être complexe, mais plusieurs histoires s’enchevêtrent les unes dans les autres : le meurtre des parents de Shion ; le retour en grâce de son père adoptif ; la soif de pouvoir de la plupart des concurrentes ; l’énigmatique Ayumi dont le seul but est de récolter un maximum d’argent ; l’attitude étrange et hautaine de Hani, maître de Shôgi ; le sponsort, Digital Phone, qui ns’intéresse moins au Shôgi qu’à la publicité que cela pourrait lui rapporter…
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Au travers des événements et de la construction narrative, on sent bien les tensions liées aux tournois et la mélancolie de Shion. Renfermée, mais extrêmement intelligente et tacticienne, elle ne communique plus que par le biais d’un carnet ou elle exprime ses pensées par écrit. Le manga, même si sa trame générale concerne le monde du Shôgi, ne se focalise pas que sur les différents tournois et la volonté de progresser des protagonistes. Leur environnement et les passages concernant leur vie extérieure donnent une dimension supplémentaire au récit, le rendant plus vivant et humain.
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Si le dessin, classique, est réalisé par un débutant, Jiro Ando, le scénario est dû à Masaru Katori, une écrivaine reconnue et prolifique. Si elle maîtrise parfaitement la complexité du Shôgi et sait retranscrire clairement les différents tournois, c’est à cause de son passé de professionnel de la discipline.
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Connue de son vrai nom, Naoko Hayashiba, elle abandonna la profession en 1995, suite à deux événements qui firent les choux gras des journaux à potin. " Confession ", un recueil de photo de nus sorti en 1994 alors qu’elle est âgée de 36 ans, ainsi qu’une liaison adultère avec Nakaharo Makoto Meijin eurent raison de sa passion. Et ce, malgré son professionnalisme et son implication depuis l’âge de 12 ans. Plutôt tourné vers le roman pour adolescente et le scénario de série TV, c’est avec ce manga qu’elle retrouve le succès en 2004. Publié jusqu’en 2008 dans le magazine seinen " Afternoon " (Kodansha), la série est ensuite compilée en huit volumes reliés. En 2007, une série d’animé de 22 épisodes produite par le Studio Deen en est tirée.
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Cette édition française, quelque peu tardive, permet pourtant de se familiariser avec le jeu de Shôgi, sport quasiment inconnu en France. La traduction est bien documentée et le lecteur ne sera pas perdu avec des termes techniques non expliqués. Les parties sont assez courtes et l’intrigue n’étant pas basé exclusivement sur ces affrontements, il est facile d’apprécier l’histoire quelque soit son niveau de connaissance du Shôgi. Néanmoins, les amateurs, qui sont quand même deux mille licenciés en France, y trouveront un excellent divertissement permettant de mettre en pratique leur connaissance tactique. Pour le néophyte, il est bon de signaler qu’ils peuvent se cultiver en lisant les six pages d’explication clôturant ce manga ainsi que celle se trouvant entre les chapitres. Ces informations, ont été rédigé avec le concours de Fabien Osmont et Benjamin Briffaud, tous deux membres de la Fédération française de Shôgi. Il est néanmoins dommage de ne pas avoir francisé le titre, car dans la version originale, " Shion no Ô ", le Ô fait directement référence à la pièce maîtresse du jeu alors qu’ici, l’utilisation de l’anglais ne permet pas forcément de se rendre compte de cette subtilité.
" King of Shôgi " reste l’un des manga les plus intéressants sur le sujet car il est facilement accessible à un large panel de lecteur, ne se focalisant pas durant de longues pages sur des tournois de Shôgi interminables. Un pari ambitieux, mais somme toute bien réfléchi de la part de l’éditeur Pika.
Gwenaël JACQUET
" Kings of Shôgi " T1 par Masaru Katori et Jirô Andô Édition Pika (7,90 &euroWinking
ISBN :978-2-8116-0470-7
Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Bride Stories" T1 par Kaoru Morie

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L’éditeur Ki-oon est extrêmement productif et qualitatif cette année. Après nous avoir proposé des nouveautés telles que " Run Day Burst ", " The Innocent " ou " Amanchu ", il continue avec une série qui pourrait bien être un best-seller " Bride Stories " de Kaoru Mori. Ce manga hors norme aurait très bien eu sa place dans la rubrique voyage de BD Zoom tellement le titre est dépaysant. Il offre une vision de l’Asie centrale bien différente de ce que nous pouvons imaginer en tant qu’Occidentaux.

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Il faut chasser pour se nourrir. Amir excelle dans cette tache. Deux doubles pages exceptionnelles au niveau composition, dynamisme et justesse du trait. © 2009 Kaoru Mori
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Kaoru Morie est une jeune artiste connue en France pour son titre " Emma " sortie en 2007 chez Kurokawa (1). Aussi agréable à lire qu’à regarder, il fait néanmoins bien pale figure comparée à " Bride Stories ". Ce manga est captivant en tout point, que ce soit pour ses décors fabuleux, ses vêtements détaillés, ses personnages emblématiques et bien sur son histoire captivante et pleine de surprises.
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Le village comporte ses artisans également. On suit ainsi la vie des différents protagonistes selon plsueiurs point de vue.© 2009 Kaoru Mori
Amir Hargal, jeune fille de 20 ans vient de faire un long voyage depuis son village natal afin de rencontrer son future marie, Karlux Eyhon, jeune homme de huit ans son cadet. Cet échange entre villages était courant dans un passé pas si lointain puisque l’histoire prend place au milieu du XIXe siècle. Amir se révélera être une excellente épouse. Doué dans de nombreux domaines et notamment la chasse ce qui est peu courant pour une femme. Elle est également attentionnée et son caractère fort lui permet de s’acclimater rapidement à sa nouvelle vie, loin de son village de naissance. Malheureusement, le clan d’Amir finit par changer d’avis. En effet, celle-ci devra être mariée à un autre clan qui offre des relations plus avantageuses avec sa famille. Mais la nouvelle famille d’Amir, notamment la doyenne, ne l’entend pas de cette oreille et refuse de la laisser partir.
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Amir fait partie de la famille maintenant.© 2009 Kaoru Mori
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Cette histoire révèle énormément de choses sur la condition des femmes dans cette partie du globe. De leur statut à part servant de monnaie d’échange, elles peuvent cependant se révéler extrêmement forte et ambitieuses au fil des années au point de devenir une maîtresse de maison respectée pour ses capacités et non son simple statut. Kaoru Morie nous explique dans la postface qu’elle s’est beaucoup documentée pour écrire cette histoire, et après avoir refermé ce premier tome, on ne peut absolument pas douter de son investissement personnel. Tout est minutieusement préparé et sonne juste, que ce soit au niveau des situations comme des détails matériels. Au départ, elle souhaitait simplement dessiner de beaux bijoux, de belles étoffes, des vêtements somptueux, des tapis resplendissants puis au fil des recherches et de la documentation emmagasinée, l’histoire de " Bride Stories " est née. Du coup, les vêtements d’Amir sont détaillés à l’extrême. Chaque broderie, chaque parure, chaque bijou sont dessinés avec un soin rare pour un manga. Mais toute l’énergie de Koru Morie ne passe pas que dans les détails vestimentaires d’Amir, les autres protagonistes, les décors, les bâtiments, les animaux sont également travaillés avec grand soin. Tout ce qui est présenté dans ce live a son importance et est traité de manière égale, avec une justesse rendant crédible chaque passage. Peu de shôjo ou de shonens ont ce souci du détail, en général, on retrouve cette finesse dans les mangas plus adultes à l’histoire plus torturée ou résolument destinée à un public mûr.
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Seule scène de nudité partielle. Rien de bien choquant. Ce titre est réellement adapté à tous les publics. © 2009 Kaoru Mori
Ici, aucune scène équivoque, même s’il est question de mariage, d’enfant à naître et autre relation conjugale, tout est expliqué avec délicatesse sans voyeurisme, mais avec un naturel ne prêtant pas à polémique. L’histoire sait alterné les scènes dynamiques avec des moments plus paisibles, comme dans la vraie vie. Quand le besoin de se nourrir se fait sentir, Amir part chasser un Lapin, chevauchant les plaines et bandant son arc avec dextérité. S’en suivent la préparation du repas et le souper ou se retrouve toute la famille. Tranche de vie d’un quotidien inconnu pour nous citadins, mais encore bien réel pour de nombreuses peuplades. Quand il faut rendre visite à un parent proche resté nomade, c’est à cheval que le voyage se fait naturellement. C’est ce déroulé, tout en simplicité et ce témoignage empreint de réalisme qui rend ce manga captivant.
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Scène de bonheur simple, s’occuper du troupeau, vivre en plein nature ... © 2009 Kaoru Mori
Amoureux de l’Asie traditionnelle, des histoires romantiques, des paysages à perte de vue, " Bride Stories " est fait pour vous. L’âme d’explorateur sommeillant en chacun de nous sera comblée par ce récit euphorisant, sortant des sentiers battus. Cure de joie et de bonne humeur en compagnie de gens simples, sachant vivre et apprécier leur quotidien : un grand bol d’aire pure.
Gwenaël JACQUET
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" Bride Stories " T1 par Kaoru Morie
Édition Ki-oon (7,50&euroWinking
(1) A l’occasion de Japan Expo du 30 juin au 3 juillet 2011, les éditions Ki-oon ont prévue une exposition de planches et d’illustrations originales de l’auteure. En parallèle, un reportage vidéo donnera des explications sur sa manière de réaliser une illustration du croquis préparatoire jusqu’au rendu final.

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Litchi Hikari Club" par Usamaru Furuya

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Pilier du manga underground, Usamaru Furuya nous livre une vision bien outrancière de la jeunesse avec " Litchi Hikari Club " : huis-clos sanguinaire dans la mouvance Ero-Guro ou s’entremêle science-fiction, mécanique, apologie de la violence et embrigadement de la jeunesse décadente.

Usamaru Furuyama est un dessinateur prolifique aux styles multiples et qu’il accorde avec le sujet traité (" L’Âge de la déraison ", " Le Cercle du suicide ", " La Musique de Marie " chez Casterman ou " Tokyo Magnitude 8 " chez Panini). Ici, son dessin est noir et détaillé, mais reste froid dans sa composition et ses personnages sont stoïques. Il faut dire que l’histoire, adaptée d’une pièce de théâtre underground japonaise , se prête parfaitement à un rendu graphique de ce genre. Le " Litchi Hikari Club " n’est autre qu’un rassemblement banal de jeunes garçons qui se retrouvent dans un lieu secret afin de jouer dans un monde imaginaire. Mais le monde que s’est construit ce groupe d’amis va, dans la réalité, virer au massacre.
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Esthétisme emprunté aux nazis, parole en allemand, torture, tout est prévu pour une mise en scène de la violence. © Usamaru Furuya - IMHO
Adepte de l’esthétique nazi, Zéra et sa bande vont commencer à malmener l’un de leurs camarades ne faisant pas partie de ce cercle fermé. Son seul tort a été de s’approcher un peu trop de cette usine désaffectée leur servant de repère. Du coup, chaque enfant du groupe va donner, tour à tour, son souhait en matière de torture afin de se débarrasser de ce gêneur : lui brûler les yeux, lui couper la bite, effectuer des expériences en le congelant et le réanimant, le lyncher ou même le chatouiller à mort... Avec ces suggestions, souvent puériles, il est facile de voir que ce ne sont encore que des enfants, mais qu’ils sont capables des pires atrocités et que cela reste un jeu.
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Aucun respect des adultes, encore moins de leur professeur qui subira un sort funeste dans les pages suivantes. © Usamaru Furuya - IMHO
Le pire étant qu’une adulte a suivi la scène avec attention (leur professeur d’histoire). Cette belle jeune femme sera capturée, attachée et soumise à la vindicte de ces collégiens. Dans un premier temps, ils vont lui arracher ses vêtements et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ne vont pas se rincer l’œil devant ce corps d’adulte dénudé, mais vont immédiatement le conspuer en dénigrant ses seins hypertrophiés, son maquillage outrancier ou ses poils pubiens répugnants. Du coup, on comprend qu’il ne souhaite plus grandir et que, malheureusement, tout cela ne peut que mal finir, car il est évident qu’à leur tour ils deviendront adultes. Cette professeur(e) se retrouvera éventrée par un coup de couteau afin de lui extraire ses boyaux !
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Le groupe ne trouve rien à redire à cet acte barbare, pensant juste qu’eux sont bien plus beaux à l’intérieur.
Mais ceci n’est vraiment que le début de l’histoire et la suite relève de la science-fiction. En effet, le but de de ce club bien étrange est de construire un humanoïde robot dont le let motiv sera de capturer de jolies jeunes filles. La particularité de cette machine est qu’elle fonctionne aux litchis. Sa programmation sera compliquée et au départ, elle ne ramènera pas les sujets qu’imaginaient ces garçons. À la cinquième tentative, elle reviendra avec Kanon, une jeune et jolie jeune fille qui, comme dans toute bonne tragédie qui se respecte, causera l’éclatement et la perte de ce groupe.
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Mise en route de Litchi, la création robotisée de ce groupe d’ado. © Usamaru Furuya - IMHO
Ce manga de Usamaru Furuya est bien loin des productions mainstream que sortent la plupart des éditeurs en France. Il faut dire qu’IMHO est spécialisé dans ce genre de récit underground en publiant des oeuvres comme " Bambi " ou celles de Junko Mizuno (" Cinderalla ", " Pilou apprenti Gigolo "&hellipWinking. Ce récit de plus de trois cent pages ne cible donc pas immédiatement les lecteurs traditionnels de mangas. Son traitement romancé et la densité de ce huis clos le destine principalement à des amateurs éclairés du genre, qu’il soit écrit ou visuel. Même si la force de cette histoire réside dans son scénario mettant en valeur le côté psychopathe de la jeunesse, l’esthétique dérangeante du graphisme en renforce son intérêt. Les protagonistes sont tous extrêmement bien habillés, leurs costumes d’écolier sont tirés à quatre épingles, mais une froideur se dégage de cette représentation pertinente de ce petit monde. L’attitude du leader, Zéra, renforce le mal-être qui nous envahit rapidement au fil des pages. Le trait fin, propre et parfaitement maîtrisé, accentue ce côté strict qui est souligné par l’ambiance industrielle du lieu et l’esthétique du troisième Reich omniprésente. Le texte, littéraire, renforce également le côté strict, froid et mécanique du récit, tout en captivant le lecteur.
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Esthétisme et violence. © Usamaru Furuya - IMHO
À la base de " Litchi Hikari Club ", il y avait une pièce de théâtre créée par la troupe éphémère Tokyo Grand Guignol, au milieu des années quatre-vingt. Dans un long historique en fin de volume, l’auteur nous conte sa démarche artistique et pourquoi il a choisi d’adapter cette œuvre et les conditions de son écriture. Ce genre d’explication étant rare, elle est bienvenue ici, et IMHO a fait le bon choix de la traduire. Cela clôture parfaitement le récit et permet de repositionner l’histoire dans le contexte de l’époque, il y a vingt-cinq ans, alors que le manga ne date que de 2006.
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Le réveil de Kanon marque le début d’une idylle entre le robot et la jeune fille. © Usamaru Furuya - IMHO
Fable apocalyptique, mélange de tragédie, de violence particulièrement gore et de science improbable, " Litchi Hikari Club " réinvente le mythe de " La Belle et la Bête " et de " Frankenstein " dans une esthétique érotico-violente : un pavé assurément destine à un public averti, déjà, un classique du genre.
Gwenaël JACQUET
" Litchi hikari club " par Usamaru Furuya
Édition IMHO (18&euroWinking

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Run Day Burst" T1 par Yuko Osada

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Yuko Osada n’est pas un débutant. Il a déjà publié six mangas en France : " Magara ", " Gear Rally ", " Toto ", " La Légende de Raoh ", " C [si :] " et, enfin, " Run Day Burst ", " LE " titre qui risque lui offrir la popularité qu’il mérite, tellement il est accrocheur et déjanté.

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Le véhicule, voilà le secret d’une course réussie. © Yuko Osada - Square Enix CO., LTD.
Pour un manga évoquant les courses mécaniques, déjanté est en effet un mot parfaitement adapté. On peut également dire, sans se tromper, que cette histoire démarre sur les chapeaux de roue ! Pas question de s’ennuyer en lisant " Run Day Burst ". Sous ce titre se cache la plus grande course automobile que le monde ait connu. Traversant la plupart des pays du globe, elle attire de nombreux participants plus ou moins fréquentables.
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Barrel, le petit mécano aux talents aussi grand que son cœur. © Yuko Osada - Square Enix CO., LTD.
Le manga débute avec la présentation de Barrel : un jeune garçon bien sur lui, poli et serviable. Sa passion : la mécanique ! Il est capable de réparer tout ce qui nous entoure dans notre monde moderne : véhicule, radio, machine à laver, etc. Il mène une vie simple qui va être bouleversée par la rencontre avec deux jeunes adultes bien différents. En premier, Cylinder : une jeune policière extrêmement gentille qui va passer le reste de l’histoire à se dévêtir au moindre prétexte, de quoi remplir, allègrement, le coté fan service de ce manga. En second, Trigger : pilote d’élite qui vient pour participer à la " Run Day Burst ", mais qui se verra poursuivi par la police pour un délit mineur.
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Trigger, le pilote chevronné. © Yuko Osada - Square Enix CO., LTD.
Trigger ayant eu son véhicule détruit dans la course-poursuite avec les forces de l’ordre, va trouver en Barrel un mécano hors pair. Il va l’embrigader dans la course en lui faisant miroiter un avenir grandiose et à la mesure de son talent. " Qu’est-ce que tu préfères : devenir le mécano d’un pilote de génie et partir à la conquête du monde … ou réparer des tas de ferraille toute ta vie et crever dans ce trou paumé ? "Le gamin, un peu naïf, mais conscient de l’enjeu, et surtout fier que la machine qu’il a construite en souvenir de son père fonctionne, acceptera de parcourir le monde, pour cette compétition de grande envergure. Cylinder sera bien évidemment, elle aussi, embarquée dans la course alors qu’elle a essayé de pourchasser le fugitif rencontré le matin même : lequel n’est autre que Trigger.
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Fan service en pagaille avec Cylinder. Dès sa première scène, elle se retrouve sous la douche. © Yuko Osada - Square Enix CO., LTD.
" Run Day Burst " est l’archétype du scénario à succès avec son groupe de héros stéréotypés : un jeune naïf, une tête brûlée et une fille à la fois forte, mais qu’il faut protéger (la quête pouvant s’étaler sur de nombreux volumes : une course autour du monde ayant de nombreuses étapes), un méchant forcément sournois (mais souvent bête et maladroit), et une fan service permanent grâce à Cylinder qui se retrouve la plupart du temps " à poil ". C’est un peu la même recette qu’Akira Toriyama avait employé pour la première partie de " DragonBall ". Et vu le succès de ce manga, il est logique d’essayer de se placer à son niveau vingt ans après ! Graphiquement, Yuko Osada n’a rien à envier au maître Toriyama : son trait est particulièrement agréable et clair. Les dessins ne sont pas surchargés et la mise en scène rend parfaitement l’ambiance de l’histoire. Le cadrage est toujours bien choisi, alternant les plans larges et les plans serrés, ainsi que les plongées et contre-plongées. Bref, tout ce qu’il faut pour faire vivre un dessin et aider le lecteur à s’immerger dans l’aventure qui lui est proposée.
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Obtenir des pièces de rechange n’est pas de tout repos. © Yuko Osada - Square Enix CO., LTD.
Ce shônen reste l’une des meilleures découvertes de cette année. Il y a quelque temps, je louais aussi les qualités d’" Amanchu ". Dans un style très différent, je peux en faire autant pour " Run Day Burst ". Seul point commun entre ces deux manga, leur éditeur : Ki-oon ! Sûrement l’un des meilleurs actuellement, du moins en ce qui concerne les nouveautés mangas et les différents styles d’histoires éditées.
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Le modèle de Barrel. © Yuko Osada - Square Enix CO., LTD.
Gwenaël JACQUET
" Run Day Burst " T1 par Yuko Osada
Édition Ki-oon (6,50&euroWinking

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"La Fin du monde, avant le lever du jour" par Asano

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Beaucoup de mangas savent raconter des tranches de vie, mettre en scène le quotidien à la fois banal et pourtant décalé. Ce nouveau manga d’Inio Asano fait partie de ces aventures racontées avec sobriété ou se confronte différentes visions de notre société.

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Personnage de tous les jours pour une histoire somme toute banal, mais raconté avec une sensibilité juste. © Inio Asano
Recueil d’histoires plus ou moins courtes, " La Fin du monde, avant le lever du jour " s’apprécie comme un disque dont on écouterait religieusement chaque chanson. Qu’on lise chaque histoire dans l’ordre ou le désordre, rien de gênant à cela, elles sont à la fois indépendantes et reliées entre elles par des interrogations philosophiques sur notre monde et la place de l’humain dans tout ça. Asano va même jusqu’à se fendre de textes explicatifs pour chaque histoire, à la manière d’un livret d’accompagnement de ce fameux disque. Ces textes humanisent encore plus le travail de l’auteur et offrent une réflexion supplémentaire sur le travail accompli et de manière humble se confie à ses lecteurs.
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La vie est pleine de surprises, parfois bonnes, parfois mauvaises. © Inio Asano
Inio Asano est déjà connu en France pour avoir sorti les mangas " Solanin ", " Le Quartier de la Lumière " et " Un Monde formidable " toujours chez Kana. Si ces œuvres sont plutôt réalistes, il a commencé sa carrière comme créateur de gag mangas. Ici, nous sommes loin d’avoir une oeuvre humoristique, elle serait même assez pessimiste par moments. Néanmoins dans cette débauche de mauvaises vibrations, on décèle toujours un petit peu d’optimisme qui raccroche le lecteur à la réalité des choses et donne l’espoir nécessaire pour continuer de vivre. Chaque histoire peut se lire indépendamment des autres, elles ne sont pas reliées ensemble, sauf par une mélancolie ambiante et de nombreux questionnements sur notre place dans ce monde. Rien de bien philosophique, juste des interrogations de tous les jours, ces mêmes interrogations que se pose sûrement, en d’autres termes, le lecteur potentiel de ce recueil. Le talent d’Inio Asano émerge de cette retranscription " juste " du quotidien de tout un chacun. Les protagonistes sont classiques sans être banals, ils ont tous une histoire personnelle forte : jeune fille souriante, mais bien seule au final, quotidien d’un jour de congé, salarié licencié, mangaka ayant perdu ses rêves d’enfance, etc. Ils ont tous un avis sur le passé, le présent et même l’avenir.
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Ce n’est pas parce que l’on sourit tous le temps que l’on n’a pas un rêve secret qui nous empêche de vivre pleinement et sereinement. © Inio Asano
Dotée d’un sens de la narration ouvrant sur un monde d’interrogations permettant de toujours avancer, loin du simple voyeurisme, la mise en scène transcende ces événements afin de les sortir de leur banalité. Le dessin y est pour beaucoup dans la construction de cette ambiance. Les personnages, bien que différents, ont certains traits communs et surtout un sourire immense. Ils sont assez stéréotypés tout en ne sortant pas vraiment du lot. Leurs banalités font leur force. Quant aux décors, nombreux, ils sont exécutés avec soins et situent parfaitement l’action. Bien présents tout au long du récit, ils savent s’effacer lorsque l’humain prend le pas sur la situation. Même si les trames servant à jouer sur les ombres foisonnent, l’auteur n’hésite pas à également utiliser une multitude de hachures pour souligner certains traits des protagonistes ou des décors. Cela donne une vie supplémentaire au dessin en le faisant en quelque sorte respirer, être moins mécanique. Ce manga n’aurait assurément pas été le même dessiné par une autre personne.
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Les pages couleurs sont superbes et transcende l’ambiance existant déjà dans les pages en noir et blanc. © Inio Asano
Neuf pages couleurs sont dispatchées dans ce manga. Cinq au début et quatre au centre. Les décors sont pour la plupart tirés de photos retravaillées. Néanmoins, les personnages s’y intègrent en harmonie dans une ambiance assez terne malgré les ciels ensoleillés. Il aurait été dommage de s’en priver tellement le trait d’Asano se prête bien à ce type de mise en couleur ou les visages sont la plupart du temps dans l’ombre comme pour une photo prise sur le vif et en quelque sorte, loupées. Ici, rien de raté, ces défauts voulus sont la pour souligné l’instantanéité de l’action et la capture de ces moments vrais par le lecteur/spectateur.
La couverture est elle même une photo panoramique d’un ciel de fin de journée au moment ou le soleil disparaît avant une nuit d’automne. Lorsque l’on enlève la jaquette, nouvelle photo, celle-ci nous laisse découvrir ce qui semble être l’atelier de l’artiste avec sa documentation, son espace de travail et celui de repos.
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Souvenirs naïfs de l’enfance qui resurgissent dans une vie d’adulte fait de questionnement bien plus terre a terre. © Inio Asano
Le titre de ce livre peut sembler énigmatique. C’est en fait la juxtaposition des intitulés de la dernière histoire " La Fin du monde " et de la première " Avant le lever du soleil ". De quoi faire une liaison entre deux histoires, deux types de personnages bien différents.
Destinées en premiers lieux aux adolescents et aux jeunes adultes, ces saynètes de la vie quotidienne peuvent également être appréciées par les adultes. Ils se retrouveront sûrement dans ces réflexions intemporelles. Les plus jeunes eux ne comprendraient pas certaines scènes et pourraient même être choqués par les attitudes et propos des personnages. Une bonne bouffée d’optimisme pour se sentir moins seule face aux désarrois engendrés par une vie bien remplie.
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Language crue, mais naturel.© Inio Asano
JACQUET
Gwenaël
" La Fin du monde, avant le lever du jour " volume unique par Inio Asano Éditions Kana (15 &euroWinking

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Bambi" T5 par Atsushi Kaneko

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Les éditions IMHO viennent de publier l’avant-dernier tome de leur série phare " Bambi ". La cavalcade de l’héroïne sans scrupule touche à sa fin et de nombreux mystères sont éclaircis tout au long des deux cent pages de ce tome. Cette série est décrite par son éditeur comme un " road movie sous amphétamines, violent et sanglant digne des meilleurs films de Tarantino " et il n’a pas tort. Même si son auteur, Atsushi Kaneko est japonais, ses influences sont à chercher au plus profond de la bande dessinée underground américaine. Digne héritier de la période post-punk, il dépeint un univers extrêmement violent et dénué de bon sens.

" Bambi ", c’est une jeune fille plutôt mignonne avec ses cheveux roses et son air angélique. Néanmoins, elle dévoile rapidement des talents de tueuse, hors-pair et sans aucun scrupule. Elle sait repérer ses ennemis, les mettre en joue et tirer sans que cela ne lui laisse un quelconque remords. Le premier volume débute alors que " Bambi " vient de kidnapper Pampi, un jeune garçon un peu stupide pour le compte " des vieux ". Auparavant, il était détenu par " The King " un ersatz d’Elvis complètement détraqué et dont le seul plaisir est de massacrer des filles nues : charmant ! Il mettra à prix la tête de " Bambi " pour la colossale somme de cinq cents millions (de quoi ?). Si la capture du gamin fut aisée, le retour préfigure de l’enfer, jalonné de tueurs à gages de toutes sortes. " Bambi " n’aura d’autre alternative que de massacrer ces poursuivants.
Ce synopsis est valable pour les quatre premiers tomes durant lesquels nous suivons la balade de l’héroïne et assistons aux bains de sang qu’elle trace sans état d’âme. En revanche, le volume cinq offre quelques réponses en nous révélant, enfin, qui sont " Les vieux " et " Pampil " : alors que plein d’autres mystères s’éclaircissent.
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L’auteur ne prend pas de gants concernant le langage de ses personnages. Ils sont crus et adaptés à la situation © Atsushi Kaneko -IMHO
La particularité de ce manga, du moins au niveau de l’impression, est de ne pas être en noir et blanc, mais d’utiliser deux couleurs "pantones" pour la reproduction des dessins. Ce volume 5 est en violet et en marron. Les précédents volumes étant également déclinés en "pantone" : tome 1, rouge foncé - tome 2, bleu et rouge - tome 3, vert et rouge - tome 4, noir et argent.
Les couvertures ont également cette particularité colorimétrique qui permet d’éviter les tramages disgracieux et surtout d’avoir des couleurs vives, voire fluo, comme un rose et un jaune dans les volumes 1 et 2. Ou encore des couleurs métalliques comme de l’or pour le volume 3 et de l’argent pour le volume 1. La couverture de ce cinquième volume ferait presque sobre avec ses quatre couleurs : un bleu roi, un rouge écarlate, un jaune fluo et un vert sapin.
On sent que l’éditeur français, IMHO a vraiment respecté le travail de l’auteur afin de sortir des livres de qualité et surtout en gardant l’originalité inhérente à cette œuvre.
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Personne n’est épargné, pas même les animaux. Quand une des tueuses détruit un corps à l’acide, les rats en dessous en pâtissent. © Atsushi Kaneko -IMHO
Comme je l’expliquais déjà dans ma chronique sur " Soil ", Atsushi Kaneko, même s’il est japonais, a un dessin américanisé qui prend ses racines dans le style ligne claire d’auteurs underground tels que Charles Burns (" Black Hole ") ou Daniel Clowes (" Ghost world "). Ce volume cinq est d’ailleurs particulièrement réussi. Le trait est juste, expressif et dynamique, tout ce qu’il faut pour raconter une histoire de violence pure. Pourtant, tout cela est trop "clean" pour que l’on ait de compassion pour les victimes. Le trait est tellement propre qu’il dépeint des situations tragiques en les faisant passer pour des actes banals. Les démembrements sont explicites, les têtes éclatées visuellement réalistes et le sang reste figé dans ce moment de beauté graphique, sans fausse note ni tache mal positionnée. Tout est surréaliste, aussi bien la cruauté des protagonistes que la chance de l’héroïne qui arrive à se sortir des pires situations en gardant son air de lolita.
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L’éditeur à choisis de garder le coté visuel des onomatopées originales en rajoutant leur traduction en plus-petit à côté, un bon choix. © Atsushi Kaneko -IMHO
" Bambi " n’est pas un manga pour le fan de mangas. C’est une bande dessinée à cheval entre la culture américaine, asiatique et européenne, surfant sur la vague des films violents et cyniques. Le lecteur ne peut pas s’y tromper et l’amateur du genre y trouvera son compte, même s’il n’est pas attiré par le reste de la production japonaise.
Le sixième et dernier volume de cette série est annoncé pour le mois d’octobre 2011. Nous sauront afin si " Bambi " est réellement invincible ; car la fin de ce volume cinq nous laisse face à un Cliffhanger digne des meilleures séries TV américaines : du grand art !
Gwenaël JACQUET
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Le calme avant la tempête ? Toujours avec un langage fleuri et décomplexé. © Atsushi Kaneko -IMHO
" Bambi " T5 par Atsushi Kaneko Éditions IMHO (12,95)
ISBN : 2-915517-22-3 EAN : 9782915517224

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Black Joke" T1 par Koike et Taguchi

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" Black Joke ", comme son titre le souligne, est une grosse blague : un manga bien lourd, accumulant les clichés, à qui le terme bourrin peut parfaitement convenir. Si vous êtes amateur des films avec Jacky Chan ou Chuck Norris et de la série des " Fast and furious ", vous adorerez ce déchaînement surréaliste.

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La mafia règne en maîtresse sur cette île ou la violence est reine© Koike et Taguchi - Akita Publishing-Ankama
" Black Joke " ne ressemble pas aux mangas habituellement édités en France. C’est assurément le genre de titre qui peut donner une mauvaise image de la BD à cause de sa violence et de son mauvais goût. Mais quand on y regarde de plus près, tout ceci n’est qu’une exagération de stéréotype. Tout est excessif et totalement irréaliste, à commencer par l’histoire : le Japon est devenu le cinquante et unième état des États-Unis d’Amérique. Du coup, tout ce qui se rapporte aux jeux d’argent, à la drogue et à la prostitution est prohibé. Sauf sur une île artificielle, le Néon Island où la mafia fait régner la terreur entre deux parties de poker. Comme à Las Vegas, les casinos sont tout rassemblés sur cette zone de non-droit. Kiyoshi Kira est gérant de l’un de ces casinos et il est secondé par une grosse brute en la personne de Kodama. Chargé de surveiller la bonne marche de son établissement, on lui confit également les basses besognes ; ce qui finit forcément dans un bain de sang. Les histoires sont tellement surréalistes qu’il est impossible de les résumer sans trahir le concept des auteurs. Le scénario est particulièrement bien mené et mis en valeur par les dessins de Masayuki Taguchi.
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La mise en page de ce manga est riche et les dessins soignés.© Koike et Taguchi - Akita Publishing-Ankama
Loin de ce qui se fait traditionnellement en mangas, les différentes pages de ce recueil sont denses, avec en moyenne 5 à 10 cases par planche. Une édition en plus grand format n’aurait donc pas été superflue, sachant que l’auteur n’abuse pas des gros plans, mais privilégie les personnages en pied. Chaque protagoniste est particulièrement typé et abuse une nouvelle fois des clichés, que ce soit sur les ethnies ou au niveau de la morphologie. Les femmes sont sensuelles, les patrons bedonnants, les mafieux entourés de brutes épaisses, les Italiens machos et arrogants, etc. Le tout avec une maîtrise de la plume et un souci du détail, que ce soit dans les visages, les vêtements, les armes, les véhicules ou les décors : rien n’est laissé au hasard.
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Il ne fait pas bon défier la mafia locale, pour souligner cet état de fait, les auteurs n’hésitent pas à en faire trop et offrir du grand spectacle aux lecteurs © Koike et Taguchi - Akita Publishing-Ankama
Même si ce manga est en noir et blanc, il est ombré par informatique, contrairement à ce qui se fait habituellement dans la profession où l’utilisation de trame à gros point est un standard. Cela donne quelque chose qui s’éloigne encore plus du manga traditionnel et qui renforce le côté caricatural des dessins. Là aussi, l’auteur ne s’est pas contenté de remplir les zones d’ombre, il renforce les détails du dessin, soulignant chaque forme par petites touches de dégradés réalistes.
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Belles voitures, dérapage, crash, si "- Black Joke " était un film, il coûterait des millions de dollars. © Koike et Taguchi - Akita Publishing-Ankama
Il n’y a aucun message à chercher dans cette histoire, pas de sens profond ou de réflexion sur notre monde. " Black Joke " est à prendre comme un divertissement sans autre prétention que de faire passer un bon moment : à la fois de lecture (les histoires étant extrêmement bien ficelées)et de contemplation (grâce à des dessins particulièrement léchés). N’est-ce pas aussi le rôle d’une bande dessinée, de nous amener à la détente et à se décontracter ?
Gwenaël JACQUET
" Black Joke " T1 par Rintaro Koike et Masayuki Taguchi Éditions Ankama (6,95 &euroWinking
ISBN 9782359101638

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"The Innocent" par Arad, Fujisaku et Yasung

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Aujourd’hui, je vais vous parler d’un manga un peu spécial puisque ce n’est pas précisément une œuvre 100% Japonaise. En effet, " The Innocent " est scénarisé par un américain, Avi Arad, et dessiné par un coréen, Ko Yasung. Le scénario ayant quand même été remanié ayant par Junichi Fujiusaku, japonais de son état, et l’éditeur étant aussi japonais : on peut donc, peut-être, arriver à le classer dans les mangas. La plus grande particularité de " The Innocent " ne se trouve pas dans ses créateurs, mais dans son mode de diffusion. Cette œuvre qui aurait du bénéficier d’une sortie simultanée dans trois pays : le Japon, les USA et la France, mais au final, c’est avec une légère avance que notre pays découvre en premier ce recueil (1). Preuve incontestable de l’intérêt des Japonais pour le lectorat français !

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© AVI ARAD / Production I.G © Ko Yasung / MAG Garden 2011
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Mag Garden, l’éditeur japonais, à l’origine du projet, s’est donc associé avec le français Ki-oon et l’américain Yen Press pour la publication à l’international de cette histoire. Si, en France, le format manga traditionnel est respecté : livre de poche format 13/18, plus de 200 pages, noir et blanc, jaquette ; les Américains ont pour leur part, privilégié la prépublication dans le magazine en ligne Yen +.
Le synopsis de " The innocent " a donc été écrit par Avi Arad, le créateur et ancien directeur de Marvel Studios, la branche film de l’éditeur de comics et " The Innocent " est son premier projet de manga. Comme pour " Ultimo ", dont le pitch a été créé par Stan Lee, " The Innocent " a été remanié par le japonais Junichi Fujusaku, directeur de production pour l’entreprise de jeux vidéo Production I.G. Du coup, l’histoire n’est ni vraiment américaine, ni vraiment japonaise même si Avi Arad a indéniablement été plus loin dans l’écriture que Stan Lee puisqu’il a lui-même écrit les dialogues.
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© AVI ARAD / Production I.G © Ko Yasung / MAG Garden 2011
Ash, jeune détective privé vient de mourir sur la chaise électrique après une condamnation pour meurtre qu’il n’aurait, bien sûr, pas commis. Un politicien véreux qu’il cherchait à confondre lui a fait porter le chapeau pour son crime. Devenu un être composé de cendre, il a de nouveaux pouvoirs et, dans cette nouvelle ‘ vie ’, son tuteur n’est autre qu’un ange androgyne. Celui-ci lui donne comme mission d’aider des innocents à ne pas se faire exécuter comme il a pu l’être. Ses rencontres lui feront immanquablement remonter aux sources des délateurs ayant conduit à sa propre perte. Mais il ne pourra rien faire puisqu’il lui est interdit d’intenter à la vie d’êtres humains, alors que, lui, ne rêve que de se venger et souhaite conduire sa nouvelle ‘ vie ’ de fantôme à sa manière.
" The Innocent " ressemble plus à un pilot de série TV américaine qu’a un manga. Tout y est : le personnage flegmatique et désabusé au passé lourd, mais non dévoilé, la justice implacable, les méchants foncièrement mauvais et corrompus, un ennemi invincible et froid, etc. Même le découpage fait penser à une œuvre américaine, l’histoire avance peu au départ, laisse beaucoup de questions en suspend et s’accélère rapidement vers la fin sans donner de réponse concrète à toutes les énigmes qui jalonne l’œuvre. En soit, le scénario n’est pas mauvais, même s’il est construit sur un schéma traditionnel et éculé. Il déroutera juste les amateurs purs et durs de manga seinen habitué à avoir des personnages plus consistants et des énigmes plus recherchées et, surtout, ayant une explication au sein du manga. Néanmoins, ce récit étant finalisé en un seul volume, il était obligatoire de faire des ellipses narratives permettant d’avoir un manga complet avec une histoire un peu plus évoluée que dans la plupart des shônens.
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© AVI ARAD / Production I.G © Ko Yasung / MAG Garden 2011
Au niveau du graphisme, le Coréen Ko Yasung maîtrise parfaitement son sujet en s’inspirant des grands dessinateurs classiques japonais. Son style est académique, ses proportions sont justes, mais il manque cette petite touche indispensable pour que l’œil soit subjugué par le dessin. Le trait est froid, il manque de vie, ce qui, par contre, colle assez bien pour une histoire sur la mort.
Souvent comparé à Obata et à son travail sur " Death Note ", Ko Yasung est quand même bien loin de la beauté du trait et de la mise en scène de ce dessinateur d’exception. Les décors sont quasiment inexistants, les protagonistes sont presque toujours en gros plan, voire en plan américain, rarement de plain-pied et l’angle de vue varie peu. Par contre, les effets sur les personnages de cendres sont très bien rendus : on sent qu’Ash n’est pas comme les autres, sans que cela devienne caricatural. Le reste des effets spéciaux, suggérés à l’aide des trames, sont également très soignés, cela donne tout de suite une ambiance spirituelle aux dessins. On ressent immédiatement la qualité du travail ainsi que la finition soignée. Du coup, impossible de dire que Ko Yasung ne met pas du cœur à l’ouvrage.
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© AVI ARAD / Production I.G © Ko Yasung / MAG Garden 2011
Il est dommage ne de ne pas avoir prévu " The Innocent " en plusieurs volumes : cela aurait permis d’approfondir certains aspects des personnages. La fin n’aurait peut-être pas été aussi abrupte et le lecteur aurait pu s’attacher aux protagonistes alors que, là, leur destin semble bien futile.
Néanmoins, ce manga, comme beaucoup d’autres sorties depuis quelques années, permet d’envisager une ouverture des Japonais sur le reste du monde. L’intérêt grandissant des studios nippons pour les créateurs étrangers est donc bien réel. Dorénavant, certains mangas tiennent compte des goûts inhérents à chaque continent. Les collaborations entre les pays deviennent de plus en plus courantes et les frontières ne sont plus vraiment un obstacle à la création. Voilà une bonne chose qui ne pourra qu’amener une diversité et un choix supplémentaire pour le lecteur.
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" The Innocent " par Avi Arad, Junichi Fujisaku et Ko Yasung
Édition Ki-oon (7,50&euroWinking
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(1) " The Innocent " était prévu pour sortir simultanément au Japon, aux États-Unis et en France à la date du 9 juin. Le titre est finalement sort en France le 28 avril, en avant-première mondiale ! Happy Il est bien prévu le 9 juin au Japon, mais par contre rien n’est encore sûr pour les États-Unis.

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Ascension" T4 par Shin’Ichi Sakamoto

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Il y a des œuvres qui vous transportent en vous faisant simplement voyager avec un héros, dans un périple à la limite des capacités humaines. " Ascension " est de ce genre d’aventure. Avec ce quatrième tome, la quête initiatique de Buntarô Mori prend un tournant qui va beaucoup le faire évoluer. L’histoire change de registre, monte d’un cran : deux ans se sont écoulés et tout s’accélère...

À la fin du troisième tome, Monsieur Onishi, le professeur de Mori qui l’avait poussé à faire de l’escalade, mourait violemment. Happé par un bloc de pierre en pleine expédition de sauvetage afin de retrouver notre jeune héros alpiniste, parti en randonnée sans équipement adéquat, alors qu’une tempête glaciale arrivait.
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Mori se forge petit à petit un corps d’acier afin d’affronter les pires conditions climatiques © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
Dans ce tome, le lecteur assiste également au départ pour la France de Miyamoto le seul " ami " que Mori avait réussi à se faire. Du coup, il n’y a plus qu’une seule chose qui compte pour lui, grimper les parois les plus difficiles et ,surtout, celles n’ayant jamais été vaincues, afin d’atteindre, finalement, le toit du monde.
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En deux ans, les personnages ont beaucoup changé. Yumi est devenue méconnaissable avec ses cheveux décolorés et son accoutrement provocant. Un revirement spectaculaire par rapport à ses années de collège (voir l’image ci-dessous) © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
Deux années sont donc passées depuis le décès de son mentor et Mori est devenu un super athlète. Son corps s’est modelé afin d’endurer les pires conditions de grimpe. Il travaille comme manutentionnaire et s’enferme régulièrement dans les frigos de l’entreprise ou il est intérimaire. Il vit dans un appartement sans eau ni électricité et, quand sa journée et finie, il regagne ce logement en transportant sur son dos une vingtaine de bouteilles remplies d’eau du robinet : soit 30 kg, quand même. Tout lui est indifférent, sauf la montagne et les sensations que lui procure l’escalade.
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S’il travaille, c’est juste pour se payer son équipement et les frais inhérents à l’ascension des plus hautes montagnes. À tel point qu’il refuse un contrat que lui offrait l’entreprise qui l’emploie. Il refuse également les avances de sa collègue de travail pourtant prête à s’investir dans sa passion de l’escalade. Et, enfin, il rejette la relation physique que souhaite lui offrir son ancienne amie de classe, Yumi Shiraï, que l’on peine à reconnaître tellement elle a changé depuis le second volume. Devenue prostituée professionnelle, puisqu’elle n’a pu rentrer à l’université suite aux problèmes liés au club d’escalade, elle est devenue une belle jeune femme blonde sans morale. Un revirement spectaculaire pour ce personnage si attachant au début de l’histoire. Cette femme, comme toutes les autres, n’arrive pas à détourner Mori de son but ultime : l’escalade. Qu’il doive souffrir le martyr en dépassant les limites supportables pour un humain et se renfermer encore plus sur lui même, peu lui importe... C’est un solitaire ! Et il arrivera à ses fins par ses propres moyens et grimpera en haut du toit du monde, sans équipe. Même lorsque M. Ninomiya, l’alpiniste le plus réputé et le plus riche du japon, lui propose d’intégrer son groupe et de bénéficier ainsi de la notoriété de celui-ci pour financer entièrement ses escalades, il refuse catégoriquement. Mori monte seul !
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Rien ne détournera Mori de sa quête de liberté, même une femme ne peut lutter avec l’appel de la montagne © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
Si les exploits de Mori sont spectaculaires, l’évolution du dessin de Shin’Ichi Sakamoto l’est tout autant. Le premier volume d’ " Ascension " montrait déjà une maîtrise de l’espace et des proportions exemplaire. Avec ce quatrième tome, il arrive à transcender les expressions de ses personnages. On sent la compassion, la force, les doutes et la détermination du héros, mais également de chaque protagoniste. Les enchaînements et la construction narrative ont également évolué, ils sont plus fluides, moins conventionnels et propose une vraie lecture entre les cases, narration si chère à l’Américain Wil Eisner.
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Avec ce volume, Sakamoto montre une parfaite maitrise de l’anatomie. Mori est devenu un surhomme, son corps n’est plus que muscles. © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
Bien sûr, deux ans se sont écoulés dans l’histoire ; néanmoins, l’évolution graphique de ce manga s’est faite chapitre après chapitre. On sent que Sakamoto s’investit dans son travail, les anatomies de ses personnages sont justes et les détails sont bien pensés : cela renforcent la tragédie de cette histoire où le héros n’en est finalement pas un. Comment s’attacher à une personne insouciante, renfermée et à la fois insensible vis vis de ses collègues, mais tellement perméable au monde qui l’entoure ?
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L’escalade, en tant que sport de haut niveau, est parfaitement mise en valeur grâce aux images de Sakamoto. © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
" Ascension " n’est pas un manga facile : le rythme est lent, les personnages antipathiques et le sujet peu intéressant au premier abords Néanmoins, l’histoire se lit avec facilité. Arrivé à la dernière page, on en redemande et le lecteur transpire avec le héros, tout en rêvant de le voir franchir les obstacles qu’il se crée lui même. Les couvertures dans les dominantes bleues donnent tout de suite la couleur, sans faire de jeux de mots : " glacials " mais pourtant rehaussés de tons chauds, surtout pour ce quatrième tome. Elles sont donc bien à l’image du contenu. Les amoureux de la montagne comme les amateurs d’exploits sportifs et de dépassement de soi seront comblés : tous ces sujets, et bien plus encore, sont réunis ici pour faire d’" Ascension " une œuvre magistrale.
Gwenaël JACQUET
" Ascension " T4 par Shin’Ichi Sakamoto
Éditions Delcourt (7.95 &euroWinking
ISBN : 978-2-7560-2045-7

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"A Lollylop or a Bullet" T1 par Kazuki et Iqura

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Adaptation graphique du roman de Kazuki Sakuraba, " A Lollylop or a Bullet " dépeint le monde de l’adolescence avec une froideur déconcertante.

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©Kazuki Sakuraba - Iqura Sugimoto - Glenat
Dans un village traditionnel de la province japonaise, à la fin de l’été, Nagisa, jeune étudiante dépressive, attend patiemment que le temps passe et que le monde finisse, peut-être, par s’écrouler autour d’elle. C’est à ce moment-là que débarque une nouvelle élève, Mokuzu Umino, fille d’un chanteur à succès, laquelle n’aura de cesse de vouloir être amie avec Nagisa ; or, cette dernière l’ignore superbement, contrairement aux autres jeunes qui l’envie sans aucune retenue. Afin d’échapper à la dure réalité de la vie, Mokuzu se réfugie dans le mensonge et crie, à qui veut l’entendre, qu’elle est une sirène. Ces deux filles ont chacune un secret que nous ne connaissons pas encore et qui sera, vraisemblablement, dévoilé dans le second et dernier volume de cette série.
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©Kazuki Sakuraba - Iqura Sugimoto - Glenat
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©Kazuki Sakuraba - Iqura Sugimoto - Glenat
Si l’histoire reste assez énigmatique et lente, elle est plaisante et distille, avec parcimonie, les quelques éléments qui permettent de ne pas décrocher complètement.
Extrêmement agréable graphiquement, on retiendra surtout les expressions du visage que la mangaka, Iqura Sugimoto, arrive à faire passer à ses personnages. Les héroïnes sont belles et semblent bien innocentes. Elles ont un corps d’adolescente et doivent continuer de grandir, à la fois physiquement et mentalement. Leurs discours sombres contrastent avec l’insouciance qui devrait les caractériser, mais qui est représentatif des doutes liés au passage de l’adolescence vers l’âge adulte. L’histoire construite autour des pensées et des échanges de points de vue des deux héroïnes, Nagisa et Mokuzu, conduit invariablement à de longs dialogues et de nombreux passages narratifs. Du coup, les personnages secondaires sont quasiment inexistants.
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©Kazuki Sakuraba - Iqura Sugimoto - Glenat
Cette histoire avance néanmoins rapidement, avec seulement deux tomes. La construction narrative est parfaitement maîtrisée et suit un cheminement linéaire bien précis, ce qui est, je vous l’accorde, bien paradoxal vu ma précédente réflexion. C’est indéniablement un jeu entre l’auteur et le lecteur, servant à renforcer ce sentiment de malaise en inondant le récit de questions n’appelant pas de réponse.
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©Kazuki Sakuraba - Iqura Sugimoto - Glenat
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©Kazuki Sakuraba - Iqura Sugimoto - Glenat
Le travail d’édition de ce manga est très soigné. La couverture, d’un fond blanc pur, contraste avec le dessin imprimé à l’aide d’encre argentée, le tout relevé de légères touches d’un bleu soutenu. Le même bleu qui est imprimé sur la tranche et qui rappelle, à chaque page, la froideur de ses protagonistes.
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©Kazuki Sakuraba - Iqura Sugimoto - Glenat
" A Lollylop or a Bullet " est à la fois un excellent manga et une œuvre déconcertante qui ne pourra pas plaire à tout le monde. Certains lecteurs vont trouver cela génial, d’autres s’ennuieront rapidement.
Gwenaël JACQUET
" A Lollylop or a Bullet " T1 par Kazuki Sakuraba et Iqura Sugimoto Éditions Glénat (7,50&euroWinking

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Que sa volonté soit faite" T1 & 2 par T. Wakaki

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Nouveau manga plébiscité par Kana, " Que sa volonté soit faite " est déjà connue en France, car la chaîne NoLife à diffusé la série complète de l’adaptation en animé durant les vacances de fin d’année 2010. Il faut dire que le sujet est idéal pour une transposition sur le petit écran. Nous pouvons maintenant lire le manga original en version française.

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Katsuragi Keima, le héros de ce manga ne se sépare jamais de sa PlayStation portable.© Tamiki Wakaki - Kana
Katsuragi Keima est un joueur, mais la seule chose qui le passionne, ce sont les jeux de drague. Particulièrement développés au Japon, ce type de jeux vidéo ne sont que très rarement sortis de l’archipel. Cela consiste à suivre une histoire ou il faudra user de stratagèmes pour que l’héroïne finisse par tomber amoureuse du personnage virtuel que le joueur incarne.
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Image tirée de la présentation de la série animée de " Que sa volonté soit faite " (神のみぞ知るセカイ ?, Kami nomi zo Shiru Sekai - Un monde que seul dieu connaît). Comme on peut le constater, le graphisme reste très proche du manga. © Tamiki Wakaki - Kana
Véritable champion de la discipline, Keima se fait appeler " Dieu tombeur ". Un brin présomptueux et arrogant, aucune fille réelle ne l’intéresse, il a de nombreux aprioris bien tranchés, sur le sujet. Il aime analyser l’évolution des jeux vidéo et n’est jamais déçu par toutes ces conquêtes féminines intangibles alors que les humaines, elles, peuvent changer et vieillir.
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Une âme en fuite possède cette jeune athlète innocente. © Tamiki Wakaki - Kana
Bien sûr, l’histoire ne se résume pas à ce personnage égocentrique, Elsea De lute Irma, jeune démone apparaît rapidement, car Keima a passé de manière non intentionnelle un pacte avec le diable. En répondant tout simplement à un courriel le mettant au défi de conquérir une nouvelle femme inconnue. Il pensait au début à une blague, un message de provocation indigne de son rang. Pourtant, en répondant positivement à cette sollicitation, il se retrouve embarqué dans une histoire rocambolesque ou il devra délivrer de l’emprise d’âmes en fuite d’innocentes jeunes filles bien réelles. S’il ne remplit pas ses missions, le collier qu’il porte lui tranchera la tête et celle d’Elsea, par la même occasion : leurs destins étant maintenant liés.
Bien évidemment, Keima usera des mêmes techniques que celle qu’il met en pratique dans ses jeux de drague. Et tout ça, pour finir par forcer ces jeûnes filles à l’embrasser et, ainsi, faire s’enfuir les âmes qui seront emprisonnées par la démone Elsea. Bien évidemment, une fois l’âme en déroute, la victime oubliera tout de cette histoire et de ce baiser.
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Premier contact bien réel avec une fille. © Tamiki Wakaki - Kana
Tout cela est un peu tiré par les cheveux et complètement irrationnel. Accumulant les poncifs habituels du manga, ce titre reste néanmoins extrêmement agréable à lire pour un jeune public. Le personnage D’Elsea est bien évidemment gaffeur et maladroit. Ses nombreux pouvoirs vont quand même donner une touche de magie à ce titre. L’analyse que fait Keima des différentes situations en se basant sur sa connaissance des jeux de drague relève presque de l’enquête policière où le détective arrive à résoudre les énigmes les plus complexes. Les circonstances sont habilement amenées et chaque protagoniste à une attitude bien définie, ce qui facilite la compréhension de l’aventure. En tout cas, contrairement à d’autres mangas d’énigmes, celui-ci ne donnera pas mal à la tête, il est d’une simplicité enfantine et passée treize ans, le public risque de trouver le sujet simpliste.
Au niveau du dessin, Tamiki Wakaki s’en sort plutôt bien pour sa seconde série. Le trait tout en rondeur est extrêmement proche de ce qui peut se faire en animation.
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La mise en page, particulièrement sobre, offre de nombreux gros plans expressifs. Il y a peu de décors, on sent que l’accent est principalement mis sur les personnages. Le seul point qui me chagrine est celui des couvertures. Celles-ci font penser à un monde rempli d’ésotérisme et je ne les ai pas trouvé engageantes au premier abord. La couverture alternative du premier tome, vendue en tant qu’édition collector, est bien plus représentative du contenu ; c’est logique, ce n’est que l’illustration couleur d’introduction du premier chapitre. Pages couleurs que l’on pourrait croire directement sorties de la version animée tellement le style est épuré.
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Double page couleur d’introduction du premier chapitre au Japon. Image reprise en France pour la couverture collector, disponible seulement pour la première édition du manga. © Tamiki Wakaki - Kana
Ce genre de série où chaque nouvelle histoire est un défi différent à relever et où l’humour est omniprésent à l’avantage d’être inépuisable tant que le public suit et que l’auteur arrive à se renouveler sans lasser. Porté par une série TV, " Que sa volonté soit faite " reste une valeur sûre pour un public jeune, Kana ne s’est pas trompé en éditant ce titre.
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© Tamiki Wakaki - Kana
Gwenaël JACQUET
" Que sa volonté soit faite " T1 & 2 par Tamiki Wakaki
Édition Kana (6.75 &euroWinking

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"A Town where you live" T1 par Kouji Seo

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Après la fin de " Suzuka " en dix-huit volumes, Pika édite maintenant le nouveau manga de Kouji Seo " A Town where you live ". Le titre choisi pour l’édition française est resté en anglais, car c’était l’accroche de la version japonaise qui porte le nom de " 君のいる町 " (" Kimi no iru machi "), ce qui signifie littéralement la même chose : " La Ville ou tu vis ".

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Kouji Seo nous a habitués à dessiner de jolies écolières pleines de vie et " A Town where you live " ne déroge pas à ce principe. Le dessin est léger et extrêmement agréable à regarder. Mêmes s’il ressemble à ce qui se fait habituellement dans les histoires de type " romance ", la gestion de l’espace et la mise en page des cases, en plus d’une connaissance anatomique parfaite, fait qu’il est impossible de ne pas accrocher si l’on aime les dessins typés « manga ». Kouji Seo maîtrise parfaitement les expressions de ses acteurs et en joue en permanence. D’un simple regard, il est possible de comprendre les sentiments mis en avant. Les gros plans s’intercalent continuellement avec des plans larges pour souligner les tensions ou la joie des personnages. Cela rend la lecture fluide et facilement compréhensible, mais fait également peu avancer l’histoire qui semble s’éterniser. En effet, dans le scénario de " A Town where you live ", tout est dans le non-dit et le suspens n’en est pas vraiment un puisque, justement, le lecteur comprend beaucoup de choses grâce aux expressions des visages ; mais il n’a pas de confirmation de ce qu’il imagine. On se sent un peu frustré et on aimerait que cela avance de manière plus concrète.
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Double page d’introduction du premier chapitre au Japon © Kouji Seo - Kodansha LTD - Pika édition
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Mais, justement, qu’est ce que nous raconte ce manga ? Une romance, assez banale, entre deux jeunes écoliers : Yuzuki Eba vient d’emménager dans la famille de Haruto Kirishima et ils vont se retrouver, tous les deux, dans la même classe de ce petit village près d’Hiroshima. Yuzuki, venant de Tokyo, semble émerveillé par la simplicité de la vie dans cet endroit. Pourtant, elle est très différente de la plupart des gens et elle a le contact facile du fait de son caractère exubérant. Le lecteur se rend rapidement compte qu’elle est un peu nunuche, ce qui lui attirera quelques ennuis. Comme elle ne sait pas faire du vélo et que c’est le seul moyen pour se rendre à l’école, elle sera tributaire de Haruto qui, dés le départ, n’as pas vu d’un bon œil cette jeune fille s’incruster dans sa famille.
Le reste de l’histoire est bien évidemment rempli de quiproquos amoureux et c’est malheureusement tout. À aucun moment n’est développé le fait qu’Yuzuki vienne d’une mégalopole comme Tokyo et ne cherche pas plus que ça à découvrir son nouveau cadre de vie. La nature n’est pas mise en avant, et cela pourrait se passer n’importe où. On est loin d’œuvres comme " Petite foret " de Daisuké Igarashi où le lecteur vivait réellement un retour aux sources avec son héroïne Ichigo.
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Le propos de " A Town where you live " n’est absolument pas le dépaysement, Kouji Seo se sert juste des souvenirs de sa ville natale pour mettre en place une histoire de triangle amoureux rempli de non-dits. Néanmoins, le lecteur comprend très rapidement la raison de la venu de Yuzuki, elle n’est la que pour conquérir le cœur d’Haruto qu’elle a rencontré lors de ses vacances en famille quand elle était très jeune. Lui ne s’en souvient pas. Si le lecteur comprend parfaitement les avances de la jeune fille, le fait qu’Haruto ait des vues sur sa camarade de classe, Nanami, rend la situation incongrue.
En toute logique, ce type de manga comporte son lot de fan service, mais l’auteur n’en abuse pas et, au final, cela permet de passer un agréable moment même si l’on espère que les choses avanceront plus rapidement dans le second volume.
À noter que Pika a très bien fait son travail d’éditeur puisque toutes les pages couleur de l’édition originale sont conservées. Quatre pages qui débutent le premier chapitre et quatre autres qui le clôturent.
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© Kouji Seo - Kodansha LTD - Pika édition
Au final, " A Town where you live " et un bon manga, agréable à lire, mais qui aurait mérité une intrigue un peu plus poussée.
Gwenaël JACQUET
" A Town where you live " T1 par Kouji Seo
Édition Pika (6,95&euroWinking

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Amanchu !" T1 par Kozue Amano

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Devant la quantité impressionnante des sorties mangas hebdomadaire, il est toujours difficile de faire un choix... Pourtant, certains titres accrochent l’œil immédiatement. Une couverture attrayante, un sujet frais, des dessins agréables et un éditeur réputé, il n’en fallait pas moins pour se plonger dans " Amanchu " : je ne l’ai pas regretté...

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Quoi de plus reposant que de se laisser porter par l’eau ? © Kozue Amano / MAG Garden
Futaba Ohki vient d’arriver de Tokyo, elle flâne au bord de la mer, portée par son scooter. Timide et réservée, elle est prête à rentrer au lycée : les vacances sont finies. Hikari Kohinata, quant à elle, est joyeuse et souriante. Sa passion : la plongée. Elle s’apprête également à affronter son premier jour au lycée. Ces deux jeunes filles vont se retrouver dans la même classe, en compagnie de leur professeur principal : Melle Katori, elle aussi passionné de plongée et animatrice du club de cette discipline.
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Quand deux pratiquantes de plongée sous-marine se rencontrent, elles ne se parlent pas, elles communiquent par geste comme dans ce monde du silence © Kozue Amano / MAG Garden
Avec ce bref résumé, vous savez à peu près tout ce qu’il a besoin de connaître sur ce premier tome de l’histoire. Le reste de l’action n’est que contemplation, rencontre et divertissement. Si " Amanchu !" accroche le lecteur, c’est en premier pour sa couverture fraîche et pleine de vie. On est loin des clichés de la bimbo en maillot de bain cher aux animés japonais. Ici, aucun sous-entendu, l’héroïne prend plaisir à être immergée et nous le communique, tout simplement.
Pourtant, des clichés, ce manga en regorge. En premier, sur le caractère de l’héroïne, Hikari, débordant de vie, mais complètement insouciante. Le dessin de son visage passe du réalisme à la caricature d’une case à l’autre, ceci afin de bien montrer son caractère un peu fou : une figure typique du manga d’humour. Ensuite, sur l’amitié entre les deux jeunes filles, l’une meneuse, l’autre suiveuse, le tout guidé par un mentor en la personne de la professeure principale. Que du classique !
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Un sens du dessin et de la mise en scène extrêmement bien mené. © Kozue Amano / MAG Garden
Au niveau des dessins, on peut facilement avoir une impression de déjà vu ; pourtant, Kozue Amano arrive parfaitement à s’approprier les codes habituels du shônen pour créer son propre style, tout en rondeur et extrêmement bien détaillé. Chaque plan regorge d’enrichissement visuel, que ce soit pour les décors, les vêtements, les véhicules ou simplement pour la matérialisation de l’ambiance. Chaque case est pensée de manière indépendante, mais également pour former un tout dans la planche, rien n’est laissé au hasard et lorsque que l’auteur se permet de décalquer une case, c’est toujours dans un but bien précis : afin de faire peser une tension supplémentaire, un arrêt du temps, même infime (mais toujours reposant).
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En une page, de longues secondes de silence et, au final, un visage gêné, accentué par la répétition du dessin © Kozue Amano / MAG Garden
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Mais c’est l’ambiance qui est la plus intéressante dans ce manga, loin devant le dessin ou l’histoire. La construction narrative fait que tout s’enchaîne de manière naturelle et nous plonge dans un univers calme et reposant. Ce premier tome se lit d’une traite, sans que l’on se pose de question existentielle, juste en contemplant les personnages et le paysage qui les entoure. On se sent porté, comme entre deux eaux, dans les " trop rares " scènes aquatiques. Passer d’un personnage exubérant à un autre plus calme offre des combinaisons narratives extrêmement agréables. Ces passages sous-marins seront assurément bien plus importants dans les tomes suivants puisque nous n’en sommes qu’a la découverte des protagonistes et a leur entrée dans le club de plongée.
L’histoire est située, géographiquement, sur l’île d’Amami Ôshima au Japon, entre l’île principale qu’est Kyûshû et l’île d’Okinawa plus au sud. " Amanchu !" servant à designer les habitants de cette île. Là-bas, le soleil tape fort, et toute l’année. Du coup, le dessin met parfaitement en valeur cette interaction entre la lumière et l’ombre. Les trames sont minutieusement posées afin de faire ressentir la chaleur d’une journée ensoleillée.
Tout est là pour mettre le lecteur en joie : impossible de sortir morose de la lecture de ce titre. Kozue Amano, avec " Amanchu ! ", nous prouve, une nouvelle fois, sa maîtrise du dessin et son talent de conteur. En musique, il y a le tube de l’été, ici nous avons assurément son équivalent en manga.
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Peu de texte, mais une plénitude qui envahi le spectateur à la lecture de ces quelques moments reposants du manga © Kozue Amano - MAG Garden Corp - Ki-oon
Gwenaël JACQUET
" Amanchu ! " T1 par Kozue Amano
Éditions Ki-oon (7,50 &euroWinking.
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© Kozue Amano / MAG Garden

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Le Voyage de Ryu" T1 et T2 par Shôtarô Ishinomori

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Comme Kana, Glénat continue d’éditer les œuvres de ce maître du manga qu’est Shôtarô Ishinomori. Après " Sabu to Ichi " ou " Cyborg 009 ", cette édition du " Voyage de Ryu " est une bonne nouvelle. Glénat venant d’augmenter le prix de la série " Cyborg 009 " qui a du mal à trouver son public, on aurait pu craindre l’abandon de cette collection " Vintage ". Le tirage étant moins important, le prix de revient augmente et cela se ressent sur le tarif demandé aux lecteurs. Néanmoins, il vaut mieux ça qu’une série qui s’arrête en pleins milieu.

Beaucoup de personnes vont associer ce manga à la série " Nolan " qui passait, en 1989, sur la cinquième chaîne française de Berlusconi. Or, ce sont deux histoires bien différentes, mais mettant en scène un personnage identique : Ryu. " Nolan ", nom français du héros, est né sur terre à la préhistoire, d’une mère humanoïde à la peau foncée alors que lui a le teint clair. Il fut donc banni de son clan alors qu’il n’était qu’un bébé. Recueilli par des hommes singes, il vivra dans un monde hostile peuplé de dinosaures et d’êtres d’un autre âge. Cette série est la préquelle de celle publiée aujourd’hui par Glénat, bien qu’elle fût éditée, au Japon, deux ans après : en 1971. À noter qu’une troisième série " Banchou Wakusei " clôtura la trilogie, en 1975 (1).
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© Shôtarô Ishinomori - Ishimori production - Glénat
" Le Voyage de Ryu " pour sa part se situe dans un futur ou la terre est décimée à la suite d’un conflit nucléaire opposant l’Orient et l’Occident. Reprenant un des thèmes pacifistes chers à son maître Osamu Tezuka, Ishinomori décrit une vision bien pessimiste de notre futur.
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© Shôtarô Ishinomorii - Ishimori production - Glénat
L’histoire débute alors que Ryu, passager clandestin à bord d’un vaisseau d’exploration spatial, se réveille d’une cryogénisation de plus de quarante ans. Il n’a que peu vieilli et, grâce à une déformation de l’espace-temps, il se retrouve projeté des centaines d’années dans le futur de la terre. Son vaisseau ayant atterri sur celle-ci, il se verra contraint de l’explorer, afin de trouver des traces d’une civilisation qui a l’air d’avoir disparue. Seuls des arbres mutants, des chauves-souris, des rats géants, des singes humanoïdes et des humains difformes semblent peupler la planète. Au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire, Ryu finit par rencontrer quelques congénères, compagnons d’infortune qui l’accompagneront dans son périple pour retrouver une hypothétique civilisation humaine.
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© Shôtarô Ishinomori - Ishimori production - Glénat
Œuvre d’anticipation digne des plus grands maîtres de la science-fiction, " Le Voyage de Ryu " ne brille pas que par son scénario. Ishinomori y exprime tout son talent graphique. Les décors sont impressionnants, les monstres crédibles et les attitudes de chaque personnage parfaitement trouvées. L’œuvre a ce petit côté désuet qui faisait le charme des nombreuses histoires de science-fiction des années cinquante et soixante.
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© Shôtarô Ishinomori - Ishimori production - Glénat
Malgré ses trois cent-cinquante pages bien fournies, ce manga se lit extrêmement facilement. On se laisse porter par le récit de cette humanité qui s’est anéantie pour mieux renaître. On suit les traces de ce Ryu, jeune homme extrêmement tenace, se découvrant des talents insoupçonnés. Il est rare de voir une œuvre ayant presque un demi-siècle, puisque publié en 1969, avoir un discours aussi contemporain.
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© Shôtarô Ishinomori - Ishimori production - Glénat
Prévue en cinq volumes, la série devrait être complète dans l’année. Un manga à ne pas rater, d’une part pour son côté historique, mais surtout pour sa grande qualité narrative qui la place parmi les chefs-d’œuvre du genre.
Pour en savoir plus sur Shôtarô Ishinomori, voir " Le Coin du patrimoine " que nous lui avons consacré.
Gwenaël Jacquet
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" Le Voyage de Ryu " T1 et T2 par Shôtarô Ishinomori
Éditions Glénat (10,55&euroWinking
(1) : La trilogie Ryu est une pièce maîtresse de l’œuvre d’Ishinomori. Prenant exemple sur les différents mangas de Tezuka, Ishinomori reprendra le concept de personnage récurent et de scénario poussé mélangeant humour et drame. La série met en scène un garçon à différentes époques avec toujours un idéal de paix et une intelligence supérieure à la normale.
La chronologie japonaise de ce personnage commence par : " Ryuu no Michi " ["
リュウの道 "] " Le Voyage de Ryu " paru en 1969 chez Kodancha en huit volumes, actuellement réédités en cinq volumes plus épais. C’est l’édition que nous propose Glénat. Ensuite, arrive " Genshi Shounen Ryuu " (Prequelle) [" 原始少年リュウ "] - " Nolan, enfant des cavernes " diffusé en animé sur la 5, en 1989 (vingt-deux épisodes). Tiré du manga en trois volumes édités par Akita Shôten, en 1971. Elle est également rééditée en deux volumes plus épais, aujourd’hui. Et pour clôturer la trilogie, " Banchou Wakusei " (Sequelle) [" 番長惑星 "] " La Planète du chef du gang de l’école " (traduction non officielle, cette série n’étant jamais paru en France). Manga en cinq volumes parus chez Akita Shôten, en 1975, et réédités, comme les autres, en trois volumes plus épais.
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puce-68c92 " Ryuu no Michi " - " Genshi Shounen Ryuu " - " Banchou Wakusei " -

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Tokyo Fin d’un monde" T1 par Noujou

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Le manga ultra-réaliste est un genre assez peu répandu en France. Pourtant, outre-Atlantique, des auteurs comme Ryoichi Ikegami ont réussi à populariser ce type de récits : plus adulte, scenaristiquement plus évolué, anatomiquement bien proportionné et aux protagonistes typés japonais (si l’histoire se passe au Japon). Dans l’hexagone, les éditeurs s’étant risqués a édité du Ikegami ont vite déchanté. Pourtant, le gekiga arrive à percer petit à petit et Akata en est le fer de lance, avec de nombreux titres sur des sujets plus variés les uns que les autres.

" Tokyo fin d’un monde " est de ces manga résolument positionné sur le créneau adulte sans tomber dans le sexe ou la violence à outrance. L’histoire est réfléchie, digne d’un roman noir et les personnages sont ultras réalistes. Pourtant, le scénario est totalement irréel. Notre monde serait surpeuplé à cause d’humains venant du futur. C’est grâce à une équation découverte à notre époque qu’il serait possible de contrôler certaines facultés de l’esprit et ainsi à arriver à voler dans les airs, hypnotiser les gens ou faire de la télékinésie. Bref, être une personne aux capacités extra-sensorielle plus développées, ce que les Japonais raccourcissent en ESPER (de l’anglais Extra Sensorial Perception). Populaire dans les années 80 (1), le thème était passé de mode depuis. Peut être que Junichi Noujou a voulu rendre plus adulte ce type d’histoires et renouer avec un genre qui n’est autre que des super-héros vus du coté de la science-fiction.
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© Junichi Noujou - Kodansha - Delcourt - Akata
Ici, il n’est pas question de super-pouvoirs au service du bien ou du mal. Ce manga est présenté comme une enquête policière à la " X-Files " ou un " bureau de recherche des communications futures " existerait. Taro Saegusa, employé du ministère de l’Intérieur et des Communications s’intéresse à un dénommé Yuma Oda : écolier tranquille ayant un jour montré des pouvoirs étranges, lévitation et hypnose collective. Miho Omori fut l’une des témoins de ces phénomènes paranormaux et est aujourd’hui l’assistante de Taro. Cherchant à comprendre les motivations de ce mystérieux " homme du future " l’histoire avance assez rapidement et de manière claire tout en laissant de grosses interrogations aux enquêteurs comme aux lecteurs. Comment va se passer le grand cataclysme annoncé, qui en sera la cause, et surtout pourquoi ?
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© Junichi Noujou - Kodansha - Delcourt - Akata
Si le scénario est intriguant et prenant, le dessin, lui, est dans la lignée de ce qui se fait au japon en matière d’ultra réalisme dans les revues pour adultes, alors que, précisément, cette histoire fut publiée dans le Weekly Shonen Magazine plutôt destiné aux adolescents. Comme ce style est peu distribué en France, le lecteur sera forcement agréablement surpris par la finesse du trait de Junichi Noujou ainsi que la justesse de ses descriptions visuelles. Chaque détail est parfaitement représenté, les expressions sont réalistes et il n’y a pas de place pour la caricature contrairement aux mangas de Hideo Yamamoto (3) qui sont dans un style approchant. Les vêtements et les décors sont actuels et finement observés, cela en devient même d’une précision chirurgicale rendant certaines images glaciales et particulièrement adaptée à un récit d’anticipation. Le lecteur est obligé d’avoir l’œil en éveil afin de ne rater aucun détail de l’image ou du scénario. Afin de créer une tension supplémentaire, la plupart des pages abusent de plans serrés. Les décors sont peu présents et servent le plus souvent à situer le début d’une action. Le mécanisme narratif est indéniablement maîtrisé.
Seule bémol dans ce flot de louanges, l’édition française est, par moment, assez difficile à lire. En effet, le texte est régulièrement placé trop près du pli central et cela oblige à casser le dos afin de bien tirer la page. Toutes les pages étant à bord perdu, ce souci est logique et casse le rythme de lecture à cause de la distraction qu’il génère. Dommage.
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© Junichi Noujou - Kodansha - Delcourt - Akata
C’est la seconde œuvre de Junichi Noujou publiée en France (2), cet auteur est pourtant extrêmement réputé au Japon notamment pour ses histoires sur le monde des Yakuza ou du jeu. Il s’est rendu célèbre par " Naki no ryû " ; un manga sur le mah-jong publié en 1985, alors qu’il a déjà trente-quatre ans. Il publie aujourd’hui principalement des histoires courtes.
Clôturé en trois tomes, ce premier volume de " Tokyo fin d’un monde " explique vaguement les choses. La fin en clifhanger incite indéniablement le lecteur à attendre avec impatience la suite à paraître, respectivement, en avril et en juillet 2011.
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À noter que les couvertures des trois volumes sont superbes. Elles représentent, respectivement, Yuma Oda, Miho Omori et Taro Saegusa, les trois principaux protagonistes de cette histoire. Composés en bichromie, le noir du trait et la touche de rouge de ces portraits tranchent sur le blanc immaculé du papier. Des couvertures, énigmatiques et froides, à l’instar du manga.
Gwenaël JACQUET
" Tokyo Fin d’un monde " T1 par Junichi Noujou
Éditions Delcourt - Akata (6,95&euroWinking
(1) : En France nous avons eu le dessin animé de long métrage, Luck l’intrépide ("
超人ロック " ou " Chôjin Rokku " en japonais et " Lock the superman " en anglais), long métrage sorti exclusivement en vidéo en 1984 et reprenant ce thème de manière enfantine. Aux USA, c’est le manga de Ikegami " Mai the psychic girl " (Eclipse Comics sous licence viz comics) qui a popularisé ce thème, dés 1987 ; c’est d’ailleurs le premier manga à nécessiter un nouveau tirage des volumes 1 et 2. C’est également, la première série à ne pas être arrêtée avant la fin et, surtout, avoir une première édition reliée en quatre volumes puis une seconde compilant l’histoire complète en seulement trois volumes. Cette série n’a curieusement jamais été publiée en entier en France ou seuls quatre petits recueils sont parus en kiosque (éditions Semic).
(2) : La première œuvre de Junichi Noujou publiée en France fut " Dr Koh ", dont deux volumes sont parus dans les années 90 chez Casterman avant d’être prématurément interrompue.
(3) : " Homunculus " et " Ichi the Killer " de Hideo Yamamoto sont paru chez Tonkam.


Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Soil" T1 par Atsushi Kaneko

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Non, vous ne vous êtes pas trompé de rubrique, c’est bien le " Zoom Manga ". Pourtant, " Soil " de Atsushi Kaneko ressemble plus à un comics underground américain qu’a une BD nippone. " Bambi ", son autre manga publié en France chez IMHO, ressemblait déjà à un road-movie à la Tarantino et non à un " Naruto ".

" Soil ", c’est le nom d’une petite banlieue tranquille dans le Japon contemporain. Le début de l’histoire est assez énigmatique : une étoile filante traverse le ciel et le temps. Durant les premières pages, on est témoins de son passage lors de différents événements ayant marqué ce lieu. Dans des temps anciens, il fut occupé par des indigènes pratiquant des rites vaudou. Ensuite, dans le Japon des samouraïs, il fut le théâtre d’une série de meurtres au sabre. À notre époque, on y a bâti un quartier moderne, mais ordinaire, où on assiste à la disparition d’une famille tout aussi ordinaire.
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© Atsushi Kaneko - Ankama
Les trente-trois premières pages sont muettes et c’est à la trente-quatrième qu’apparaît un duo improbable de policiers dont les répliques sont dignes d’un film américain. Yokoï et Onoda sont deux stéréotypes balancés sur une enquête de routine. Le premier est capitaine de police : il a des manières de rustre, des propos déplacés, extrêmement misogynes, il sue à grosse goûte au moindre effort, porte une moumoute ridicule, se gratte en permanence l’entre jambe ou autres parties du corps en réfléchissant, bref, c’est un " porc ". La seconde est une jeune détective peu sûre d’elle contrairement à ce qu’elle veut essayer de faire croire. Plutôt mal habillée, elle est vue comme un gros " thon " par les enfants de Soil, à cause de sa chevelure hirsute et de ses lunettes à gros verres, complètement hors mode.
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© Atsushi Kaneko - Ankama
Leur enquête consiste à trouver comment et pourquoi une famille tranquille a disparu une nuit sans laisser de trace, à l’exception d’une montagne de sel dans la chambre de la jeune fille de la maison. Sel que l’on retrouvera dans la cour de l’école dans des proportions démesurées, prenant la forme d’une montagne. Petit à petit, le lecteur prendra conscience du malaise entretenu dans cette ville nouvelle par le délégué de l’association du quartier : sorte de tyran ayant installé des caméras partout afin de surveiller les faits et geste des habitants et la bonne tenue des rues. Une propreté exemplaire, un fleurissement abondant et une entente cordiale, sans vague, sont, selon lui, le secret d’un bonheur qu’il entend bien préserver. Mais tout ne se passe pas aussi simplement : ce qui causera sa perte.
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" Soil " est un manga atypique. Découvert par Jean-DavidMorvan ; fraîchement embauché par Ankama, ce scénariste passionné du Japon a pour mission de dénicher des titres plus adultes, sortant des clichés ordinaires. Véritable « chasseur de mangas » pour cette jeune et dynamique entreprise de Roubaix, dont le succès a été fulgurant et qui est en pleine expansion grâce à la série de jeu en ligne " Dofus ", il propose deux autres séries plus classiques pour ce début d’année 2011 : " Hitman " et " La Paire et le Sabre "(1).
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© Atsushi Kaneko - Ankama
Si le scénario de " Soil " est ordinaire et reprend des clichés éculés qui ont fait le bonheur des films de genre et de duo comique aux USA, le dessin lui prend également ses racines dans le comics underground. Clairement influencé par la ligne claire d’auteurs tels que Charles Burns (" Black Hole ") ou Daniel Clowes (" Ghost world ") ce dessinateur joue sur une narration bien différente de ce qui se fait en matière de manga. Si ce n’est quelques onomatopées et des personnages bien typés japonais, il serait facile de faire passer cette série pour une création d’auteur typiquement américain. Le trait de Atsushi Kaneko est vif, extrêmement clair, il offre un encrage au pinceau mettant en avant des pleins et des déliés parfaitement calculé. Du coup, cela fait un dessin presque froid et rigide, on sent une tension dérangeante et parfaitement adaptée au contexte du thriller. La grosse particularité du dessin de Atsushi Kaneko, c’est ce soin et cette minutie apportés aux visages des protagonistes. Parfaitement calibré, chaque trait est à sa place, rien ne dépasse. Par opposition, dés que l’on passe sur les vêtements, les objets et les décors, les traits se chevauchent dans tous les sens, ils n’ont plus de frontières et même les contours des cases ne sont pas respectés. Cette spontanéité dans le trait est inhabituelle et rend chaque page dynamique tout en cassant le côté net des contours.
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Les traits dépassent les uns sur les autres entrecoupant chaque vêtement et morceau de décor © Atsushi Kaneko - Ankama
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Par opposition, les visages sont parfaitement net, aucune ligne en trop et différentes épaisseurs de traits renforce l’expression des personnages © Atsushi Kaneko - Ankama
L’édition française est soignée, les pages couleur sont respectées et les pages d’introduction sur papier calque sont conservées. La jaquette en bichromie, noir et bleu n’est pas glacée ni pelliculée ce qui renforce le côté atypique du titre.
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© Atsushi Kaneko - Ankama
Un peu lent a démarré au niveau de l’histoire, ce manga cache de grands mystères qui malheureusement ne seront que peu dévoilés dans ce premier tome. Néanmoins, cela attise la curiosité du lecteur qui devrait se jeter sur les dix prochains volumes afin de découvrir quelles énigmes cachent cette ville de " Soil ".
Gwenaël Jacquet
" Soil " T1 par Atsushi Kaneko
Éditions Ankama, Collection Kuri Seinen (8,55 &euroWinking
(1)" Hitman " de Hiroshi Mutô. Polar violent racontant la double vie de Tôkichi, employé de bureau se muant en tueur à gages. Série finie en 17 volumes (7,95 &euroWinking.
" La Paire et le Sabre " de Hideki Yamada, série destinée aux garçons qui compte actuellement 5 volumes (7,95 &euroWinking. Grosse poitrine et fans service dans le Japon des samouraïs.

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"La Plaine du Kanto" T1 par Kazuo Kamimura

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Kazuo Kamimura nous a laissé une quantité impressionnante de mangas plus intéressants les uns que les autres. Grand maitre du gekiga, il disparut en 1986, à seulement 45 ans. Kana continue donc d’éditer ces chefs d’œuvre du patrimoine japonais. Après " Lorsque nous vivions ensemble " et " Lady Snowblood " c’est au tour de cette histoire, peut être la plus personnelle, d’être traduite en France : " La Plaine du Kanto "...

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L’histoire débute le 15 aout 1945, le Japon vient de capituler. Un avion de l’US air-force s’écrase en rase campagne. Kinta, le héros de ce manga n’a que sept ans et est pourtant, aux premières loges avec ses camarades pour voir ce spectacle étrange du démon américain. Les paysans japonais refusant la défaite sont là pour en découdre. Armé de leurs bambous taillés en pointe ils n’iront pas bien loin tellement ils ont la frousse. Le grand-père de Kinta, lui, n’a pas peur de s’approcher de cet étranger et, en tant qu’homme de lettres, il réussit à converser avec lui et finira par l’héberger quelque temps.
Ainsi commence la série des découvertes de Kinta qui amèneront le lecteur à suivre son apprentissage de la vie. Entre premiers émois sexuels et bagarre entre camarades de classe, le jeune japonais grandira bien vite dans ce pays sous domination militaire américaine. Il développera son sens artistique, alors qu’il rêve d’être cuisinier ; il apprendra à braver les interdits et comprendra peu à peu que le monde adulte n’est pas toujours juste. Cela justifie pleinement le sous-titre de ce livre : " images flottantes de la jeunesse ".
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Konji Kankei © Kazuo Kamimura / Kamimura production - Kana
Le récit est crue et réaliste, Kazuo Kamimura montre indéniablement son talent de conteur pour adultes. C’est un gekiga à l’ancienne comme il y en a très peu de publiés en France. Les traits au pinceau et à la plume sont harmonieux et les personnages typés. On sent au travers du jeu d’ombre la lumière plombante de l’été japonais : chaud et humide. La construction narrative, simple, mais efficace permet une lecture rapide et agréable. Impossible de confondre les personnages, ils ont chacun leurs particularités et leur caractère propre. Personne n’est manichéen, chaque protagoniste a sa part d’ombre ou un secret bien à lui. Ce sera même une partie de l’intérêt du récit, les mystères des uns et des autres dans l’entourage de Kinta. Le lecteur ira de surprise en surprise et celles-ci auront bien entendu des conséquences heureuses ou fâcheuses, comme dans la vraie vie.
Mais plus qu’une histoire humaine, c’est également une ode aux paysages avec ses étendues montagneuses et ses plaines interminables. La nature est présente à tous les échelons du récit. Les herbes hautes servent à se cacher des ennemis ou pour ne pas être vu dans ses actes honteux. Par extension, la ville est également représentée avec ses constructions nouvelles offrant une opportunité de développement pour cette petite partie du Japon dans lesquels Kinta est enfermé alors que de nombreux protagonistes viennent de l’extérieur. C’est l’une des œuvres de Kamimura ou sont dépeints d’aussi grands paysages. Étendue sur de nombreuses doubles pages, ils offrent un cadre de vie grandiose à cette petite communauté.
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Konji Kankei © Kazuo Kamimura / Kamimura production - Kana
Prévu en trois tomes, ce premier volume a de quoi mettre en bouche pour la suite. Le gekiga, genre peu présent chez nous, du moins pour ce genre de récits, axés sur l’humain, a ici de quoi montrer une facette bien différente de l’image habituelle du manga commercial. Plus réaliste et osant parler de choses crues de manière simple et non vulgaire, il saura toucher le lectorat adulte des habitués comme des novices en matière de bande dessinée japonaise.
En ancrant cette aventure dans le Japon d’après-guerre, Kamimura a su raconter une histoire touchante ne demandant pas de connaissance spécifique du Japon de cette époque. Trois livres indispensables dans une bonne bibliothèque, même celle n’hébergeant habituellement pas de BD.
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Konji Kankei © Kazuo Kamimura / Kamimura production - Kana
Gwenaël JACQUET
" La Plaine du Kanto " T1 par Kazuo Kamimura
Édition Kana (18&euroWinking

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Hell Blade" T1 par Je Tae Yoo

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Le mythe de Jack l’Éventreur revisité par un artiste coréen, voilà ce que nous propose " Hell Blade ", la lame de l’enfer. Tout le monde ou presque connait cette histoire où un tueur en série visait les prostituées de Whitechapel, en Angleterre. Jack était le tueur et la police, elle, était sur les dents...

Avec son premier manhwa (1), Je Tae Yoo offre une vision bien différente de cette série de faits divers. Le bien et le mal se confondent et les apparences sont parfois trompeuses. Roy Johnson, jeune policier en charge des meurtres de Whitechapel, n’a rien trouvé de mieux que de coucher avec Susan Reynold, jeune veuve dont le mari, coureur de jupon et alcoolique, vient de décéder dans des circonstances étranges. Pour compliquer les choses, la belle-mère de Susan (d’une jalousie maladive) soupçonne les deux amants et décide de s’en prendre à sa belle-fille.
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© Je Tae Yoo - Ki-oon 2011
Tout ne se passera pas comme prévu et Susan, afin d’éviter d’être étranglée par sa belle-mère, finira par la poignarder avec un éclat de verre qui traine sur le sol. Cela ressemble fort à de la légitime défense, mais vu le climat actuel, les deux amants paniquent. Afin de maquiller leur forfait, ils vont tenter de faire passer ce décès comme une nouvelle victime de l’éventreur... L’Église Anglicane va envoyer deux de ses " agents " pour seconder la police et découvrir la vérité sur ces meurtres mystérieux. Immédiatement, ils découvrent la supercherie, il y a eu deux meurtres cette nuit, et un seul est réellement l’oeuvre de Jack.
Là où tout se complique, c’est lorsque la femme de chambre entend une conversation où Susan avoue le meurtre de sa belle mère. Poussé par son amante, Roy panique et l’assassine froidement. Ils doivent alors s’enfuir car de plus en plus de soupçons convergent vers eux.
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© Je Tae Yoo - Ki-oon 2011
La suite de l’histoire fera tomber les différents mythes ayant servi à sa fondation. Jack n’est pas le tueur froid que nous avons l’habitude de rencontrer et les victimes ne sont pas si innocentes que ça. Ce manhwa glisse rapidement vers l’ésotérique et le gore. Les monstres sont hideux, les combats sanglants. Tous les classiques de la littérature et du folklore londonien de la fin du dix-neuvième siècle semblent se retrouver ici : même Scherlock Holmes, jeune, fera une apparition.
Plus que le mythe anglais, Je Tae Yoo s’est clairement inspiré des standards japonais du genre. On sent une affinité toute particulière avec les productions du studio Mad House et, notamment, les œuvres de Shoji Kawajiri. Les personnages principaux sont élancés, ils ont le regard froid et le rire pervers. Les costumes sont tirés au cordeau et collent parfaitement à l’ambiance victorienne. Les monstres, humanoïdes, sont démesurés, dégoutants et prêts à se battre. Les femmes sexy et d’une perversité à faire froid dans le dos. La mise en page est dynamique et sert le récit à merveille. On ne s’ennuie pas une seconde et on avance de rebondissement en rebondissement.
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© Je Tae Yoo - Ki-oon 2011
Tous les stéréotypes sont là, Je Tae Yoo, n’a pas pris de gros risques pour sa première œuvre. Pourtant, " Hell Blade " est extrêmement agréable à lire et l’idée de prendre un mythe archi connu, pour le détourner, marche à merveille. On se laisse prendre par l’histoire et ce qui nous semblait une évidence, au départ, disparait petit à petit ; le lecteur ne sait plus ou est le bien et le mal. La suite risque d’être plus classique puisque les inversions et les mélanges des genres sont expliqués tout au long de ce premier volume. Le scénario reste pourtant simple et le public visé est, manifestement, les adolescents ; tellement la violence est exacerbée et le satanisme magnifié. Néanmoins, on attend la suite avec impatience...
Gwenaël JACQUET
" Hell Blade " T1 par Je Tae Yoo Édition Ki-oon (7,50&euroWinking
(1) Bande dessinée coréenne.

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"La Loi du temps" par Hiroshi Hirata

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Hiroshi Hirata fait partie de ces figures emblématiques du manga historique. Spécialisé dans les récits de samouraï, il excelle dans ce domaine. Les Éditions Delcourt, via la société Akata, continuent de publier sporadiquement les œuvres du maître. Après deux numéros de son manga féministe " Plus forte que le sabre ", sort le volume unique de " La Loi du temps " : recueil de quatre nouvelles qui se focalisent sur la nature humaine et ses changements de comportement au fil de son apprentissage et de sa relation avec les autres.

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De tous les auteurs de Gekiga publiés en France, Hirata a une place particulière. Premier auteur de manga à avoir été traduit en France, même si cela s’est fait de manière non officielle, il fut également un invité de marque du festival d’Angoulême en 2009. Ses histoires, dont le réalisme est renforcé par de nombreux emprunts historiques, se lisent comme un roman illustré a la manière d’un Edgar P. Jacobs, la science-fiction en moins. Le trait d’Hirata, sur ces quatre récits, est, comme à l’accoutumée, franc, réaliste et dynamique. Une réalité bien crue d’ailleurs, les combats sont à l’image de la vie dans cette contrée médiévale, brutale et courte. Il y a peu de fioritures, l’action est explicative, pas besoin de s’éterniser en palabres inutiles et déplacées, comme dans la plupart des shônens. C’est cette vision de la vie expliquée de manière juste et détaillée qui fait l’intérêt et le succès de ces récits. L’histoire semble vraie, comme sortie d’un manuel scolaire. Le lecteur, qu’il soit français ou même japonais, apprend énormément sur le mode de vie du Japon médiéval : sa politique, ses contraires, son impôt et ses mœurs bien différents d’aujourd’hui.
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Pages 3 à 52 : " La Danse du vaste amour "
Ce récit commence par un combat à mort entre une jeune femme sûre d’elle et des assaillants entraînés au sein d’un Dojo réputé. La scène est expédiée en trois pages et pose le contexte de l’histoire, puis remonte dans le temps pour nous expliquer son geste. Ôsaki Riya a été recueilli à l’âge de deux ans par sa tante suite au meurtre de son père et au suicide de sa mère. À treize ans, elle entreprit de rechercher l’assassin de son père et de venger, ainsi, la mort de ses parents. L’histoire s’étendra sur de nombreuses années et Riya deviendra une femme forte et respectée. Mais elle traversa de nombreuses épreuves douloureuses et finit par se reconstruire avant de, finalement, retrouver l’assassin. Néanmoins, tout ne se passera pas comme elle l’avait imaginé.
Cette histoire introduit parfaitement la notion de temps dans l’œuvre d’Hirata. Les choses changent et on ne maitrise pas toujours sa vie : il faut en accepter les contraintes et surmonter les problèmes, en groupe, aide à se forger une identité et un caractère.
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Pages 53 à 102 : " Il vivait des jours tranquilles … ou les huit vrais hommes du fief Yoshida, province de Iyo "
Tamagaki Jûzaemon, greffier au service d’un puissant seigneur local vivait une vie simple. Il ne parlait pas beaucoup, il exécutait les ordres donnés et consignait les faits dans les registres officiels qu’il tenait avec une extrême rigueur. Sa calligraphie parfaite forçait l’admiration de ses collègues de travail qui, pourtant, le trouvait austère. Sa seule passion : jouer aux Shôji avec sa femme. Yamada Chûzaemon, premier intendant, détournait l’argent des impôts pour son profit personnel. Il se fit bâtir une superbe demeure ou les servantes devenaient des objets de dépravation sans qu’elle puissent s’en plaindre.
L’histoire, étalée sur de nombreuses années, montre la corruption et les mœurs dissolues de cet intendant qui se comporte comme un tyran absolu. Elle montre également qu’un homme est capable, à lui tous seul, de renverser le cours de l’histoire ; mais c’est a vous de découvrir comment lire ce récit a la construction narrative passionnante.
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Pages 103 à 152 : " La Brigade du Byakko-Taï ou un épisode inconnu de la guerre de Boshin "
Basé sur des faits historiques, cet épisode commence par le suicide rituel par seppuku de seize jeunes guerriers âgés de quinze à dix-sept ans, suite à la prise de leur château par l’ennemi. Inuma Sadakichi, rata sa mort et ce fut le grand malheur de sa vie. Alors que l’ère Meiji commençait, suite à la capitulation du fief Aïzu le 22 septembre 1868, le Japon sortait de sa période féodale. L’industrie et les télécommunications commençaient à arriver au Japon. La guerre avec les pays voisins redoublait et pourtant, Sadakichi, devenu ingénieur des télégraphes refusait toujours de porter une arme. Il s’estimait déjà mort, avec ses camarades, lorsqu’il n’avait que quinze ans.
Ce récit, plein de réalités crues sur le passage de l’ère féodale à l’ère industrielle montre, au travers de la vie de cet homme, que tout cela s’est fait dans la douleur, mais le cours de l’histoire et son avancée est inéluctable.
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Pages 153 à 202 : " Kenzan "
Cette histoire, écrite comme un roman illustré, commence par la décapitation et l’éventration de paysans ayant commis des fautes minimes. À cette époque, un homme, Kenzan, faisait régner la terreur sur ses terres. Il interdisait aux paysans de s’amuser, de trop dormir et même de manger à leur faim. À la moindre contrariété, il décapitait les hommes qui lui tenaient tête, même s’ils faisaient partie de ses meilleurs soldats. Les paysans, craintifs, refusaient de se rebeller. Pourtant, un jour, alors qu’il s’était blessé en tombant dans la rivière, il fut recueilli par un paysan qui le soigna. Une fois remis de ses blessures, il lui expliqua, pendant de longues heures, ce qu’il endurait sans se plaindre, juste par des faits.
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Ses doléances exprimées, il se trancha lui même la tête. Kenzan fini par repartir chez lui, guéri, et change quelque peut sa politique. Néanmoins, le seigneur propriétaire des terres ne l’entend pas exactement de cette oreille.
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Ce récit clôture de manière pessimiste ce livre. Pourtant, au travers de ces différentes histoires, de ces vies d’hommes et de femmes, on peut voir le Japon évoluer, changer et se moderniser. Ce manga est atypique, il est destiné à un public très large et bien loin des clichés traditionnels. Il comblera l’amateur d’histoire japonaise tout comme celui des films de samouraïs, le lecteur de bande dessinée d’action comme le lecteur de manga traditionnel cherchant quelque chose de plus mâture.
Une œuvre incontournable et indispensable dans toute bonne bédéthèque.
Gwenaël JACQUET
" La Loi du temps " par Hiroshi Hirata Éditions Delcourt, volume unique (11 &euroWinking

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

Akiba Manga n°1

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Depuis des décennies, les Japonais utilisent le vote des lecteurs pour déterminer le succès d’une série en prépublication. L’éditeur Ankama fait également le paris de l’interactivité en se basant sur les votes sur internet afin de déterminer le contenu de son nouveau magazine : Akiba Manga.

Comme il est expliqué en préambule dans l’édito, toutes les tentatives d’édition de magazine de BD en France se sont soldées par des échecs. Ankama est réaliste sur ce projet ; tout le monde sait que cela sera dur, qu’il faudra faire ses preuves. La prépublication de BD en France n’est pas un secteur porteur ; il n’y a pratiquement plus que la revue " Spirou " qui continue d’être distribuée en tant que magazine proposant de la création, mais il est devenu plus une vitrine pour son éditeur (Dupuis) qu’une véritable source de revenu.
Au Japon, par contre, les différentes revues de prépublication de manga se vendent assez bien, malgré une baisse significative du tirage que l’on a observé ces dernières années. Les Japonais ayant souvent de longues heures à tuer dans le transport en commun, ils sont friands de magazines faciles à lire et vite consommés. D’énormes bacs récupérateurs de papier sont même disséminés aux sorties des gares : rien ne se perd, rien ne doit trainer. Le manga est, du coup, un excellent moyen de se divertir durant ces longs trajets chaotiques. Les histoires sont facilement repérables grâce aux différents papiers de couleurs répartis dans les magazines. Les séries sont analysées par les lecteurs et ils peuvent voter en retournant un coupon ; ceci afin de faire grimper leur série favorite et d’empêcher, ainsi, qu’elle ne soit supprimée dans les numéros suivants. Le succès d’un auteur tient réellement entre les mains de ses lecteurs. Il faut donc innover à chaque épisode et laisser un suspense permanent afin de se retrouver bien positionné dans le magazine et, consécration ultime, faire la couverture et avoir les premières planches du chapitre de la semaine en couleur.
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" Akiba Manga " reprend à peu près les mêmes ingrédients avec une pagination moins imposante. Ce recueil fait quand même 228 pages et les 32 premières sont en couleur. Le reste est imprimé en noir et blanc sur un papier offset de base apparemment issue de papier recyclé. Le format (17 x 24 cm) rappelle plus celui des comics, mais est classique en matière de prépublication. La couverture couleur est en cartonnette souple et pelliculée, ce qui garantit une bonne tenue dans le temps.
Au niveau du contenu, on trouve huit bandes dessinées. Sept sont des créations originales pour " Akiba Manga " car elles sont scénarisées par des auteurs français et dessinés par des Japonais. L’autre bande dessinée, tout en couleur, est un manga inédit de Shingo Araki, le character designer des " Chevaliers du zodiaque ". Publiée à l’italienne, cette histoire nécessite de tourner la revue pour la lire. Araki n’est pas, à la base, un dessinateur de manga. Il travaille plutôt dans l’animation même si, au départ, il s’est lancé dans le dessin en publiant quelques histoires dans les kashibon, revues à louer en vogue après guerre. Pour ce manga de quatorze pages, " Sourire ", il a repris un scénario imaginé durant sa jeunesse. L’histoire se passe en 1958, à Nagoya. Ken, jeune lecteur d’illustrés, trouve une annonce pour un concours de dessin. Il décide d’y participer, mais il se rendra compte que le monde de l’édition est impitoyable. Entièrement dessiné au crayon et mis en couleur directe, ce travail n’a rien à voir avec le trait habituel que nous connaissons de Shingo Araki. C’est brouillon, mal colorié et l’histoire n’a ni queue ni tête. Même si Araki est une figure emblématique de l’animation japonaise, son nom ne suffit pas à faire de cet ovni un chef d’œuvre. On sent pourtant la maitrise des proportions et de la gestion de l’espace. Dommage que le reste ne suive pas.
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© Shingo Araki - Ankama 2011
Les sept autres mangas sérialisés dans cette revue sont soumis au vote des lecteurs. Sur internet, il est possible de voir la tendance de chaque épisode et directement de voter pour le chapitre le plus apprécié en se rendant sur le site :
www.manga-akiba.com. Il est également possible de voter par courrier, mais c’est vrai qu’à l’heure d’Internet un simple clic suffit.
Les sept séries composant ce premier numéro sont :
" Les Dix de Sanada " : scénario de Glou, dessin de Kosato.
Un jeune français s’endort et rêve d’un massacre ayant eu lieu dans le Japon ancien. Basé sur le légendaire ninja Sasuke Sarutobi, ce manga met en scène des faits surnaturels dans le Japon médiéval. Le dessin est nerveux, les traits sont simplement crayonnés et la mise en couleur ainsi que la trame grise sont réalisées à l’ordinateur. La mise en scène est variée et l’histoire, même si elle reste encore énigmatique, avance assez rapidement et sa construction semble claire. À surveiller, car la portée culturelle de ce titre peut être intéressante, l’histoire étant basée sur des faits historiques.
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© Glou et Kosato - Ankama 2011
" Terminus " scénario de Luna Tick, dessin de Takada Katsura.
Kaede, jeune étudiante, vient de se jeter sous les roues d’un train, pourquoi ? L’histoire remonte dans le temps afin de nous expliquer ce suicide. Le dessin de cette série est classique et ressemble à beaucoup de mangas. Trait à la plume, trame pour les ombres, visages arrondis, environnement scolaire et protagonistes étudiants. La mise en page sait alterner les cases intimistes, les gros plans et les plans larges. Les décors sont détaillés et situent parfaitement l’action. Le scénario finit sur un clifhanger et personnellement, j’ai hâte d’avoir la suite. Cette histoire est présentée comme un shôjo manga, même s’il est composé d’héroïnes et que le thème du mal-être de la jeunesse semble plus correspondre aux jeunes filles, le dessin reste typiquement shônen. il fallait bien essayer d’attirer le public féminin.
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© Luna Tick et Takada Katsura -Ankama 2011
" Pandémonium " scénario de Glou, dessin de Savan.
Première des deux histoires mises en image par Savan. "Pandémonium est le nom donné a la section d’élite de la police qui est censé lutter contre les phénomènes paranormaux, loups-garous, fantômes, sorcières, etc. Le scénario est convenu, le positionnement shônen revendiqué, et les personnages sont pour la plupart des héroïnes au caractère fort et aux formes généreuses. Savan dessine vite, tellement vite qu’il réalise deux fois vingt pages par mois dans la revue. Pourtant, il confond vitesse et précipitation, le trait est malhabile, les dessins bâclés et convenus. Les plans se répètent souvent et les décors peu nombreux. Tout est stéréotypé.
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© Glou et Savan -Ankama 2011
À noter que l’illustration de couverture du magazine est tirée de cette histoire. Néanmoins, si le dessin de base est dû à Savan, c’est l’illustrateur Alexandre Papet qui l’a entièrement réalisé puisqu’il est également à l’origine de la création du logo " Akiba Manga ". Une très bonne idée et une très bonne réalisation qui a su garder le meilleur du trait de Savan et l’enrichir. L’harmonie des couleurs, dans les tons rose et vert, finit d’embellir ce dessin.
" Agent Suicide " scénario de Daynhe Binatai et Glou dessin de Shino.
Thriller politique sur fond de terrorisme mondial. Ce premier épisode pose les bases de ce qui va amener l’action et le suspense. Le dessin à la plume est particulièrement réussi. Nerveux, mais juste, Shino, jeune mangaka talentueuse sait mettre en avant ses personnages. Ses décors sont nombreux et réussis, sa mise en page variée soutient parfaitement l’action et les drames qui planent sur cette histoire. Une réussite.
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© Daynhe Binatai, Glou et Shino -Ankama 2011
" Absynthe " scénario de Glou et Yasmine, dessin de Savan.
On retrouve le dessinateur Savan pour la seconde fois dans ce numéro. Teoxane, l’héroïne est hantée chaque nuit par des cauchemars. Amnésique, elle a été recueillie il y a six mois par Jin Chevalier, jeune policier franco-japonais plein de charme. Histoire étrange desservie par un dessin bâclé où les protagonistes sont mal proportionnés et les décors simplistes, mais quand même plus présents que dans " Pandémonium ". Espérons que les chapitres suivants auront au moins le même niveau que celui-ci.
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© Glou, Yasmine et Savan - Ankama 2011
" La Valse des corps ". Scénario de Daynhe Binatai et Yasmine, dessin de Hashiura Kenta.
Histoire policière où un profiler suit un tueur méticuleux qui depuis dix ans perpètre un meurtre tous les cent jours. La postface nous apprend que Hashiura Kenta n’a eu qu’une semaine pour livrer les vingt planches de son histoire. En effet, cela se ressent immédiatement. Mais bon, vu le niveau de dessin de ce jeune auteur, même un mois n’aurait vraisemblablement pas suffi à réaliser un travail digne de publication. Les personnes sont raides, le trait est froid, les décors inexistants, les proportions aléatoires, les cadrages simplistes... Ce travail n’est même pas suffisant pour figurer dans un fanzine, on le croirait fait par un élève de CM2 à l’heure du gouter. Le plus gros souci de cette histoire est qu’il faudra la supporter encore pendant trois numéros avant qu’elle ne soit remplacée. Ça va être long.
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© Daynhe Binatai, Yasmine et Hashiura Kenta - Ankama 2011
" La Mort en grève " scénario de Daynhe Binatai et Yasmine, dessin de Harada Midori.
La mort vient de disparaitre, plus personne ne décède et c’est la panique dans l’au-delà. C’est donc le moment opportun d’envoyer un nouveau prophète. Si le scénario n’est pas des plus originaux, le dessin de son côté sort de l’ordinaire. On est loin du manga traditionnel à part le noir et blanc omniprésent. Les personnages sont particulièrement soignés, leurs attitudes justes et leurs traits reconnaissables. On sent la patte professionnelle derrière le graphisme. La mise en scène est irréprochable, les plans parfaitement gérés. Les décors sont peu nombreux, mais soignés et explicites. De quoi séduire les lectrices les plus exigeantes ! Espérons que l’histoire suivra.
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© Daynhe Binatai, Yasmine et Harada Midori - Ankama 2011
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Le reste du magazine est composé d’articles culturels. En pages couleur au début : critique des OAV de Cobra et du jeu Marvel vs Capcom. En pages noir et blanc, en fin de revue : critiques de quatre mangas traduits, historique succinct de la BD japonaise, article sur le quartier d’akihabara, l’édition belge de Japan Expo, le Nouvel An japonais et une recette de Bento.
Le titre du magazine vient d’ailleurs du nom de ce quartier de Tokyo réputé pour être le lieu de rendez-vous des Otaku et autres fans de manga, de haute technologie et de produits innovants.
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© Ankama 2011
Un numéro bien complet, assez varié et surtout un pari osé. Si certains mangas ont du succès, des recueils seront édités. Les autres finiront leur vie oubliés en dernières pages du magazine avant de disparaitre. L’éditeur fera néanmoins en sorte de laisser à l’auteur au moins trois chapitres pour clore dignement la série.
Vendu à un prix abordable, ce magazine peut trouver son public. Attendons le mois prochain pour juger de son potentiel réel.
Gwenaël JACQUET
Akiba Manga n°1 Édition Ankama (4,95&euroWinking
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Une très belle couverture pour ce numéro un réalisée par Alexandre Papet d’après la série " Pandémonium " de Glou et Savan © Ankama 2011
Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Crimson-prince" T1 & 2 par Souta Kuwahara

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Nouveau manga paru chez Ki-oon, " Crimson Prince " s’adresse clairement à un public âgé d’une douzaine d’années. Néanmoins, il remplit à merveille son rôle : divertir avec une histoire mignonne, pleine de bons sentiments, et très bien construite. Huit volumes sont déjà parus au Japon et la série est toujours en cours...

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© Souta Kuwahara - Square Enix - Ki-oon
Au départ, ce manga ne paye pas de mine. Pourtant, la couverture cible parfaitement son public : les jeunes filles entre dix et douze ans. Le trait est rond et maitrisé. Les couleurs sont dans les tons de rouge extrêmement bien répartis et savent utiliser les dégradés à bon escient : peu d’effets, beaucoup d’aplats. Une couverture empreinte de mélancolie naïve : de quoi combler les jeunes lectrices.
L’intérieur est lui aussi plutôt réussi : les dessins, en noir et blanc, sont classiques et maitrisés. La mise en page agréable (mais aussi le scénario) embarque rapidement le lecteur et les chapitres s’enchainent automatiquement, sans que l’on s’en rende compte. Une fois le premier tome fini, on en redemande... Heureusement, les éditeurs français sortent maintenant les deux premiers numéros d’une série en même temps : de quoi ne pas rester frustré trop longtemps.
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© Souta Kuwahara - Square Enix - Ki-oon
Quoi qu’il en soit, il faut bien se plonger dans la peau d’une jeune fille d’une dizaine d’années pour apprécier cette histoire naïve et pleine de poésie. Le plus étrange est, qu’au Japon, cette histoire est sérialisée dans le magazine Shounen GanGan de Square Enix. Or, ce magazine mensuel est plutôt destiné aux jeunes garçons : pourquoi pas !
Le scénario est basique : Kôjirô Sakura est un prince des démons qui étudie, comme tout enfant, afin de parfaire son éducation... de démon. Pour valider son cursus scolaire, il doit faire un stage sur terre avec une mission bien particulière, liée à son rang de prince : trouver et éliminer un humain aux pouvoirs exceptionnels afin de l’empêcher de s’allier au monde du ciel. Comme il est un peu malchanceux, et bien moins méchant que son statut de démon pourrait nous faire croire, il commence par se faire assommer avec une balle de base-ball. Il est soigné par Hana, jeune fille providentielle et pleine de joie de vivre. Elle finira par héberger Kôjirô, car, à cause de l’incident avec la balle, il est arrivé en retard à son hôtel et sa chambre a déjà été relouée : il n’a vraiment pas de chance. Bien évidement, l’Œil pourpre, mystérieuse puissance de démons s’affole au contact de Hana. Serait-elle la personne qu’il recherche ?
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© Souta Kuwahara - Square Enix - Ki-oon
Je vous avais prévenu, l’histoire est convenue : rien de vraiment innovant ou particulièrement mémorable dans " Crimson Prince ". Pourtant, ça marche ! À la lecture de ce manga, on se laisse embarquer dans les déambulations tragicomiques de cette apprentie démon. Le dessin clair nous aide beaucoup à dévorer littéralement l’histoire.
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Le premier volume a la particularité d’être scindé en deux parties distinctes. D’un côté, le récit de base avec les trois premiers chapitres (lequel se continuera avec le volume 2) ; alors que la seconde moitié du premier tome reprend la nouvelle qui a servi de principe de départ à l’auteur pour une série plus longue : Smile Game. C’est un classique au Japon. Les éditeurs testent les histoires sous forme de récit complet dans leur magazine de prépublication puis, si le succès est au rendez-vous, ils commandent une série à suivre. La structure de cette histoire complète diverge énormément par rapport à la série. Il y a toujours cette histoire de démon devant passer son examen sur terre mais, cette fois-ci, il devra voler un sourire à une jeune fille taciturne qui ne sourie jamais. Gros chalenge si les dés n’étaient pas pipés. C’est amusant, plein de naïveté, mais ça se lit très facilement. En revanche, il est étrange d’avoir placé cette nouvelle en fin du premier volume, la tradition fait, qu’en général, l’éditeur le propose en clôture de série ou dans un recueil à part. Comme c’est le premier manga relié de Souta Kuwahara, peut être que l’éditeur n’as pas voulu prendre de risque.
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© Souta Kuwahara - Square Enix - Ki-oon
Quand au second volume, il démarre sur les chapeaux de roue avec un long chapitre d’action pour ensuite reprendre son rythme normal, un peu contemplatif. À voir où cela mènera l’histoire sur plus de huit tomes, celle-ci étant toujours en prépublication au Japon.
" Crimson Prince " n’obtiendra surement pas le prix du manga de l’année ou celui de l’originalité, mais fera passer un bon moment à son lecteur et c’est ce qu’on attend d’une œuvre bien construite.
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© Souta Kuwahara - Square Enix - Ki-oon
Gwenaël JACQUET
" Crimson-prince " T1 & 2 par Souta Kuwahara Édition Ki-oon (6,5 &euroWinking
Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Summer Wars" par Iqura Sugimoto

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Adapté du long métrage du même nom, le manga " Summer Wars " prend néanmoins une certaine liberté par rapport au scénario original. Et c’est tant mieux, car il se trouve être plus agréable qu’une simple adaptation rébarbative. Choisi, en personne, par le réalisateur Mamoru Hosoda, le dessinateur du manga, Iqura Sugimoto, a pris ses distances par rapport au film et a ainsi pu rajouter certains passages impossibles à placer dans le long métrage du fait de sa durée limitée, comme cela est indiqué en postface du livre.


Si Mamoru Hosada est assez connu à travers le monde, c’est avant tout pour son excellent film " La Traversée du temps ". " Summer Wars " est son cinquième long métrage. Avant cela, il n’avait travaillé que sur des adaptations cinématographiques de série TV comme le sixième film de " One Piece " et les deux premiers films de " Digimon "(1). Du coup, cela se ressent clairement dans " Summer Wars ", le scénario du film est bien adapté à un public jeune, adepte de scènes d’action et sensible aux valeurs morales de la famille. Même si, techniquement, il est intéressant, l’histoire basée sur des poncifs tombe un peu à plat et les rebondissements ne surprendront que peu de spectateurs.

Première planche du manga © Mamoru Hosada - Iqura Sugimoto - Kadokawa Shoten - Kaze
Si, en 1983, " War Games " faisait son petit effet en montrant un très jeune informaticien prendre le contrôle de la planète à partir du réseau, aujourd’hui, cela semble un peu surfait. Même si Facebook, Second Life, Habbo, Twitter et autre réseaux sociaux envahissent notre monde virtuel et s’interconnectent de plus en plus entre eux, aucun n’a la prétention de se substituer à la vie physique en remplaçant chaque humain par un avatar. C’est pourtant le principe de départ du scénario de " Summer Wars " : OZ, le réseau des réseaux, interconnecte chaque humain, chaque administration, chaque commerce dans le monde. Il traduit à la volée les dialogues, offre un espace virtuel pour faire des démarches administratives bien réelles, permet de faire du shopping, du sport, des rencontres et bien d’autres activités sans lever le nez de son écran ; que ce soit, celui de l’ordinateur, du téléphone ou de la console de jeu dernier cri : une vision un peu schizophrène du monde informatique, pourtant présenté de manière idyllique.


Deux visons d’OZ © Mamoru Hosada - Iqura Sugimoto - Kadokawa Shoten - Kaze
Le manga contrairement au film ne commence pas par la présentation d’OZ. Il parle d’abord de la complexité des rapports humains en montrant l’attirance du héros, Kenji, pour sa camarade de classe : Natsuki. Bien sûr, l’histoire reprend les mêmes bases, mais en mettant l’accent sur les personnages, en les rendant humains. Le lecteur découvrira réellement OZ, au fur et à mesure. Ces différences sont logiques, Igura Sugimoto a commencé à travailler sur son œuvre alors que le film n’était pas encore finalisé.

© Mamoru Hosada - Iqura Sugimoto - Kadokawa Shoten - Kaze
Kenji, jeune nerd peu sur de lui, est embauché par Natsuki : la fille la plus populaire du lycée, laquelle a un caractère bien trempé. Il doit l’accompagner, à la campagne, pour jouer le rôle de son petit ami lors de l’anniversaire de sa grand-mère. Bien évidemment, Kenji s’est fait manipulé sur ce coup, il n’était pas au courant du rôle qui lui était demandé. Tout comme il s’est fait manipuler en recevant un courriel avec un problème de mathématique insoluble pour le commun des mortels. Sauf que Kenji est un crack en math et que, en une nuit, il réussira à résoudre l’équation... Ce qu’il ne sait pas, c’est que le code qu’il a renvoyé permettra à une entité virtuelle de prendre le contrôle d’OZ et, donc, de plonger le monde réel dans une pagaille monstre. Kenji est réellement le stéréotype du nerd, de l’otaku, extrêmement intelligent, mais renfermé et incapable de réagir au monde qui l’entoure.

Illustration typique du nerd en action. © Mamoru Hosada - Iqura Sugimoto - Kadokawa Shoten - Kaze
Iqura Sugimoto, le dessinateur du manga " Summer Wars " n’est pas un inconnu en France. Il a déjà publié " Variante " chez Glenat, en 2008(2).
Manga beaucoup plus violent et destiné à un public averti, contrairement à cette adaptation d’un animé tous public. Le dessin est également différent puisque basé sur les travaux préparatoires de Yoshiyuki Sadamoto, character designer extrêmement célèbre pour la création des personnages de " Nadia ", " Evangelion " et, bien évidement, ceux de " La Traversée du temps". Néanmoins, on retrouve la dynamique du trait de Sugimoto : ses personnages sont expressifs et la mise en page dynamique. Un vrai plaisir pour les yeux ! La gestion de l’espace et la mise en scène des différents protagonistes sont parfaitement gérées. On s’attache vite à ces nombreux personnages et à leurs différences de caractère, ce qui offre un bon moyen de varier le cours des choses et de relancer l’intrigue. Les situations sont un peu stéréotypées, mais c’est un classique de la bande dessinée, et pas seulement japonaise. Prévu en trois volumes, le premier se termine inévitablement sur un énorme clifhanger.

Double planche d’introduction du manga © Mamoru Hosada - Iqura Sugimoto - Kadokawa Shoten - Kaze
À savoir pour les collectionneurs, cette première édition de " Summer Wars ", tirée à 10 000 exemplaires quand même, est présentée avec une jaquette plastique reprenant le visuel des avatars d’OZ. Si le manga est réédité, elle ne sera pas présente. Bien entendu, la jaquette normale est cachée en dessous. Je dois dire que je la trouve bien plus attrayante grâce à un superbe dessin mis en couleur à l’aquarelle.

Version collector à gauche, jaquette normale à droite.© Mamoru Hosada - Iqura Sugimoto - Kadokawa Shoten - Kaze
" Summer Wars " reste un bon manga, même si son scénario original n’est pas très captivant. Néanmoins, cette version reste bien au dessus du film de Mamoru Hosoda, car Iqura Sugimoto a su rattraper par son dessin, et par sa construction narrative, la plupart des écueils dans lesquels le réalisateur était tombé. Même si vous n’avez pas aimé le film, plongez-vous dans le manga : vous serez surpris.

© Mamoru Hosada - Iqura Sugimoto - Kadokawa Shoten - Kaze
Les premières pages sont en lecture libre sur le site de Kaze : http://preview.kaze-manga.fr/flash/omv/index.php ?x=sum/sum1
Gwenaël JACQUET
" Summer Wars " par Iqura Sugimoto Éditions Kazé manga (7,50&euroWinking
(1) Mamoru Hosada commence sa carrière comme intervaliste sur la série " Magical Tarurūto-kun ", de 1991 à 1992. En 1993, il passe animateur sur l’épisode 5 de la série d’OVA de " Crying Freeman ". Rôle qu’il reprendra pour la série d’OVA de " Kamen Rider SD ", la même année ; il enchaîne ensuite avec l’épisode 173, et avec le huitième film de " Dragonball ". Il devient assistant à la direction d’animation sur le film " Coo : Tōi Umi Kara Kita Coo ", à la fin de l’année 1993. Il continuera comme animateur sur des séries comme " Slam Dunk " (épisode 28 en 1994 et 70 en 1995), le premier long métrage de " Yu Yu Hakusho " ou le dixième film de " Dragonball ". En 1995, il continue avec les épisodes 1 et 7 de " Okinjo ", puis dirige les épisodes 27, 33 et 37 de " Jūni Senshi Bakuretsu Eto Ranger ". Il repasse animateur en 1996 sur l’épisode 173 de " Sailor Moon" , le dix-septième film de " Dragon Ball Z " et le premier film de " Gegege no Kitaro ". À partir de 1996, il sera directeur des épisodes 8, 18, 24, 29, 40 et 43 pour " Rurouni Kenshin ". C’est avec l’épisode 29 de " Utena ", en 1997, qu’il devient scénariste. Sur cette série il s’occupera également du storyboard des épisodes 7, 14, 20, 23, 29, 33 et 39 et de l’animation des épisodes 7, 18 et 23. Il continuera la fonction de storyboarder sur " Gegege no Kitaro " avec les épisodes 94, 105 et 113 de 1997. Passé animateur sur le film " Galaxy Express 999 : Eternal Fantasy ", en 1998, il fera le storyboard des épisodes 6, 14, 20 et 30 de la série " Himitsu no Akko-chan ", la même année. En 1999, il est aussi le storyboarder sur les épisodes 20 et 22 de " Tenshi ni Narumon " et sur l’épisode 21 de " Digimon Adventure " ; ceci avant d’entamer une carrière de réalisateur de long métrage avec le premier film de " Digimon ", suivi du second, dès l’année suivante. En 2002, il reprend la place de storyboarder sur les épisodes 40 et 49 de " Magical Dorémi ", puis sur les épisodes 5, 12 et 26 de " Nadja ", en 2003. Il fait un break en réalisant une publicité pour Louis Vuitton, " Superflat monogram " et, en 2004, il s’occupe du storyboard de l’épisode 199 de " One Piece ", avant d’en réaliser le sixième film en 2005. 2006 c’est l’année de la réalisation de " La Traversée du temps " et 2009 celle de " Summer Wars ".
(2) Un autre manga de cet auteur sera disponible 2011, " A lollypop or a bullet ". Tirée d’un roman de Kazuki Sakuraba, la série comporte deux volumes et sera éditée par Glenat, en février et avril 2011.

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Osamu Tezuka : Le dieu du manga"

Aujourd’hui, je ne vais pas vous chroniquer un manga, en tant que tel, mais un livre extrêmement complet sur Osamu Tezuka, son œuvre et son apport considérable au manga contemporain. Alors qu’" Astro le petit robot " revit sous la plume de Naoki Urusawa dans " Pluto " et a même eu l’honneur d’un film en 3D en 2007, la sortie d’un tel livre revenant aux fondamentaux de l’œuvre de ce génie créatif semble une bonne chose pour appréhender sérieusement pourquoi Osamu Tezuka est qualifié de " Dieux du manga "

Helene McCarty n’est pas une novice : cela fait plus de vingt ans qu’elle œuvre dans le monde du manga, en Angleterre. Des 1991, elle fonde le premier magazine anglais sur le manga et l’animation japonaise " Anime UK ". Avant cela, elle a même participé à l’organisation de convention et autres manifestations en rapport avec le Japon et le monde des arts. Son premier essai sur le manga, intitulé " Manga Manga Manga, A Célébration of Japaness Animation at the ICA "(1) sera publié, dès 1992. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque ou le premier livre français, " L’Univers des manga " de Thierry Groensteen (2), ne fut publié qu’un an auparavant, en 1991, et n’était qu’une redite par rapport au livre de référence (en anglais) sur l’historique de la bande dessinée japonaise : " Manga Manga, the worldwide of Japaness Comics " de Frederik L. Schodt sorti, pour sa part, en 1983. Ami personnel de Tezuka, Schodt avait pris contact avec le maitre afin de traduire en langue anglaise son " Phoenix " dés la fin des années soixante-dix. Néanmoins, Helene McCarty explique pourtant, dans sa préface, que l’œuvre de Tezuka et son apport incommensurable au développement du genre sont assez méconnus aux USA (3). Elle fait également remarqué que le manga existait bien avant Osamu Tezuka et, justement, son livre s’exerce à démontrer pourquoi cette industrie du divertissement est devenue ce que nous connaissons aujourd’hui et en quoi cet auteur a révolutionné tout ça.

Le livre est présenté de manière chronologique, décennie par décennie. Depuis sa naissance le 3 novembre 1928 jusqu’à son héritage, faisant suite à sa mort brutale le 9 février 1989. Chaque époque est détaillée par rapport aux mangas et animés crées durant la période. Entre la partie sur son enfance et ses plus grands travaux, Helene McCarty explique chaque personnage de l’univers de Tezuka. En effet, au fil des œuvres, les protagonistes d’un manga pouvaient se retrouver dans un autre, pourtant situé dans une époque ou un lieu différent, tel un acteur qui jouerait un rôle. Bien sûr, la partie la plus importante concerne " Astro ", œuvre emblématique et mascotte intemporelle de Tezuka.

Particulièrement documenté et érudit, cet excellent livre bénéficie, en plus, d’une traduction française irréprochable due à Jean-Paul Jennequin. Ancien rédacteur en chef de la revue " Tsunami " (4), il a fait un formidable travail d’adaptation pour le public français. Les personnages, s’ils existent chez nous, gardent leurs noms francophones. Un listing des différents mangas de Tezuka paru en langue française est inclus en fin de volume et est repris dans l’index à côté du titre original japonais et de son éventuelle traduction anglaise. Son style est élégant, ni pompeux ni lourd, ce qui permet une lecture fluide et agréable de l’ouvrage.
Le livre, en lui-même, est superbe. Les éditions Eyrolles, peu habituées à présenter ce genre d’ouvrage(5), ont néanmoins fait un travail remarquable. Carton épais pour la couverture renforcée par un Astro Boy découpé, donnant du relief à l’ensemble(6). Le tout protégé par une jaquette de plastique épais sérigraphiée en blanc au nom d’Osamu Tezuka : copie conforme de sa version originale, à un prix correct de 32 € ; le livre étant vendu 40$ aux USA.

Les images en couleurs ou en noir et blanc sont toutes d’excellente facture, pas de captures d’écran pixelisées comme on en retrouve de plus en plus dans les ouvrages récents. Ici, Helene McCarty est partie de documents originaux scannés avec soin et mis correctement en valeur : un très beau travail, agréable et fluide, aussi bien au niveau du visuel que de la lecture.
Seul regret, sûrement dû à un souci de droit et de traduction en français, l’édition originale américaine du livre était accompagnée d’un documentaire sur DVD " The Art of Ozamu Tezuka : the secret of creation ". Extrêmement intéressant, ce reportage produit par la télé japonaise NHK présente Tezuka dans son environnement de travail quotidien, tel qu’il était en 1985. On y voit un personnage humble et travailleur, loin du cliché réducteur sur le " manga, objet de consommation produit à la chaine ".
Cet ouvrage n’est pas destiné aux seuls amateurs de vieux mangas. Tout le monde peut y trouver une somme d’informations considérables et enrichir sa culture de la bande dessinée japonaise de manière agréable.
Gwenaël JACQUET
" Osamu Tezuka : Le dieu du manga " par Helene McCarty Édition Eyrolle (32&euroWinking
(1) La bibliographie d’Helene McCarty comporte de nombreux livres sur le manga et l’animation : " Manga Manga Manga, A Celebration of Japanese Animation at the ICA " publié en 1992 par Island World Communications (ISBN 0952043408), suivi en 1993 de " Anime ! A Beginners Guide To Japanese Animation " chez Titan (ISBN 1-85286-492-3), puis : " The Anime Movie Guide : Japanese Animation since 1983 " chez Titan en 1996 (ISBN 1-85286-631-4). Elle a écrit aussi trois livres en collaboration avec Jonathan Clements : " The Erotic Anime Movie Guide " toujours chez Titan en 1998 (ISBN 1-85286-946-1), ainsi que " The Anime Encyclopedia : Japanese Animation since 1917 " chez Stone Bridge Press en 2001 (ISBN 1 880656 64 7), complété en 2006 (ISBN 1 933330 10 5), et enfin " 500 Manga Heroes and Villains " chez Collins & Brown, en 2006 (ISBN 1-84349-234-3). Elle publie également, en 1999,, un des plus importants livres sur " Hayao Miyazaki : Master of Japanese Animation " chez Stone Bridge Press (ISBN 1-880656-41-8), " 500 Essential Anime You Must Own " chez Ilex en 2008 (ISBN 9781905814282), " Manga Cross-Stitch : Make Your Own Graphic Art Needlework " chez Ilex en 2009 (ISBN 978 1905814510) et l’édition originale de " The Art of Osamu Tezuka : God of Manga " chez Ilex en 2009 (ISBN 978 1905814664)
(2) " L’Univers des mangas, une introduction à la bande dessinée japonaise " est publiée en 1991 chez Casterman (ISBN 2203326034), alors que Thierry Groensteen est " conseiller scientifique " au CNBDI. L’année d’avant, en mars 1990, " Akira " de katsuhiro Otomo sortait en kiosque grâce aux éditions Glénat et le Japon était l’invité d’honneur du 18ème festival d’Angoulême, en janvier 1991, avec comme invité : Buishi Terazawa (" Cobra "), Jiro Taniguchi (" Blanco ") et Masashi Tanaka (" Gon "). Ils furent totalement ignoré du public et dédicacèrent peu. En 1996, une seconde version augmentée avec une couverture moins énigmatique a été publiée par Casterman.
(3) La France était précurseur à l’époque et les pays anglophones n’avais pas encore succombé à la mode manga, même si aux USA, VIZ comics essayait de vendre des mangas au format comics dés la fin des années 80. De plus, les animés Japonais diffusés aux USA étaient remontés et remodelés afin de coller à un public américain.
(4) " Tsunami ", revue d’actualité sur le manga et l’animation japonaise, était éditée dans les années 90 par la librairie Tonkam. Elle était dirigée, à l’époque, par Dominique Veret : l’actuel directeur d’Akata, le fournisseur des mangas chez Delcourt.
(5) Les Éditions Eyrolles est un éditeur de livres plutôt spécialisé en sciences, technique et informatiques. Elles ont bien publié quelques livres sur les méthodes de bande dessinée, mais aucun n’a la qualité de façonnage et de reliure de celui-ci.
(6) La couverture de l’ouvrage est tirée de la couverture du numéro 8 de la revue japonaise " Tetsuwan Atomu Club " (" club astro le petit robot ") de 1964. Astro n’est pas au volant d’une voiture comme on pourrait le croire sans le décor autour ; il est en compagnie d’Uran sa petite sœur, dans un vaisseau spatial.

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Marine Hunter" T1 par Shiroh Ohtsuka

Dans un monde où la terre n’est plus qu’une grande étendue d’eau, certains humains ont développé des capacités extraordinaires afin de survivre. Première série du jeune dessinateur Shiroh Ohtsuka, " Marine Hunter " est le nouveau shônen de Pika en cinq volumes.


" Marine Hunter " © 2007 Shiroh Ohtsuka / Shogakukan inc. / Pika édition
Le premier volume de ce manga sert de prologue à l’histoire en introduisant les trois personnages principaux. En premier, le héros, Shark, d’apparence humaine, possède une force hors du commun du fait de sa mutation en Fish-half de requin(1). Dans ce monde de fiction, ce nouveau développement de l’espèce humaine peut être, soit acquis à la naissance, soit par la prise d’une pilule : l’océan drug. Cette drogue, mortelle dans la plupart des cas, a soi-disant été développée par la marine impériale, gouvernement suprême régissant ce monde barbare. Shark fait donc partie de ces êtres surpuissants : logique, c’est lui le héros. Il est assez beau gosse, musclé, possède une armure d’écaille ultra résistante et un aileron de requin dans le dos. Son passé, trouble, est entouré de mystère au point d’être poursuivi par les plus grands chasseurs de la marine impériale.

" Marine Hunter " © 2007 Shiroh Ohtsuka / Shogakukan inc. / Pika édition
Comme tout héros, Shark possède un point faible. Comme les requins, il s’excite à la vue et l’odeur du sang au point de devenir incontrôlable. C’est peut-être pour cette raison qu’il possède un hameçon planté dans sa lèvre inférieure. Cet anneau de servitude est relié par un filin invisible à une hampe située bien au-delà de l’horizon. Le but étant bien évidemment d’arriver à ce mystérieux point d’attache et de le détruire afin de se débarrasser de cet hameçon.
L’introduction de l’héroïne de l’histoire, Guppi, se fait également dès les premières pages du manga. Shark venait de la délivrer alors qu’elle était retenue en otage sur un bateau pirate. Peu futée, elle sera l’un des ressorts comiques de l’aventure. Reliée à Shark après avoir touché l’hameçon, elle en devient, de ce fait ,le maitre. Du coup, ce couple improbable est contraint de poursuivre l’aventure ensemble.

" Marine Hunter " © 2007 Shiroh Ohtsuka / Shogakukan inc. / Pika édition
Comme il fallait un trio afin de rendre plus amusante cette histoire, le second chapitre introduit le personnage de Shijimi. Très jeune fille perdue au milieu de l’océan sur une plate forme agricole, c’est un mélange étrange d’humaine et de bernard-l’ermite. Encore jeune, ce sera un protagoniste servant de faire-valoir : une espèce de mascotte. Elle sera sauvée par Shark et Guppi alors que la marine impériale, composée de grosses brutes, vient de piller et détruire la plate forme dont elle dépendait.

" Marine Hunter " © 2007 Shiroh Ohtsuka / Shogakukan inc. / Pika édition
Shark, prédateur sanguinaire, se retrouve embarqué dans sa quête de liberté, avec deux jeunes filles qui le dérangent plus qu’autre chose. Le sujet est commun, mais ça marche.
Loin d’être original, ce manga reprend les fondements classiques des shônens : un monde apocalyptique, un héros au passé trouble et à la force herculéenne ; des ennemis de plus en plus forts avec des niveaux à passer comme dans un jeu vidéo ; une jeune fille sexy, mais peu futée ; un faire-valoir apportant un ressort à la fois dramatique et comique ; et bien évidemment une quête à rallonge.
L’histoire, en elle même, est extrêmement agréable et repose sur le même principe qu’avait pu décrire Homère dans son " Odyssée ". Ici, point d’Ulysse ou de dieux, un simple hameçon suffit à remplacer toutes les malédictions ; mais la trame générale reste la même. Le graphisme est maitrisé, les personnages charismatiques et le fan service omniprésent. Rien de bien étonnant pour un manga ayant comme second rôle une jeune fille bien en forme, peu vêtue et traînant dans un environnement aquatique propice aux t-shirts mouillés. Il en est de même pour leur embarcation exiguë offrant peu d’intimité. Bien sûr, tout cela reste léger, c’est quand même un manga destiné à de très jeunes garçons.

" Marine Hunter " © 2007 Shiroh Ohtsuka / Shogakukan inc. / Pika édition
Il reste à espérer que les quatre volumes suivants ne traineront pas trop en longueur et ne seront pas répétitifs. Avec ce premier volume, " Marine Hunter " reste un excellent divertissement aux graphismes soignés : une bonne surprise venant de la part d’un jeune mangaka prometteur.
Gwenael Jacquet
" Marine Hunter " T1 par Shiroh Ohtsuka Éditions Pika (6,95 &euroWinking
(1) Fish-half : moitié homme, moitié poisson, mutant peuplant ce monde recouvert d’eau ; raccourci en FH tout au long du manga.

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

" Sakuran " par Moyoco Anno

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Depuis l’édition de " Happy mania " par Pika en 2005, Moyoco Anno est devenue de plus en plus populaire auprès des jeunes femmes françaises. Déjà star au Japon, son manga " Sakuran " a même fait l’objet d’un film qui est sorti en France, chez Kaze, en 2008. Pika se devait de faire une édition à la hauteur de la popularité de cette mangaka : pari réussi.


Premiere page couleur du manga. On est immédiatement dans l’ambiance. © Moyoco Anno - Pika -Kodansha 2010
" Sakuran " raconte les aventures de Tomeki, jeune fille rebelle et impétueuse. Ayant perdu son père, noyé dans la rivière, elle se retrouve embrigadée dans une maison close, dés son plus jeune âge. Sans réel avenir, sa vie n’est que défi et combat. Néanmoins, son caractère d’acier la fait sortir du lot et elle va gravir les échelons jusqu’à être pressentie pour devenir l’Oiran (1) de la maison. Comme toutes adolescentes, l’amour se mettra sur son chemin et ses sentiments prendront le pas sur les désirs de sa clientèle. Difficile de conjuguer vie sentimentale et travail dans un environnement de luxure et de concurrence entre les courtisanes. Néanmoins, Tomeki, qui se fait maintenant appeler Kiyora suite a son changement de rang, est une femme forte et c’est ce qui fait le charme et l’intérêt de cette histoire.

Étalage des courtisanes, là aussi, le ton est donné. © Moyoco Anno - Pika -Kodansha 2010
Le film " Sakuran " étant déjà sorti depuis deux ans en France, il semblait logique que Pika finisse par éditer cet excellent manga. Les dessins, même s’ils restent nerveux et spontanés, sont d’une maitrise peu commune dans l’œuvre de Moyoco Anno. L’édition de ce livre est à l’image de ce travail soigné de bout en bout. Grand format (15 x 21 cm), jaquette imprimée sur papier rehaussé de couleurs métallisées, pages sur offset épais, tranches de couleur violette, le tout agrémenté par de nombreuses pages en couleurs, disséminées en tête de la plupart des chapitres. Ce genre de traitement est inhabituel dans le monde du manga et est plutôt réservé aux grands romans. Tout ceci nous donne un prix assez élevé (13,50&euroWinking ce qui est entièrement justifié. C’est aussi ça le plaisir d’avoir un beau livre.

© Moyoco Anno - Pika -Kodansha 2010

© Moyoco Anno - Pika -Kodansha 2010
Ce manga s’adresse en priorité aux jeunes adultes du fait du langage et des situations assez crues ; mais cela ne tombe jamais dans la vulgarité. Moyoco Anno sait comment parler de sexe, de prostitution et de détails intimes, sans voyeurisme ou pornographie de bas étage. Chaque scène a son utilité et sert entièrement le récit.

© Moyoco Anno - Pika -Kodansha 2010
Le monde des geishas alimente les fantasmes les plus divers en occident. " Sakuran " n’est ni un reportage sur ce monde clos, ni un manuel de savoir-vivre à la japonaise ou un " Kama Sutra ". L’univers des samouraïs est juste là pour mettre en scène ces courtisanes de manière extrêmement moderne. Néanmoins, un soin tout particulier est accordé aux graphismes des kimonos et autres étoffes. Moyoco Anno a dû particulièrement se documenter sur l’histoire du Japon et les coutumes en vigueur dans le milieu de la prostitution. Pour nous, occidentaux, ce récit est forcément dépaysant tout en étant extrêmement simple d’accès : les problèmes des jeunes filles étant les mêmes de par le monde et les époques, en fin de compte.

© Moyoco Anno - Pika -Kodansha 2010
Avec ses trois cent pages, ce manga, comme le reste de l’œuvre de Moyoco Anno, se dévore comme un roman. La mise en image est extrêmement agréable et tombe parfaitement. Tout s’enchaine très vite et de manière logique. Sûrement le meilleur manga de cette fin d’année 2010 !

© Moyoco Anno - Pika -Kodansha 2010
Gwenaël Jacquet
" Sakuran " par Moyoco Anno Édition Pika (13,50 &euroWinking


(1) Oiran (花魁) Courtisane de haut rang en vigueur depuis la période Edo (1600 - 1868).
L’attribution du titre d’Origan s’obtient selon des critères de beauté, de caractère, d’éducation et d’aptitudes artistiques développées.
Pour divertir leurs clientèles, l’Origan a pratiqué les arts de la danse, de la musique, de la poésie et de la calligraphie. Son instruction permet également d’entretenir des conversations sophistiquées.
Seuls les clients réguliers et importants peuvent prétendre à une Oiran. Celles-ci sont toujours parfaitement apprêtées. Leurs vêtements donnent lieu à un rituel extrêmement long en empilant les couches de tissus. Tous comme la coiffure maintenue par de nombreux peignes finement sculptés.
Le développement des Geishas a fini par éclipser ce statut. La dernière oiran enregistrée date de 1761.
Le mot Oiran est composé de deux idéogrammes :
(hana) signifiant " fleur " et (kai) signifiant " chef ".

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

" Miyo " par Nami Akimoto

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Créé spécialement pour les lecteurs français des éditions Kana, ce manga reste très japonais dans sa construction. L’histoire qui se passe entre Paris et Tokyo offre une approche à même de séduire le lectorat des deux pays. Un graphisme clair et léger, une histoire remplie de sentiments, " Miyo " a tous les stéréotypes du shôjo manga ! En tous cas, cette œuvre ne dépaysera pas les lecteurs d’ " Urukyu", le précédent manga de Nami Akimoto paru pour sa part chez Soleil.


© Nami Akimoto - Kana 2010
L’histoire raconte une romance adolescente d’une jeune fille typique. Miyo Matsuda, jeune japonaise de 15 ans est tiraillée entre deux beaux garçons. Elle vit avec ses parents dans la capitale française depuis sept ans. Son père vient de nouveau d’être muté et ils repartent tous à Tokyo. Le cœur lourd, Miyo ne veut pas laisser son amour français auprès duquel elle n’a jamais été capable de se déclarer. Malheureusement, elle n’y arrivera pas, tombera malade et repartira au pays du soleil levant sans avoir ouvert son cœur à cet ami d’enfance. Au Japon, elle se sent un peu comme une étrangère, elle n’est plus à sa place. Elle n’a pas, par exemple, l’habitude de porter un uniforme. Néanmoins, elle attire les regards et tous ses camarades ont mille questions à lui poser. Tous, sauf Shiro, mystérieux jeune homme, renfermé et taciturne. Pourtant, ils vont rapidement finir par se rapprocher et Miyo va comprendre pourquoi ce dernier lui est si familier.

© Nami Akimoto - Kana 2010
La trame est classique, mais ce manga peine à poser l’intrigue de départ. Heureusement, tout va s’accélérer dans le dernier tiers du livre. Les premières histoires d’amour sont les mêmes, qu’elles se passent à Paris comme à Tokyo. Néanmoins, le " French Lover " a encore du succès au Japon. Peu présent physiquement, il est toujours question de ce fameux Nicolas. Tiraillée entre deux cultures, deux garçons bien différents, Miyo devra faire un choix et ce n’est peut-être pas celui qu’attendait le lecteur. La conclusion, abrupte, de ce récit est clairement là pour surprendre.

© Nami Akimoto - Kana 2010
Le personnage de l’héroïne est assez innovant dans le sens où, si elle reste japonaise de par ses origines, sa verve et son implication dans la vie des autres viennent sûrement de son long séjour en France. Un point de vue intéressant qui aurait mérité un développement plus important. Les différences culturelles ne sont pas énormément abordées. On a l’impression que les distances qui séparent Miyo de ses amis français ne sont pas aussi grandes que la réalité. Il est parfois question de décalage horaire, mais la facilité avec laquelle voyagent certains protagonistes est déconcertante
 ! Le récit n’arrive pas à rendre les ellipses temporelles cohérentes du fait du nombre de pages réduites qui servent à raconter toute cette histoire. Un comble pour un manga !

© Nami Akimoto - Kana 2010
Édité chez Kana, " Miyo " est un manga atypique. Pensé dés le départ pour un public français, la dessinatrice Nami Akimoto y a mis une partie de son expérience vécue dans l’hexagone. Destiné à un public assez jeune, ce manga est estampillé " Dico des filles ". Cette mention permet aux jeunes filles, on s’en doute, d’être guidées vers des sujets qui peuvent plus particulièrement les intéresser. Édité par Fleurus depuis de nombreuses années, le " Dico des filles " distille des conseils sur de multiples sujets, la vie en société, la mode, la déco, la cuisine et bien évidement, le sexe et les garçons. Ce " label " ne s’obtient pas comme ça, il faut que l’ouvrage ait un réel intérêt informatif, qu’il s’adresse en premier lieu aux adolescentes et surtout qu’il leur permette d’avancer dans la vie qui les entoure. " Miyo " rentre parfaitement dans cette catégorie.

© Nami Akimoto - Kana 2010
L’édition de ce manga est particulièrement soignée. Couverture claire avec titre embossé : ce qui est plutôt rare et couteux. C’est peut-être ce qui justifie le prix un peu au dessus de la moyenne. On regrettera par contre que l’histoire ne se déroule que dans un seul et unique tome. Deux volumes n’auraient pas été de trop pour développer l’intrigue et le triangle amoureux. Nami Akimoto a su créer un univers qui aurait mérité un développement plus poussé. Beaucoup d’interrogations quant à la différence de culture auraient pu être abordées. Ici, l’histoire se concentre sur cette amourette sans aller au fond des choses. C’est un peu dommage. Pourtant, ce shôjo est très mignon et le résultat, sans être très novateur ou prenant ,reste malgré tout extrêmement attachant et facile d’accès. Au final, la qualité de la construction narrative et des dessins dépouillés offre un spectacle suffisant pour que le lectorat amateur de shôjo fleur bleue puisse y trouver son compte.

© Nami Akimoto - Kana 2010
Aujourd’hui Nami Akimoto a changé de registre et sa dernière œuvre " Tokyo Sex ", publiée chez Kodansha dans le magazine " Dessert ", est clairement orientée vers un lectorat féminin beaucoup plus adulte.
Gwenaël JACQUET

© Nami Akimoto - Kana 2010
" Miyo " par Nami Akimoto - Volume unique Éditions Kana (7,95 euro)

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

INTERVIEW DE PATRICK SOBRAL

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Alors que le treizième tome de la série « Les Légendaires » vient de sortir aux éditions Delcourt, la série vient de fêter, début novembre, le million d’albums vendus sur les douze premiers volumes. C’est l’occasion de rencontrer Patrick Sobral, directement à son domicile, à Limoges, et retracer, avec lui, sa brillante carrière.

Gwenaël Jacquet : Bonjour Patrick. Merci de te présenter à nos lecteurs.
Patrick Sobral : Je suis Patrick Sobral auteur, entre autres, de la bande dessinée " Les Légendaires ", publiée chez Delcourt depuis 2004. Je suis en train de travailler sur le quatorzième tome. Voilà pour le principal !
G. J. : Avant de dessiner " Les Légendaires ", as-tu publié d’autres bandes dessinées ?
P. S. : Professionnellement, j’ai fait très peu de choses avant " Les Légendaires ". Ma toute première réalisation publiée date de 2000, avec une nouvelle de trente-deux pages en noir et blanc, sur le thème imposé des anges. C’était dans le cadre d’un concours visant à éditer de jeunes auteurs, proposé par les éditions Tonkam. J’ai fait partie des onze retenus avec une bande dessinée qui s’appelait " Dynaméis ", et qui se trouve donc dans le collectif " Les Anges " chez Tonkam. Ce fut ma première expérience vraiment professionnelle, dans le cadre d’une " vraie " maison d’édition.
Avant, j’avais pourtant réalisé des tas et des tas de bandes dessinées, depuis l’âge de cinq ans. J’ai commencé par des personnages en bâtonnets, un peu comme dans le générique de la série " Le Saint ". Très rapidement, j’ai réalisé ce que l’on appelle des fan-fictions. Durant mon enfance, c’était surtout axé sur les super-héros : " Spider-Man ", " Superman ", etc. J’inventais des histoires à partir de mes genres favoris.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
Puis est venu l’âge d’or des animés japonais au travers des émissions du style du " Club Dorothée ". C’est là que j’ai vraiment pris goût au dessin typé manga et que j’ai commencé à dessiner des aventures de " DragonBall ", puis principalement de " Saint Seiya " (" Les Chevaliers du Zodiaque "). C’est réellement ma série culte dans le sens ou c’est elle qui est à l’origine de 90% de mon trait d’aujourd’hui. Le dessin de Shingo Araki, le character designer de la série animée de " Saint Seiya ", est vraiment mon maître étalon. À tel point que, pendant de nombreuses années, je n’ai plus dessiné que du " Saint Seiya ". J’ai d’ailleurs fait une fan-fiction d’une centaine de pages sur cette série. Il m’a fallu deux bonnes années pour ça. En fait, mon premier vrai manga est peut-être cette bande dessinée fan-fiction qui avait été publiée, à l’époque, dans le cadre d’une convention.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
G. J. : Pendant la réalisation de cette fan-fiction, tu avais un autre travail ?
P. S. : Lorsque j’ai réalisé cette fameuse histoire de " Saint Seiya ", j’effectuais mon service militaire. C’était une époque à cheval avec celle de mon futur travail. À l’école, je n’étais pas un élève très assidu : j’avais d’assez mauvaises notes dans à peu près toutes les matières, sauf en dessin, bizarrement… Du coup, mes parents m’ont orienté vers un lycée d’apprentissage professionnel où j’ai appris le métier de décorateur sur porcelaine. C’était très en rapport avec le dessin ! Cela a été mon tout premier boulot et je l’ai exercé pendant douze ans, de mes dix-sept ans jusqu’à la fin de 2002.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
La bande dessinée, que je continuais à côté, a toujours été une passion, plus qu’une vocation. Je dessinais en rentrant des cours. Je faisais de la BD le soir pendant mon service militaire, je faisais de la BD le soir en rentrant du boulot. La BD a toujours été mon premier passe-temps, une vraie passion.
Jamais je ne m’étais dit que cela deviendrait mon métier. L’envie m’est venue vraiment tardivement. C’est la raison qui m’a poussé à plaquer mon job de décorateur sur porcelaine, courant 2002, pour me lancer, à " corps et à cris ", et sans aucune préparation, dans le milieu de la bande dessinée professionnelle. C’est là que j’ai commencé à contacter et démarcher les éditeurs !

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
G. J. : À ce moment-là, tu avais déjà fait le concours de Tonkam ?
P. S. : Le concours de Tonkam s’était déroulé en l’an 2000. Mais cela ne m’a pas forcément fait tilt ! Je veux dire par là que je n’ai pas pris cela comme un premier pas vers le métier d’auteur de bande dessinée : juste une expérience intéressante. C’était, notamment, la première fois que des gens extérieurs à ma famille et à mes amis jugeaient mon travail et affirmaient qu’il était " publiable ". Cela me donnait une certaine reconnaissance. Je voyais un peu plus ce que je valais en terme de dessin. Mais je n’ai vraiment pris la décision de tenter l’aventure qu’environ deux ans plus tard.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
Je ne saurais plus tellement dire quelle a été la partie du concours qui m’a le plus motivé pour que j’y participe ! J’avais déjà fait quelques concours dans le cadre scolaire. J’ai participé aussi, pendant de nombreuses années, à celui du festival d’Angoulême. Du coup, tout cela ne m’était pas inconnu. Par contre, je ne sais même plus comment j’ai eu connaissance de ce qu’organisaient les éditions Tonkam. J’avais déjà fini la fameuse fan-fiction de " Saint Seiya " et je n’avais pas réellement de nouveaux projets. C’est tombé à pic ! En plus, cela m’obligeait à réaliser une BD de seize ou trente-deux pages : ce qui n’était pas, non plus, une lourde implication. Donc, je me suis dit, " pourquoi ne pas y participer ? ". Le thème des anges ne m’a pas tous de suite parlé, mais j’étais encore dans ma période " Saint Seiya " et j’ai pensé intégrer ce type de graphisme et d’histoire dans le milieu des anges. Le reste est très vite venu tout seul.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
G. J. : C’est donc en 2002 que tu plaques définitivement ton boulot de dessinateur sur porcelaine pour te lancer dans la BD ?
P. S. : Oui, c’est ça. Cette année a vraiment été une année charnière. Je me remettais beaucoup en question par rapport à mon avenir. Les conditions de travail dans ma boîte, à cette époque, n’étaient pas mirobolantes. Je déprimais un peu et j’avais envie de vivre des choses nouvelles. Lorsque notre patron nous a appris qu’il y allait y avoir des licenciements dans l’atelier ou je travaillais, je me suis dit que c’était peut être cela le " coup de pied au cul " dont j’avais besoin pour tenter l’aventure et me faire publier. Cela me trottait dans la tête depuis quelques mois, mais je n’avais pas de réel projet. J’ai donc demandé à être licencié. Cela m’a permis, durant les mois ou j’ai touché l’allocation chômage, de démarcher auprès des éditeurs et d’aller à leur rencontre, avec mon dossier, lors du festival d’Angoulême : en essayant de frapper aux bonnes portes.

" Démons " © Patrick Sobral 2003
C’était quitte ou double ! Mais à l’époque, j’ai vraiment été naïf. Je ne le referais peut-être pas maintenant. Plein de gens autour de moi disaient que " j’étais en train de faire une grosse connerie " parce que je plaquais un boulot ou j’avais encore ma place, malgré les risques de licenciement, pour un métier que les gens voyaient d’un œil un peu curieux. Je me suis lancé dans cette aventure complètement naïvement. Sans rien connaître du milieu de la bande dessinée. J’ai commencé à démarcher en proposant à une bande dessinée d’horreur que j’étais en train de faire : " Démons ".

" Démons " © Patrick Sobral 2003

" Démons " © Patrick Sobral 2003
Ceci dit, j’étais assez confiant dans mes possibilités. Après les réponses négatives des éditeurs, j’ai commencé a me poser quelques questions ; mais il était trop tard pour faire marche arrière. Donc, c’était le tout pour le tout, il fallait que je propose projet sur projet. En espérant que l’un d’eux trouve acquéreur…
G. J. : Comment es-tu arrivé à proposer " Les Légendaires " à un éditeur ?
P. S. : " Les Légendaires ", en tant que projet, est un peu arrivé par dépit. Comme je le disais, le premier projet que j’ai proposé aux maisons d’édition était une BD d’horreur qui s’appelait " Démons " et que j’envisageais, d’abord, sous la forme d’une publication manga. C’était une histoire en noir et blanc que j’avais travaillée pour une édition en format de poche, comme pour les mangas. Et en montrant ce projet à différents éditeurs, lors du festival d’Angoulême de 2003, nombreux sont ceux qui m’ont dit que mon dessin n’était pas mal, mais que le genre que j’avais choisi était vraiment trop destiné à un public restreint, amateur de ce genre de récits d’horreur. J’ai donc décidé d’élargir un peu plus le public potentiel en réalisant une deuxième version de cette bande dessinée, mais cette fois-ci pour une publication franco-belge. Je l’ai donc travaillé en couleur avec une mise en page différente ; mais la réponse a de nouveau été la même. Les éditeurs reconnaissaient mon " coup de patte " mais ne trouvaient pas le sujet vendeur.

" Démons " © Patrick Sobral 2003
Au bout de deux refus concernant " Démons ", BD qui me tenait beaucoup à cœur à l’époque, je me suis dit : " bon, ça fait neuf mois que tu démarches. Il faudrait peut-être voir à te remettre en question et à proposer autre chose que de la BD d’horreur. Si personne ne veut de mes BD d’adulte, tentons le secteur jeunesse ", tout simplement et sans rien connaitre de ce secteur par ailleurs. Je n’avais jamais fait de BD humoristique, je n’avais jamais dessiné des personnages vraiment mignons... : c’était tout à fait un nouveau chalenge pour moi.
La première idée qui m’est passée par la tête, c’était une BD d’heroic-fantasy à mi-chemin entre " DragonBall ", " Saint Seiya " et " Les Chroniques de Lodoss ". Du coup, j’ai inventé cette histoire de groupe de super héros adultes qui redeviennent enfants par magie et qui essaient de trouver un moyen d’inverser le processus. Je ne croyais vraiment pas en ce projet. J’ai dessiné les premières idées qui me passaient par la tête. Sans aucune préparation, sans aucun travail de recherche ou de design préliminaire. J’ai envoyé ça aux maisons d’éditions, juste en me disant : " en attendant de trouver mieux, je vais leur proposer ça ".

" Démons " © Patrick Sobral 2003
En fin de compte, j’ai eu la grande surprise de voir que moins de vingt heures après l’envoi de mes dossiers, j’avais un email des éditions Delcourt. Ces dernières me disaient de ne pas dire oui aux autres éditeurs avant de les recontacter. Je ne comprenais pas trop le sens de cet email. En général, les reçus, je les recevais par courrier. Donc, là, non seulement je recevais une réponse par mail, mais surtout je n’arrivais pas à saisir le côté positif ou négatif de ce message ; parce qu’il ne me disait pas qu’ils voulaient ma BD : ils me disaient juste de ne pas dire oui aux autres.
Donc, pendant deux jours, j’ai attendu fiévreusement devant mon téléphone qu’ils me recontactent. Ils m’ont rappelé pour fixer un rendez-vous à Paris auquel je suis allé la semaine d’après. Le but était de discuter de la série et, en fin de compte, mon contrat m’attendait déjà...

Croquis préparatoire pour " Démons " © Patrick Sobral 2003

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Gwenaël Jacquet : Lorsque tu as envoyé le dossier de présentation de ta série, quel en était son contenu ?
Patrick Sobral : Je n’ai pas réellement envoyé de synopsis dans le sens où je ne voyais pas ma BD en terme d’albums ou de série. J’ai mis ce qui me passait dans la tête, sans penser à la suite : dix planches de la BD, quelques recherches de personnages et ma bio, qui était très courte à l’époque. Comme je n’imaginais pas que quelqu’un voudrait de la série, il y avait très très peu de choses concernant le futur de l’histoire. Donc, je me suis dit que " ça devrait suffire, on verra bien ce qu’il en résultera ".
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Les quatre premières pages de la série " Les Légendaires " © Patrick Sobral
Par contre, je m’étais avancé en écrivant, dans le dossier que j’avais envoyé aux éditeurs, que j’avais déjà réalisé dix pages de plus. C’était complètement faux ! Lorsque l’éditeur m’a dit de venir à Paris, la semaine suivante, pour discuter de la BD, je me suis dit " mince, il veut voir les dix pages suivantes, je suis mal ". Du coup, j’ai dû dessiner ça en moins d’une semaine. En fin de compte, il n’a pas voulu les regarder. Ce qu’il avait lui suffisait. C’était pourtant un dossier bien mince. D’ailleurs, lorsque je suis arrivé chez Delcourt pour signer le contrat, l’éditeur m’a demandé ce qui allait se passer dans le reste de l’album et les suivants. J’étais incapable de lui répondre parce que je n’avais pas du tout imaginé que j’allais pouvoir continuer cette histoire. Je lui ai juste dit que je ne savais pas, que j’envisageais juste de faire des aventures en deux albums. Je crois que ça a été à peu près la seule chose que j’ai pu avancer sur le déroulement de l’histoire.
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Case extraite de la BD " Abraxas " © Patrick Sobral
G.J. : Tu te sentais confiant, tu savais comment tu allais réaliser cet album
 ?
P. S. : J’ai appris à faire de la BD, tout seul dans mon coin. Je ne m’étais vraiment pas renseigné, techniquement parlant. Comment faire une mise en page
 ? Quel sont les termes techniques de la BD ? Les onomatopées, les quatrièmes de couverture, la page titre, deuxième de couverture, page de garde, tout ce genre de choses, je ne savais pas du tout ce que tout ça signifiait. De ce côté-là, j’ai été bien suivi par mon directeur de collection : Thierry Joor. Sur le premier tome, c’est lui qui m’a servi de coach. Quasiment tous les jours, on était au téléphone ou par mail et il me promulguait des conseils au niveau de la réalisation, des conseils de mise en page. Techniquement, il m’a réellement appris à faire une bande dessinée. Pas à dessiner, mais il m’a guidé concrètement dans la réalisation d’une BD.
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" Démons " © Patrick Sobral 2003
Ce premier album s’est un peu fait dans la douleur. Je n’étais pas motivé par l’histoire en question. Je trouvais à l’époque que mon sujet des Légendaires était un sujet assez bateau. Ce que je n’ai évidemment pas dit à l’éditeur : lui, il y croyait ! Donc, j’ai fait celui qui était super motivé. Mais à l’époque, je n’étais vraiment pas convaincu. Donc, le premier album s’est fait difficilement ; douloureusement et sans réelle motivation, je dois l’admettre. C’est à partir du deuxième et troisième album que j’ai commencé à réellement prendre gout à ce sujet et à m’impliquer davantage. C’est ce qui explique pourquoi les premiers tomes sont, techniquement, assez limites.
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Couverture des quatre premiers tomes de la série " Les Légendaires " © Patrick Sobral
G. J. : Aujourd’hui, pour la réalisation de tes albums, comment travailles-tu
 ?
P. S. : Alors, en ce qui concerne la première étape, il faut savoir que le scénario de mes histoires n’est pas couché noir sur blanc. Même si j’ai à peu près les cinq tomes à venir des " Légendaires " en tête. J’ai surtout les scènes clefs, les passages les plus importants. Une sorte de résumé, non écrit. C’est au fur et à mesure que je dessine l’album que je développe les scènes, que je les raccourcis, que je les rallonge, que j’invente de nouveaux passages juste pour l’occasion... Je travaille beaucoup en improvisant. Mais cela tourne toujours autour d’une ligne directrice qui est l’histoire principale que j’ai en tête depuis le début. Il est assez systématique que ce qui arrive à certains personnages dans l’album ne soit pas ce qui était prévu quand je l’ai commencé. J’ai juste eu une meilleure idée qui, du coup, a un peu modifié le déroulement de l’histoire. Donc, concrètement, il n’y a pas de scénario écrit pour mes BD.
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" Les Légendaires " © Patrick Sobral
Ensuite, l’étape suivante, c’est la création des personnages. C’est l’une des étapes que je préfère parce que je suis dessinateur : je sais raconter des histoires en dessinant, pas en les écrivant. Donc, créer les personnages qui vont apparaitre, cela a toujours été une période assez excitante car je conçois visuellement quelque chose auquel je pense, parfois, depuis plusieurs années. Une fois que j’ai " bien modelé " les nouveaux personnages, je m’attaque au crayonné de l’album. Ce qui va me prendre à peu près deux mois pour la réalisation d’un tome des " Légendaires ". Je le soumets ensuite, par mail, à mon directeur de collection afin qu’il me dise s’il comprend bien l’histoire. Le premier piège, lorsque l’on est scénariste et dessinateur de bande dessinée, c’est que l’on est le seul à savoir réellement de quoi va parler l’album. Pour nous, notre histoire sera toujours compréhensible quel que soit la manière dont on la dessine parce que l’on sait d’avance ce dont on veut parler.
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" Les Légendaires " © Patrick Sobral
Je soumets donc l’histoire à Thierry Joor pour qu’il valide " la fluidité de la narration ". L’étape crayonnée me prend à peu près deux mois. Ensuite, vient l’étape de l’encrage. Je n’ai pas besoin de la soumettre à l’éditeur puisqu’il ne s’agit que de mettre au propre les crayonnés que j’ai déjà réalisés. Ce travail me prend un mois. C’est la partie la plus courte de la réalisation de la BD. Viennent ensuite la colorisation et les textes qui, eux, sont entièrement faits à l’ordinateur. C’est la dernière partie, laquelle dure environ trois mois. En tout, il me faut à peu près six mois, quand tout va bien, pour la réalisation d’un album complet des "Légendaires ".
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" Démons " © Patrick Sobral 2003
G. J. : Ce qui fait deux albums par an ?
P. S. : En terme de rythme de publication, on va dire que c’est au-dessus de la moyenne française qui doit être d’un album tous les ans. Ce n’est pas parce que je bosse vraiment beaucoup que j’arrive à tenir ce rythme. C’est dû au fait que j’improvise. Il n’y a pas la partie story-board, il n’y a pas la partie écriture de scénario. Ensuite, mes dessins, comme on peut le voir, sont très stylisés. Ce n’est pas un graphisme très détaillé. Par exemple, mes décors sont très simples. J’ai un style de dessin et de travail qui me permet de sauter pas mal d’étapes et d’aller à l’essentiel.
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G. J. : Avec " La Belle et la Bete ", tu changes pourtant de registre ?
P. S. : Après huit tomes des " Légendaires ", je tournais en rond. Pour cet univers-là, j’avais l’impression d’avoir un peu tout essayé en terme de narration et de graphisme. J’avais envie d’essayer autre chose. Cependant, je savais que j’allais continuer " Les Légendaires " car c’était une série qui commençait vraiment à bien marcher. Je savais que ça allait encore être mon gagne-pain pendant quelque temps. Mais j’avoue que j’avais envie, du moins le temps d’un album, de tenter autre chose. Et surtout de montrer à mes lecteurs, et à ceux qui ne me lisaient pas encore, que j’étais capable de faire autre chose que " Les Légendaires ". Donc, du coup, j’ai cherché à faire une BD en un seul tome. C’était largement suffisant, et pas trop long pour mon éditeur, pour que je réussisse à m’éloigner un certain temps des " Légendaires ". J’ai donc cherché à concevoir la BD qui serait l’anti-" Légendaires ". J’ai essayé d’avoir un dessin le moins manga possible, avec une histoire très sombre, sans humour, limite glauque : un truc d’ambiance. J’ai eu cette idée de faire un remake morbide et dark-fantasy du conte de " La Belle et la bête ". Ce qui me plaisait dans ce projet, tout le monde connait le conte, même si ce n’est qu’au travers des films ou des dessins animés de Walt Disney. J’ai alors eu l’idée de cette aventure avec des créatures qui ne fonctionnaient plus sur le modèle du loup-garou comme on l’a toujours vu dans les histoires utilisant le thème de " La Belle et la bête ", mais qui tourneraient plus autour du végétal et du minéral. Je me suis vraiment fait plaisir en réalisant cette bande dessinée destinée à un public nettement plus adulte que celui de la série " Les Légendaires " : album qui a eu les honneurs de la presse professionnelle, à l’époque. J’en étais vraiment ravi. Il avait même reçu un meilleur accueil critique que " Les Légendaires ". Par contre, malheureusement, le public, lui, n’a pas du tout adhéré. J’ai connu, avec " La Belle et la bête ", mon premier flop.
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Gwenaël Jacquet : Est-ce que les mauvaises ventes de l’album " La Belle et la Bête " t’ont refroidi pour tenter de réaliser autre chose à côté des " Légendaires " ?
Patrick Sobral : Oui, ça m’a vraiment fait l’effet d’une douche froide. Évidemment, j’étais conscient que je n’allais pas atteindre les ventes des " Légendaires " avec ce one-shot. Je m’étais même fixé un objectif potentiel de vente de dix mille exemplaires. C’est à peine si on a atteint les quatre mille ! Je suis loin du compte. Cela m’a donc incité à garder dans mes tiroirs tous les autres projets du même acabit que j’aurais pu placer entre deux ou trois albums des " Légendaires ". Je ne dis pas que je ne me remettrais jamais à faire des histoires plus sombres, destinées à un public plus adulte. Mais, pour l’instant, je n’ai pas encore retrouvé l’engouement et la motivation que j’ai eu à l’époque de " La Belle et la Bête ". Pour le moment, je me consacre à l’univers des " Légendaires ". Que ce soit au travers de ma série, ou celle à venir, car il y a un spin-off en préparation.
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Premier essai de planche pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
G. J. : En quoi ce spin off sera différent de la série régulière.
P. S. : J’ai en tête ce fameux spin-off depuis deux ou trois ans. C’est en faite une préquel, l’épisode un, un peu comme dans " Star Wars ". On voit les origines des personnages, comment ils se sont rencontrés, comment est né le groupe des Légendaires... Tout ce que l’on retrouve sous forme de flash-back dans la série principale sera présent et développé. Comme si c’étaient les souvenirs de leur vie d’avant le premier tome. Avant d’être " Les Légendaires ".
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Second essai de planche pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
Ces flash-back feront l’objet d’une série où chaque album sera dédié à l’un des personnages principaux. Chaque volume suivra l’un des Légendaires durant toute sa vie, jusqu’à ce qu’il rencontre les autres. Et une fois les cinq tomes publiés, on aura le groupe formé. Ensuite, je pense consacrer un sixième tome aux origines de leur ennemi juré le sorcier Darkhell. On sait finalement assez peu de choses sur lui.
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Troisième essai de planche pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
À travers ce spin-off, je souhaite également étendre l’univers des " Légendaires ". Ce sont peut être les restes de l’envie que j’avais eu avec "La Belle et la Bête " : toucher un public un peu plus large qui ne serait pas forcément très fan du coté bouille ronde à la " DragonBall " et qui aimerait peut être une histoire d’heroic-fantasy un peu plus réaliste, tout du moins dans le graphisme. La seule chose qui a changé entre maintenant et l’époque où j’avais eu l’idée de faire cette série parallèle, c’est que je ne suis pas au dessin. Je me contente " du rôle de scénariste " et un peu de superviseur du nouveau design. J’ai confié les rênes de cette série à une toute jeune graphiste qui signera ses albums sous le pseudonyme de Nadou. Elle est très prometteuse. Je l’ai repérée sur internet et après plusieurs rencontres réelles, je lui ai proposé de faire ce spin-off. Nous venons d’ailleurs de signer son contrat il y a moins d’une semaine, aux éditions Delcourt. Le premier tome est donc prévu fin 2011.
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Premières recherches pour le personnage de Gryf dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
G. J. : Pour le coup, il va falloir se mettre à l’écriture ?
P. S. : Eh bien non. J’ai la chance de pouvoir travailler ce spin-off de la même manière que mes albums. C’est-à-dire que le scénario que je vais envoyer à la dessinatrice sera sous forme de crayonnés. Exactement comme si je faisais moi même l’album, sauf que je m’arrête à la première étape. Il va me falloir entre un et deux mois de réalisation pour les croquis de l’album. Je vais ensuite les lui soumettre et cela va lui servir de base pour la mise en page. Cette manière de travailler lui va tout à fait. Elle-même ne se sent pas encore à l’aise avec la mise en page ; donc, en fin de compte, je vais lui en proposer une toute faite. À elle de voir si elle veut la suivre à 100% ou pas. Dans tous les cas, la base de l’histoire n’existera que sous forme de dessin.
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Premières recherches pour le personnage de Danaël dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
G. J. : Comment as-tu choisi cette dessinatrice, est-ce par rapport à son trait qui te semblait coller à l’univers des Légéndaires ?
Sobral : Je n’ai pas pris la dessinatrice au hasard. J’ai cherché quelqu’un qui a un style personnel et qui soit capable de dessiner correctement des adultes. Il fallait également que l’on reconnaisse mes personnages. De plus, il me semblait nécessaire d’avoir quelqu’un qui ait des codes graphisme proches du manga. J’ai beaucoup discuté avec Nadou en amont afin de connaître ses références graphiques.
Les références auxquelles je pouvais comparer mon projet étaient " Les Chroniques de la guerre de Lodoss " ou " Escaflowne " : deux séries animées qui sont ses œuvres cultes. Cela tombait très bien ! Quand je lui décris certains protagonistes de " La Guerre de Lodoss " pour servir de bases à la création de tel ou tel personnage du spin-off, elle voit très bien de qui je veux parler. Donc, de ce côté-là, on est sur les mêmes bases graphiques et c’est ça qui est très important.
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" Les Chroniques de la guerre de Lodoss " et " Escaflowne "
G. J. : Les jeunes qui te lisent depuis le départ sont maintenant des adolescents. Cette BD leur est-elle destinée en priorité ?
P. S. : Ce coup-ci, je ne cherche pas vraiment à savoir à qui est destiné la BD. J’ai fait un peu cette erreur en cherchant à conquérir tel ou tel public avec “ La Belle et la Bête " ; donc, je ne voudrais pas me lancer dans des pronostics. J’espère évidemment que cela touchera le plus de gens possible. Les premiers lecteurs qui, je l’espère, liront la série, seront évidement ceux qui lisent déjà la mienne.
Je vais d’ailleurs faire un maximum de publicité pour le spin-off à travers mon site officiel. Mais j’espère que ça touchera un public encore plus large. Côté ambiance, cela ne sera pas très différent de la série principale. Même si les graphismes seront plus adultes, je n’ai pas envie d’en faire une série trop sombre afin de ne pas couper le lien avec la série principale. Donc, ça sera dans le même esprit... À défaut d’en avoir exactement le même graphisme.
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Premières recherches pour le personnage de Razzia dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
G. J. : Prochaine étape, une série animée ?
P. S. : Le dessin animé, c’est un peu le sujet qui blesse. La série " Les Légendaires ", pour moi et pour l’éditeur, à un très fort potentiel en terme d’adaptation animée. Dés la publication du tome 1, les éditions Delcourt ont commencé à démarcher les maisons de production française ou étrangères pour placer le projet animé des " Légendaires ". Malheureusement, pour l’instant, ça n’a pas abouti. On continue à frapper aux portes, mais cela avance très très lentement. En tout cas, les choses ne bougent certainement pas en proportion du succès de la série. " Les Légendaires " ayant récemment dépassé le million de vente, je pensais que ce serait un argument suffisant pour convaincre les maisons de production de se lancer dans l’aventure. Mais non, elles sont encore très très frileuses. On pense que cela viendra un jour avec les éditions Delcourt ; mais, franchement, on ne sait plus trop comment faire pour les convaincre.
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Premières recherches pour le personnage de Shimy dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou Delcourt
G. J. : Tu dédicaces beaucoup dans les salons de BD. Tu aimes ces rencontres avec le public ?
P. S. : Je le fais vraiment de gaité de cœur. Quatre-vingt-dix pour cent des salons que je fais dans l’année ne me sont pas du tout proposés par ma maison d’édition. Quelques-un comme le Salon du livre de Paris ou le salon jeunesse de Montreuil sont quand même devenu des incontournables. Ma maison d’édition me les propose en disant, " penses-y, réserve la date ". J’accepte très facilement les autres propositions de dédicaces. Que ce soit des festivals ou des librairies. Évidemment, c’est en fonction de la date et du trajet que j’ai à faire pour y aller. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé et que je continue de faire avec plaisir. C’est le seul contact réel que j’ai avec mes lecteurs. Si je devais rester chez moi à dessiner mes BD, le seul retour que j’aurais, ce serait des chiffres envoyés par la maison d’édition ou les messages postés par les fans sur les forums et autres sites dédiés aux " Légendaires ". Ce ne sont pas de réels contacts. Je fais ces dédicaces pour aller à la rencontre des fans et leur proposer des dessins. Et puis, ça regonfle à bloc quand on voit l’engouement des jeunes lecteurs pour la série. Quand on est dans une période ou on en a un peu marre, que l’on est un peu fatigué, cela permet de refaire le plein. J’en ai vraiment besoin. J’en fais un peu moins qu’avant parce que mon corps n’arrive plus à suivre le rythme, mais j’ai en moyenne deux dates de dédicace par mois.
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Premières recherches pour le personnage de Jadina dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou Delcourt
G. J. : De quoi parlez-vous avec le lecteur durant ces rencontres ?
P. S. : Les lecteurs ne posent pas les mêmes questions en dédicaces et sur le forum. Sur le web, ils vont vouloir savoir ce qui va se passer, me soumettre des idées. Ils aimeraient bien qu’il arrive ceci, qu’il arrive cela. Lorsque je les rencontre directement en festival ou en librairie, ils me font plus part du plaisir qu’ils prennent à lire la série. Ils me posent très peu de questions et me soumettent très peu de sujets. Souvent, ils parlent simplement de quelle manière ils vivent la série des " Légendaires ", que ce soit chez eux ou à l’école. Ils me disent qu’en classe, ils forment des fans club des " Légendaires ". Ils jouent aux " Légendaires " à la récréation ou alors, avec leur professeur, ils montent des pièces de théâtre sur " Les Légendaires " : ce genre de choses. Ils me parlent plus de l’impact de la série sur leur vie plutôt que d’essayer de glaner quelques informations sur les histoires à venir.
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Affiche réalisée par Patrick Sobral pour la conférence sur les produits dérivés organisée par Otakia lors de Japan Expo en 2009.
G. J. : Les histoires sont plus noires depuis quelques volumes. Il faut dire que ton public est aussi devenu plus âgé. Comment en es-tu arrivé là ?
P. S. : C’est vrai qu’après avoir réalisé " La Belle et la Bête ", je suis reparti sur " Les Légendaires ". Avec cette petite pause de huit à dix mois, je ne suis pas revenu à la série telle que les gens la connaissaient. Comme je le disais tout à l’heure, au bout de huit tomes des " Légendaires ", j’avais un peu l’impression d’avoir fait le tour de la question, le tour des personnages et le tour d’un genre de récit. J’avais évidemment toujours envie de continuer " Les Légendaires ", mais j’avais envie de les faire évoluer. Pas forcément pour coller à l’âge de mon premier public qui avait vieilli. On pourrait penser que l’orientation un peu dramatique, un peu sombre, je l’ai faite pour ceux qui avaient acheté le premier tome à l’époque de sa sortie et qui ont maintenant grandi. En fait, je l’ai fait principalement pour moi. J’avais envie de raconter des choses nouvelles et il fallait que je change les fondements de l’histoire si je voulais garder la même excitation, la même motivation. Je sentais que si ce n’était pas le cas, je me serais très vite lassé, voire dégouté de la série. Cette orientation, elle a pris la forme de récits beaucoup plus sombres et d’une diminution des gags. Je n’ai pas hésité, non plus, dans certains albums, à aller plus loin dans la violence. Je considère que j’ai fait le bon choix puisque les albums se vendent de plus en plus depuis que j’ai pris cette orientation.
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Recherches pour le personnage de Gryf dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou Delcourt
C’est certain, ça n’a pas été du goût de tout le monde. Je le reconnais et je le regrette : l’orientation " violence dramatique " de la deuxième partie de la série, celle que je dessine actuellement, m’a fait mettre à dos beaucoup de mes fans de la première heure. Ils auraient voulu que rien ne bouge, que la série reste dans l’esprit des premiers tomes. J’aurais pu en effet le faire, mais cela aurait été une mauvaise décision pour moi.
Un jour, un ami auteur m’a donné le conseil suivant : " fais d’abord la BD pour toi, et espère juste après que cela plaira aux autres. C’est comme ça qu’il faut concevoir une bande dessinée. Un peu égoïstement. Si l’auteur ne se fait pas plaisir, ça ne peut pas durer longtemps ". Donc, je me fais plaisir, tout simplement, en réalisant le genre de récit que j’aurais aimé lire quand j’étais ado. Moi, j’aime les histoires qui sont un peu plus sombres, un peu plus épiques. Donc, ça a été mon choix, et je ne le regrette pas !
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Recherches pour le personnage de Danaël dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou Delcourt
G. J. : En résumé, tu as au moins en tête cinq tomes des " Légendaires " d’avance et six tomes du spin-off à venir : la série n’est pas prête de s’arrêter. On espère simplement que les lecteurs seront au rendez-vous !
P. S : J’espère aussi. Maintenant, je peux me permettre de faire des prévisions sur le long terme parce que la série est très bien lancée et ne cesse d’accueillir de nouveaux lecteurs. Mais c’est vrai que faire des plans sur la comète avec quatre ou cinq albums d’avance en tête, c’est quelque chose que je ne pouvais pas me permettre au début de la série. Je ne savais même pas si j’allais pouvoir faire le tome suivant. À l’époque, je n’étais pas sûr du succès de la série. Alors que maintenant, je peux me permettre d’avoir d’énormes projets, en terme d’histoires, autour des " Légendaires ". Maintenant, savoir ce qui se passera dans cinq ou six ans ? Tout peu arriver... J’espère ne pas me lasser de la série d’ici là. Parce que je suis encore loin d’en avoir fait le tour.
G. J. : Et bien merci beaucoup pour cet accueil Patrick.
P. S. : Merci à vous.
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Croquis des personnages féminins dans leur version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
Gwenaël JACQUET
Interview réalisée le 10 novembre 2010 à Limoges.

Article publié à l’origine en trois parties sur BDZoom.com

"Grimms Manga" T1 et 2 par Kei Ishiyama

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Alors que Disney viens juste de sortir son film " Raiponce " dans les salles de cinéma, Pika édite, de son côté, le second tome de l’adaptation très libre des contes des frères Grimm, en manga. C’est l’occasion de revenir sur cette collection étonnante mêlant roman et bande dessinée.

Les contes des frères Grimm sont extrêmement connus, non pas pour leur version papier, mais le plus souvent grâce à leurs adaptations en film d’animation. Dans ces longs métrages, de nombreuses libertés ont été prises par rapport au texte d’origine. Il faut dire que ces contes sont, en général, assez courts. Néanmoins, on n’aurait pas imaginé d’aussi grands changements que dans l’interprétation qu’en fait Kei Ishiyama avec certaines histoires de cette collection. Le premier volume de " Grimms manga ", paru en 2009, proposait justement l’histoire de " Raiponce " que Disney vient également d’adapter. La plupart des contes divergent par rapport aux écrits originaux. Ne serait-ce que par les conclusions toujours heureuses chez Ishiyama. Pour comparer, il suffit justement de lire la traduction du texte d’origine que Pika a eu la bonne idée de mettre en fin de livre. Ainsi, chaque conte se retrouve à la fois dans sa version texte et dans sa version illustrée.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Au niveau des contes adaptés, on retrouve dans le premier tome : "Le Petit chaperon rouge ", où un enfant loup épouse la jeune messagère de rouge vêtue alors qu’aucune Grand-mère n’est mangée.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Pour " Raiponce " Ishiyama a pris énormément de libertés dans son interprétation des écrits originaux. La princesse à longue chevelure est ici un prince et le courageux fils du roi est devenu une jolie paysanne. Les rôles sont inversés, mais l’histoire reste cohérente et se finit aussi bien que l’originale.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
" Hansel et Gretel " qui met en scène une version narcissique de Hansel, le frère ainé. Le conte n’a quasiment plus rien à voir avec l’original, seule la maison en sucrerie reste.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
" Les Douze chasseurs ", conte moins connu mêlant romance et devoir royal. Ici, peu de changement... À part une natation légèrement différente et un lion devenus simple chat.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Et pour clôturer ce premier livre, un conte extrêmement long, ici séparé en deux chapitres, " Les Deux frères ". Peut être l’adaptation la plus fidèle de ce recueil avec seulement quelques arrangements scénaristiques, mais aucun contre sens.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Le second tome, plus court, illustre quatre contes : l’inévitable " Blanche Neige ", avec de nombreux ajustements sur le plan du scénario qui permettent de renforcer le côté comique de cette histoire. Beaucoup moins noir que le conte original, il met clairement l’accent sur la beauté et la joie de vivre de Blanche Neige, tout en occultant la plupart des passages avec tous les nains.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
" Le Chat botté " dont le début est extrêmement fidèle aux écrits des Grimm, mais dont la suite diverge énormément. Le chat ne sera pas le serviteur d’un puissant comte et ne trompera pas la princesse avec un château insidieusement dérobé aux magiciens : le paysan restera paysan, mais partagera néanmoins sa vie avec la princesse.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Dans " Le Roi grenouille ", adaptation de la nouvelle " Le Prince grenouille ", les rôles masculins et féminins sont inversés ainsi que les caractères des personnages : la grenouille devient désagréable et malheureuse de sa condition de batracien alors que la princesse, devenue prince, est ici d’une gentillesse sans égale.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Le dernier conte, " La Fauvette-qui-chante-qui-sautille " est également en deux parties. Si le début est quasiment identique au conte original, la seconde partie est vraiment différente même si, au final, le résultat est identique : ils vécurent heureux...

© Kei Ishiyama - Pika 2009
La ressemblance de ces livres avec un roman est poussée à son paroxysme en se détournant totalement des codes traditionnels de l’édition du manga. La couverture propose un visuel ou les coins, la tranche et les rabats sont imprimés en imitation cuir. La jaquette, absente, est remplacée par un cartonnage plus épais que la moyenne. Les couleurs des illustrations, ocre pour le premier volume et verdâtre pour le second, renforcent l’aspect ancien et précieux de cette édition. Le tout est rehaussé par un lettrage du titre en impression dorée sur la face avant et la tranche. Ce qui contraste avec le pelliculage mat de ces couvertures. Même si cela reste des livres avec une reliure dos carré collé simple, une fois rangé dans une bibliothèque, ils ne jureront pas au milieu d’autres romans anciens.

© Kei Ishiyama - Pika 2010
Chaque volume est agrémenté d’illustrations en couleur sur ses quatre premières pages. On peut ainsi pleinement apprécier le talent de cet auteur et regretter, par la même occasion, que le reste des albums ne soit pas également colorisé. Néanmoins, le travail de mise en page, ainsi que le graphisme général, étant particulièrement soigné, on oublis rapidement ce " manque " pour plonger dans le récit. On sent la minutie et la précision du trait de la plume d’Ishiyama. Les pages, remplies de cases éclatées, offrent une construction narrative extrêmement vivante et agréable à lire. Enfin, le dessin est sans faille : que ce soit au niveau des humains, petits ou grands, jeunes ou vieux, comme au niveau des animaux, des plus féroces comme les loups ou les lions, aux plus mignons comme les chats ou les lapins. Tout en rondeur, net et clair, rehaussé de nombreuses trames, le travail graphique de Kei Ishiyama est aussi agréable que sa narration.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Même si ce manga est plutôt destiné à un public jeune, à l’instar des contes originaux, cela n’empêchera pas une personne ayant une plus grande maturité d’esprit de passer un agréable moment de détente. Notamment en comparant ces bandes dessinées et les contes originaux judicieusement reproduits en fin des volumes, ou plutôt en début, si on prend le livre dans le sens de lecture occidentale.
Gwenaël JACQUET
" Grimms Manga " T1 et 2 par Kei Ishiyama Éditions Pika (9.90&euroWinking

L'article "Grimms Manga" T1 et 2 par Kei Ishiyama est paru initialement chez BD Zoom

"Carnets de massacre" par Shintaro Kago

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Il est rare de voir publier, en France, un manga dans la mouvance Eroguro. " Carnet de massacre " peut pourtant être considéré comme le digne représentant de ce mouvement atypique qui s’est principalement développé au Japon, mais que ne renierait certainement pas le marquis de Sade, Georges Bataille ou même Romain Slocombe pour rester dans les références françaises.

Très prisé au Japon, le genre Eroguro (1) reste peu représenté dans le reste du monde. Certaines œuvres basées sur ce courant sont néanmoins arrivées en France par le biais d’auteurs comme Suehiro Maruo (2) ou Junji Ito (3). " Carnets de massacre " se distingue néanmoins de ces deux auteurs en présentant un univers moins cauchemardesque et critiquant ouvertement la société de consommation contemporaine.
Découpé en chapitres indépendants les uns des autres, on retrouve pourtant un fil conducteur et des protagonistes identiques d’histoire en histoire. Situé dans un japon moyenâgeux, ce manga s’ouvre avec les démonstrations sordides d’un couple japonais au bord de la rupture. Afin de faire un meilleur mariage, Lemon doit se débarrasser de sa femme Iwa. Pour cela, il s’est procuré un poison venu d’Europe. Malheureusement pour lui, et surtout pour sa femme, elle n’en mourra pas. Bien au contraire elle développera une sorte de tumeur purulente qui va la défigurer complètement. Excité par cette vision cauchemardesque, Lemon exhibera sa nouvelle beauté dans un club où la difformité et les autres défauts corporels sont mis en avant.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Dans la deuxième histoire, on découvre Suzune, une prostituée aux talents prisés par les clients. Le seul reproche qui lui est fait est de ne pas exprimer son désir par des mots durant l’accouplement. Pour cause, elle a la faculté de déplacer sa langue de sa bouche vers ses autres orifices. Malheureusement, un beau jour, sa langue passe dans le corps d’un client, effrayé, et il disparut avec. À la suite de péripéties burlesques, elle réussit à refaire pousser une nouvelle langue qui, cette fois-ci, s’enroule à l’intérieur de sa boite crânienne. Du coup, elle finit, non plus comme prostituée, mais comme dérouleur de " langue de toilette " afin d’essuyer, entre autres, les fesses du shogun soufrant d’hémorroïdes.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
La nouvelle suivante continuera dans l’exploitation de la femme-objet en recréant ce qu’aujourd’hui le fabricant Bandai appel les Gashapon. Des capsules ovoïdes placées dans des distributeurs automatiques destinés aux collectionneurs de figurine, strap pour portable ou tout autre objet de petite taille. Ce mode de distribution est très en vogue au Japon, depuis une trentaine d’années. On retrouve ici le principe des distributeurs, mais sous forme de femme se remplissant le ventre de ces petites boules surprises et offrant leur anatomie intime en les expulsant une par une par leur vagin. Les clients redoubleront d’effort et dépenseront sans compter pour compléter leur collection naissante. La concurrence se mettra en place avec de meilleurs produits et les pondeuses ne se révéleront pas toutes très efficaces ou en bonne santé. Une vrai critique sordide de ce mode de consommation actuel, basé sur le désir, l’aléatoire et la cupidité du genre humain. Sûrement l’histoire la plus intéressante et la plus amusante de ce recueil.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Le reste est dans la même veine. Libraire jaloux se faisant greffer des mains à chaque membre afin d’être plus productif en écriture.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Attaque de pièces de tissu vivantes bouchant les orifices humains.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Virus faisant apparaître une multitude trous sur les objets et les hommes.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Pantin de bois meurtrier. Et pour finir quatre mini récits servant de conclusion souvent macabre à toutes ces histoires surréalistes.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Le trait de Shintaro Kago convient parfaitement à ce type d’histoire. Réaliste et nerveux, il offre un travail à la plume extrêmement soigné et détaillé. Les décors sont omniprésents et les personnages clairement identifiables. Une belle réussite qui, malheureusement, n’est pas mise en valeur par la couverture bariolée. Celle-ci n’étant pas bien représentative du contenu à la fois sombre et grotesque, ce qui est dommage. Ce manga étant vendu sous film plastique vu les images choquantes pouvant être présentées à un lectorat non averti, cela n’incite pas à découvrir cet auteur. Surtout que le prix du livre (18 &euroWinking empêche tout achat impulsif. Espérons juste que certains lecteurs ne s’arrêteront pas là et retourneront le livre dont le dos est beaucoup plus représentatif de l’univers, sordide, décalé et dérangeant de ces " Carnets de massacre ".

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Gwenaël JACQUET
" Carnets de massacre, 13 contes cruels du Grand Edô " par Shintaro Kago Éditions IMHO 18 €
(1) Eroguro : Érotique grotesque.
(2) Les œuvres de Suehiro Maruo publié en France sont les suivantes : " Jeune Fille aux camélias " édité chez Imho en 2005, " Yume no Q-Saku " édité chez Le Lézard noir en 2005, " Lunatic Lover’s " édité chez Le Lézard noir en 2006, " Vampyre I " et " Vampyre II " édités chez Le Lézard noir en 2006, " L’île panorama " édité chez Casterman en 2010, " La Chenille " édité chez Le Lézard noir en 2010, et divers autres éparpillées dans des revues.
(3) Les œuvres de Junji Ito publié en France sont les suivantes : " La Femme limace " édité chez Tonkam en 2009, " Les Fruits sanglants " édité chez Tonkam en 2010, " Gyo " édité chez Tonkam en 2006, " Hallucinations " édité chez Tonkam en 2010, " Le Journal de Soïchi " édité chez Tonkam en 2009, " Le Journal maudit de Soïchi " édité chez Tonkam en 2009, " La Maison de poupées " édité chez Tonkam en 2010, " Le Mystère de la chair " édité chez Tonkam en 2009, " Remina " édité chez Tonkam en 2008, " Spirale " édité chez Tonkam en 2002, " Tomie " édité chez Tonkam en 2004, " Le Voleur de visages " édité chez Tonkam en 2008.

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"Ultimo" T1 de S. Lee et H. Takei

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" Ultimo ", le nouveau titre de Kaze, n’est pas à proprement parlé un manga purement japonais. En effet, le créateur du pitch est un américain extrêmement connu des lecteurs de comics : Stan Lee. Surfant sur la vague manga qui explose également aux USA, il a entrepris cette collaboration avec le dessinateur et scénariste Hiroyuki Takei, déjà connu en France pour sa série " Shaman King ".

Manga atypique au niveau de la collaboration mais extrêmement classique dans le scénario. Comme souvent, il s’agit de la lutte du bien ultime contre le mal ultime. Le tout, saupoudré d’un zeste de médiéval Nippon pimenté d’adolescents contemporains mal dans leur peau.

Les deux Karakuridôji. De droite à gauche : Ultimo représentant le bien absolu et Vice le mal absolu. ©2008 by Stan Lee-POW ! Entertainment, Hiroyuki Takei / SHUEISHA Inc - Kazé
La particularité de cet ouvrage, c’est cette collaboration américano-japonaise peu courante. Stan Lee, pour ceux qui ne le connaissent pas, est le créateur des super héros mythiques de l’éditeur Marvel. On lui doit " les 4 Fantastiques ", les " X-men ", " L’Incroyable Hulk ", " Iron Man " et des dizaines d’autres figures emblématiques de la culture comics. Néanmoins, Stan Lee, tout au long de sa carrière, n’a pas été réellement scénariste de ces séries ; il a souvent juste posé les bases permettant la création d’un univers cohérent ainsi que son développement de départ. Cette dernière tâche étant souvent laissée au dessinateur, co-créateur de la série. Ici, il procède de la même manière ; il lance une base d’histoire et laisse le soin à l’équipe japonaise de créer la suite. Et surtout, Stan Lee leur laisse la charge de faire durer l’histoire en y ajoutant des rebondissements et des protagonistes supplémentaires.
L’influence américaine se fait également sentir sur la couverture où l’encreur, Daigo, et le coloriste, Bob, sont clairement identifiés, même si ce n’est que par des pseudonymes. En général, ces tâches sont déléguées à des assistants œuvrant dans l’ombre ou citées simplement en fin de volume. Ce n’est pas non plus une révolution ! mais la simple reconnaissance du travail de ces différents artistes est toujours une bonne chose.
Ce manga représente la suite logique du travail qu’a entrepris Stan Lee, depuis 2001, en créant sa société POW entertainement (Purveyors of Wonder) avec Gill Champion et Arthur Lieberman. Aujourd’hui POW est détenue à hauteur de 10% par la firme Disney qui a elle-même racheté Marvel en 2010. La boucle est bouclée. Stan Lee fait encore un peu partie de " la maison des idées " qu’est Marvel.

Stan Lee en personne, apparait sous les traits d’un marchand ambulant dans ce manga ©2008 by Stan Lee-POW ! Entertainment, Hiroyuki Takei / SHUEISHA Inc - Kazé
Comme je le signalais en préambule, la base de l’histoire est des plus classique. Le manga débute au XIIe siècle en plein Japon médiéval. Yamato, un bandit de grand chemin lutte avec sa bande contre les riches. Ils prennent à parti un commerçant ambulant occidental du nom de Dunstan. Fait amusant, les traits du marchand rappellent ceux de Stan Lee. Même lunette de soleil totalement anachronique, même moustache, mêmes cheveux blancs et surtout un kimono orné d’une araignée rappelant " Spider-Man ". Celui-ci transporte deux caisses renfermant chacune une de ses créations : des Karakuridôji. Deux pantins représentant le mal et le bien ultime. Il les a simplement créés afin de " découvrir lesquels du bien et du mal est le plus puissant ". Les réveiller amènerait la mort sur le monde. Vous l’aurez compris, Yamato n’écoute pas le vieil homme et ouvre les boites. S’en suit un long combat coupé en pleine action par la seconde partie qui transporte le lecteur à notre époque. Nous voyons réapparaître Yamato, probablement réincarné sous les traits d’un lycéen et découvrant Ultimo, le Karakuridôji du bien, chez un antiquaire. Après neuf siècles passés en hibernation, il revient à la vie et se lie à Yamato comme il l’avait fait auparavant. Le Karakuridôji du mal, du nom de Vice, apparait à son tour et de nombreuses bagarres s’enchainent...

©2008 by Stan Lee-POW ! Entertainment, Hiroyuki Takei / SHUEISHA Inc - Kazé
Passant d’époque en époque, cette histoire est pourtant extrêmement facile à lire. Les personnages sont agréables et les événements se suivent de manière cohérente et simple.
Même si l’intrigue est créée par un américain, cette histoire reste un pur shônen Manga. " Ultimo " emprunte tous les codes caractéristiques de la bande dessinée japonaise. Néanmoins, on sent à la fois la patte et l’expérience de Stan Lee pour la création de personnage doté de super-pouvoir avec une personnalité extrêmement forte et travaillée.
Une réussite indéniable pour ce manga qui, s’il n’a rien d’exceptionnel au premier abord, sait être prenant du fait de sa construction narrative et d’une intrigue de base extrêmement solide.
Gwenaël JACQUET
" Ultimo " T1 de Stan Lee et Hiroyuki Takei Éditions Kazé Shonen Up - 6,50€
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"Mon Vieux" T1 par Tsuru Moriyama

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Akata, la branche manga de Delcourt, sort régulièrement des mangas dont le récit, très dur, offre une vision bien différente du Japon idyllique que l’on imagine généralement. Avec des titres différents des autres éditeurs, ils nous présentent le quotidien de gens simples. Des protagonistes qui essayent, tant bien que mal, de survivre dans un monde qui leur est hostile. On est loin du cliché ou du voyeurisme de bas étage qui étale la prostitution lycéenne ou les suicides dans des reportages télé à sensation.

En début d’année 2010, ce label des éditions Delcourt avait déjà publié le manga, " Un bol plein de bonheur " par le même auteur. Cette fois-ci, c’est avec une série en trois volumes que revient Tsuru Moriyama.
" Mon Vieux " fait partie de ces récits complexes où la frontière entre le bien et le mal est une notion bien superficielle. L’histoire est assez simple, les Kumada sont une famille vivant dans la misère et la pauvreté. Au début du récit, le père est absent, la fille est mariée à un homme extrêmement violent, mais aussi pauvre qu’elle alors que le fils est un trouillard grande-gueule. Le contexte familial peu reluisant est posé.
Là-dessus, un homme, grand, fort et particulièrement baraqué s’interpose dans ce petit monde. Il éclate littéralement la tête du mari venu récupérer sa femme en la trainant par les cheveux comme si c’était un simple bout de viande. Les enfants découvrent donc ce colosse qui sera, à leur plus grande surprise, présenté comme leur père. La suite du récit nous apprendra que seize ans plus tôt, Takeshi Kumada a dû tuer un groupe de yakusa, la mafia japonaise. Afin de l’exproprier, ces derniers venaient de mettre le feu à sa maison. Ayant décimé le clan avec ses poings et une simple pelle de chantier, il n’écopera que d’une peine minime puisqu’il est maintenant de retour.

Pourtant, cette grosse brute qui est dépeinte dans ce début d’album cache en fait un sens de l’honneur, de la loyauté et de la famille très profond. Il n’a jamais levé la main sur sa femme. Il a toujours travaillé dur pour subvenir aux besoins de son foyer. Il a même été jusqu’à plongé dans les flammes de sa maison incendiée afin de sauver ses enfants...
Battu dans sa jeunesse par un père alcoolique qu’il finira par tuer, il n’en a gardé que ce goût immodéré pour le saké. Ce qui lui sert dorénavant aussi bien à soigner son moral qu’à désinfecter ses plaies.
Le trait rugueux et noir de Moriyama convient parfaitement à ce genre de récit. Le dessin travaillé est caractéristique du Gekiga : réaliste et à la limite du grotesque. Les hommes trouvent une mort violente avec des descriptions visuelles sanglantes et détaillées. Les décors, nombreux, sont sales et expriment clairement la pauvreté. L’ambiance générale de ce manga est tendue : c’est un fait indéniable.

Ne faisant pas dans la dentelle, on peut réellement se poser des questions face à cette débauche de violence crue et très exagérée ou l’on voit Takeshi arrêter des sabres avec son bras et trancher la tête des yakuzas avec une pelle. L’auteur donne une vision du père de famille protecteur, mais également chargé de l’éducation stricte de ses enfants. Un homme doit être fort et viril, tel est l’image que Takeshi Kumada veut que ses enfants et sa femme aient de lui. Un père prêt à tout, même sacrifier seize ans de sa vie, pour que sa famille puisse décider de leur avenir sans contraintes. Takeshi Kumada est de retour et compte bien reprendre cette éducation en main.

Ce premier volume de " Mon Vieux " comporte une postface expliquant les raisons de la publication d’une telle œuvre en français. En mettant de côté les aspects purement idéologiques, il faut noter la volonté d’Akata de proposer des titres sortants des stéréotypes habituels du manga. Ici, pas de personnage surhumain, même si Takeshi Kumada semble invincible, juste une famille ancrée dans la réalité quotidienne d’une vie ayant ses défauts, ses moments de peines, mais également sa joie de vivre.
Un manga résolument adulte dans le ton comme dans le graphisme.
Gwenaël JACQUET
" Mon Vieux " T1 par Tsuru Moriyama Édition Delcourt Akata (7,50 &euroWinking

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"Fragments d’amour" par Kiriko Nananan

Kiriko Nananan fait partie de ces mangakas à contre-courant qui sont néanmoins publiés en France. Son nouvel ouvrage, " Fragments d’amour "regroupes des histoires courtes publiées dans diverses revues, il y a une dizaine d’années ou plus. Égale à elle-même, elle nous livre des récits mélancoliques qui sonnent tellement juste que l’on peut s’empêcher d’être bouleversé à chaque fin.


" Jusqu’à la prochaine fois ", le trait précis et fluide de la mangaka sait toucher le cœur de la manière la plus directe qui soit. © Kiriko Nananan - Casterman
" Fragments d’amour " n’a ni héros ni héroïnes, ni de liens entre les histoires. Ce sont réellement dix-neuf récits bien séparés ayant pour seul point commun de ne parler que d’amour. Qui plus est, ce n’est pas toujours le même amour dont il est question. Cela peut être le chagrin d’amour comme dans la première histoire " Jusqu’à la prochaine fois ". L’amour propre et la compétition amoureuse décrite dans la seconde histoire " À propos d’elle, juste une chose " . L’amour fonceur suggéré si justement dans " Et puis commence l’amour ". " L’amour blessant " dans le chapitre du même non. L’amour énigmatique avec l’histoire la plus courte de cet album, de seulement quatre pages, " Crépuscule ". La mésentente amoureuse de " L’Aquarium ", récit de seize pages construites de manière linéaire avec des planches composées de trois cases superposées et sans paroles, à part, sur trois pages où les quelques mots lâchés dans l’espace cassent le rythme monotone. Ils claquent tellement fort qu’ils suffisent à renforcer la tension des deux amants et à eux seuls expliquent beaucoup de choses. Tout comme on sent que chacune des autres phrases servant à agrémenter les différents récits est minutieusement choisie et, qu’à elles seules, elles donnent une part de sens aux histoires sans se perdre dans de longues explications métaphysiques. Juste l’essentiel, juste ce qui va toucher le lecteur et lui tirer un léger sourire ou une larme. Kiriko Nanana n’est pas là pour donner de raison à l’amour, elle ne fait que retranscrire un moment de cet état amoureux.

Le temps qui passe lentement et en silence, une notion particulièrement importante dans le chapitre " L’Aquarium ". © Kiriko Nananan - Casterman
On le voit, chaque histoire se suffit à elle même. Parfois très courtes, parfois plus longues, voir étalée sur plusieurs chapitres comme " Un dimanche de grippe " ou " Amour blessant " comportant chacune trois parties. Ce livre se lit soit d’une traite, soit petit à petit en appréciant les situations à leur juste valeur et surtout en se référant à sa propre expérience. Chez Kiriko Nananan, le récit est toujours structuré pour laisser le lecteur divaguer dans ses pensées, imaginer ce qui se passe entre chaque case (1), lien temporel stratégique de la bande dessinée comme l’expliquait si justement l’auteur américain Will Eisner (2).

Seule scène comportant ouvertement une représentation sexuelle dans le chapitre " Amour blessant VI ". Contrairement à son modèle, Kyoko Okazaki, qui n’hésite pas à dessiner ses personnages dans des positions explicites, Kiriko Nananan est encore une fois dans la retenue et préfère suggérer les choses sans les montrer, laissant ainsi le lecteur fantasmer. © Kiriko Nananan - Casterman
Si le style de dessin de Kiriko Nananan est facilement reconnaissable et surtout très clair et épuré, il est néanmoins aisé de remarquer une différence de traitement entre certaines histoires. Cela s’explique d’une part, par le fait que ces récits ont été dessinés sur une période de six ans, entre 1997 et 2003. Et d’autre part par la multitude de supports de prépublication. Popeye, Cutie, Feel Young, etc. Ce sont tous des magazines plutôt accès mode destiné aux adolescentes ou jeunes adultes. Le manga restant pour eux un produit d’agrément. D’où les récits courts que l’on retrouve dans " Fragments d’amour ".
Les deux récits les plus surprenants graphiquement sont " L’Anniversaire d’une fille " et " C’est bien que soit toi " tous deux publiés à l’origine dans le magazine Bea’s up, lors de sa première année d’existence, en 1997. Plus accès sur la mode et les cosmétiques, cette revue s’adresse en priorité aux jeunes femmes d’une trentaine d’années.

" C’est bien que soit toi " est le chapitre le plus inhabituel, graphiquement parlant. © Kiriko Nananan - Casterman
Kiriko Nananan est une mangaka ayant un public français assez fidèle et adulte. Elle a été particulièrement mise en avant lors d’une exposition assez conséquente mettant en scène ses planches en très grand format lors du festival d’Angoulême en janvier 2009, au CNBDI. Ceci faisant suite à son prix reçu en 2008 de l’École européenne supérieure de l’image. " Fragments d’amour " est son septième livre publié en français.
Gwenaël JACQUET
" Fragments d’amour " par Kiriko Nananan Édition Casterman - Collection " Sakka Auteur " (12,50 &euroWinking
(1) Dans un long entretien avec Benoît Peeters, en 2004, Kiriko Nananan explique sa passion du graphisme et la construction de son œuvre.
L’interview est publiée sur le site de l’École européenne supérieure de l’image.
(2)
Will Eisner, grand théoricien de la bande dessinée a notamment écrit différents ouvrages dans lesquels il parle de ce concept " La Bande dessinée, art séquentiel " et " Le Récit graphique " aux éditions Vertige Graphic ou sa réédition aux Éditions Delcourt " Les Clés de la bande dessinée ".

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" F. Compo " T1 par Tsukasa Hojo

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Panini réédite enfin la série " Family Compo " ou plus simplement " F.Compo " comme indiqué en gros sur la couverture des albums. Précédemment édité par Tonkam, elle fut retirée du catalogue de cet éditeur en 2004, comme tous le reste des œuvres de Tsukasa Hojo suite à la politique de Shueisha, l’éditeur Japonais, de ne plus avoir qu’un seul interlocuteur dans chaque pays ou les œuvres du mangaka sont publiées ; ceci afin de garder un niveau de qualité constant. Pour la France et l’Italie, ce fut donc Panini.

La première version française de " Family Compo " est sortie en 1999 chez Tonkam dans une version respectant le format original japonais, 12,5 x 18 cm. La nouvelle édition de Panini comics reprend le format de luxe déjà en vigueur sur les séries " City Hunter " et " Cat’s Eye ", soit 14,5 x 21 cm. Mais les différences ne s’arrêtent pas à une question de taille, nous allons voir cela ensemble.

Les deux versions placées de manière homothétique l’une à côté de l’autre. © Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
En premier, j’aimerais vous replacer ce manga dans le contexte de l’époque. Tsukasa Hojo est sur le point de terminer " City Hunter ", la série qui l’a consacré auprès du public. En 1995, il débute une nouvelle série " Rash " qui ne fut pas accueillie convenablement par les lecteurs. Comme nous sommes au Japon, pays où les contraintes éditoriales sont très rigoureuses, l’aventure fut stoppée au bout de seulement deux numéros.
Hojo a néanmoins une grande idée, comme il l’explique en introduction de " Family compo " : " je pensais qu’une histoire traitant d’un couple, dont le mari et la femme ont inversé leur rôle pourrait être amusante ". Or, la rédaction de Jump, le magazine mythique pour jeunes garçons qui édite déjà les autres mangas de cet auteur, pense que le sujet est trop osé pour son lectorat. Têtu, Hojo demandera à être publié dans un autre magazine de Shueisha, Allman. Destiné à un public plus adulte le sujet semblait porteur. La série fut en effet un succès durant quatre ans avec ses quatorze volumes.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010
L’histoire en elle même est assez banale et utilise les ficelles classiques de l’auteur pour créer des situations burlesques basées sur le quiproquo. Masahiko Yanagiba se retrouve orphelin à seize ans. Son père vient de décéder dans un accident de voiture et il n’a quasiment jamais connu sa mère. Sans ressources, il voit sonner à sa porte la femme de son oncle qui lui propose de le prendre en charge afin qu’il puisse continuer ses études. Le lecteur se rendra vite compte que sa tante est en faite son oncle et que son mari est en faite sa femme. La famille Wakanae est un couple de travestis.
Le plus drôle dans l’histoire est qu’ils ont un enfant : Shion. Et si pour le moment, c’est une fille, il lui est arrivé de se travestir en garçon durant sa scolarité. Bien sûr, Masahiko est un peu perturbé par ces révélations, mais il finira rapidement par les apprécier en tant que famille.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010
Néanmoins, Masahiko désire hardiment percer le mystère de Shion : est-ce un garçon ou une fille ? Cette situation restera pour toujours ambigüe et sera le leitmotiv de l’histoire. En effet, la série, même si elle se clôture sur un événement heureux, ne répond pas à cette question centrale. De quel sexe est Shion
 ? C’est une fin ouverte, mais qui laisse le lecteur dans l’expectative. Tsukasa Hojo a toujours eu ce problème avec ses séries longues, il ne sait pas comme les finir et préfère laisser l’histoire en suspend comme s’il espérait un jour les continuer toutes. Dans la préface du dernier volume chez Tonkam il raconte même avoir reçu de nombreuses lettres de lecteurs déçus l’encourageant à continuer la série. Or, il répond clairement que " l’histoire serait toujours incomplète, car il n’y a jamais de point final à l’histoire d’une famille ". Une manière détournée pour éluder les questions laissées en suspend. Et il conclut : " ce qu’ils deviendront après le dernier chapitre, je vous laisse à vous, chers lecteurs, le soin de l’imaginer ! ".
Comme on dit " Tout ça pour ça ! ". On en attendait plus, on aurait en effet aimé en savoir encore plus sur les aventures de Masahiko et Shion. On aurait voulu les suivre jusqu’à un point clef de leur vie et non s’arrêter abruptement au meilleur moment. De toutes les séries longues qu’a réalisées Tsukasa Hojo, " Family Compo " est la plus courte (1).
Voyons un peu maintenant clairement ce qui différencie les deux éditions françaises de " Family Compo ".
En premier, j’en ai déjà parlé, la taille des livres. L’édition Panin, qui est plus grande, comporte également plus de pages avec un chapitre supplémentaire qui correspond au début du second volume chez Tonkam. Ce qui est dommage, c’est que ce chapitre était à l’origine en couleur chez Tonkam et se retrouve en noir et blanc chez Panini. De plus, on remarque que le papier utilisé par Tonkam est de meilleure qualité : vraiment blanc et non jaune, et avec un touché plus agréable malgré une épaisseur identique. Mais le papier ne fait pas tout, car l’impression de Panini est bien plus fine et bouche moins les trames tout en respectant la finesse du trait de l’auteur.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Dés la première planche couleur, on peut facilement différencier les deux éditions. Celle de Panini à gauche et celle de Tonkam à droite. La première édition chez Tonkam utilisait des lettrages de couleur et traduisait toutes les onomatopées à la différence du lettrage noir et des caractères japonais présents chez Panini.
La version Panini ayant une édition plus grande, elle a gardé une taille de police sensiblement identique à la version Tonkam. De ce fait, l’écriture flotte plus dans les bulles et cela allège les pages.
On remarquera aussi que la traduction est plus rigoureuse chez Panini : plus formelle, elle semble plus proche de la version japonaise. Néanmoins, la version Tonkam, mise à côté, reste très agréable à lire et les textes coulent un peu mieux, car l’ensemble paraît plus vivant, moins coincé et plus spontané.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010
Cette seconde planche de la version Panini permet de voir la finesse d’impression et une plus grande richesse de couleur que la version de Tonkam ci-dessous. Néanmoins, du fait de l’utilisation d’un papier jaunâtre, cela change la tonalité des couleurs de l’image.

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999
Chez Tonkam, les couleurs sont plus fades et perdent de leur intensité du fait de l’impression moins soutenue.
Après les planches couleur, passons maintenant aux pages en noir et blanc.
Cet extrait est tiré de la première partie lorsque Masahiko découvre la vérité sur son oncle.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999
Grâce à ces deux scans, on remarque clairement l’impression bouchée sur la version Tonkam. Tout est plus sombre, les dégradés sont quasiment inexistants et les détails disparaissent sous la charge d’encre.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Dans cette scène ou Masahiko découvre les attribues masculins de sa tante, on remarque nettement sur la version Tonkam à droite, les pertes au niveau du travail de trame ainsi que les traits bouchés, notamment l’ombre sous le cou qui perd en détail ou les reflets dans les cheveux qui deviennent des pâtés blancs informes.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Même dans les pages couleurs lors de la publication en revue et imprimé en noir dans l’album on remarque une nette différence dans la densité de la trame et son rendu final. Ces deux scans reprennent la version Panini en haut et la version Tonkam en bas sans retouche et en taille réelle.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Cette scène correspond au moment ou Shion joue un tour à Masahiko en lui faisant croire qu’elle ve se dévoilée nue devant lui et lui révéler sa vraie nature. Avec cet exemple, on voit que ce n’est pas le fruit du hasard. La trame a disparu de moitié sur les habits de Shion et les ombres sont bouchées, notamment sous le nez, le cou, les cheveux et les plis de son bustier.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Dans la version de droite de Tonkam, le parti pris a été de traduire les onomatopées alors que Panini a plutôt cherché à conserver le dessin original de l’auteur en traduisant à côté en petit les divers bruits émaillant la série.
Et toujours cette perte de détail dans la trame, notamment dans le dégradé sur la maison en haut en gauche.
Comme quoi, même en noir et blanc une bande dessinée demande beaucoup de travail pour respecter le dessin d’un auteur et le rendre de la meilleure manière qui soit. C’est une alchimie complexe entre qualité de reproduction, couleur du papier et taux d’encrage. On comprend mieux maintenant ce qui a poussé Shueisha à vouloir uniformiser par le haut la publication des mangas de Tsukasa Hojo. Cet auteur ayant, en plus, un trait réaliste très fouillé et assez fin. Donc demandant une rigueur dans la reproduction qui manquait clairement a certains éditeurs. On pensera évidement à la première édition de " City Hunter " chez J’ai lu qui fut un massacre, comme tous les mangas qui sont sortis de leurs presses.

Comme je vous l’indiquais en début d’article, le dernier chapitre de l’édition Deluxe correspond au premier du second volume publié chez Tonkam. Cette édition de 1999 avait des pages couleur qui ne sont pas reprises dans celle de Panini en 2010. Néanmoins, la qualité de reproduction de Panni rend honneur au travail de Tsukasa Hojo. Du coup, vaut-il mieux avoir une première édition au trait bouché, mais comportant des pages d’introduction en couleur, ou une version noir et blanc de bonne qualité et de format plus grand ? À vous de voir en fonction de ce que vous trouverez, sachant qu’aujourd’hui il est quasiment impossible de se procurer l’édition de Tonkam.

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999
La page d’introduction du second album original qui, du coup, saute avec cette réédition.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999

© Tsukasa Hojo - Panini 2010

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999

© Tsukasa Hojo - Panini 2010

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999
Remplie d’humour et extrêmement divertissante, la vie de la famille Wakanae est beaucoup plus terre-à-terre que celle de Ryo Saeba dans " City Hunter ". Mais comme elle comporte son lot d’imprévus, cette série est l’une des plus réalistes de Tsukasa Hojo. Une histoire sur la tolérance, le respect de soi ainsi que des autres, l’acceptation de son corps et de ses singularisés sans porter de jugement sur la vie d’autrui. " Family Compo " reste un classique du manga à découvrir ou redécouvrir avec cette très bonne réédition.
Gwenaël JACQUET
" F. Compo " T1 par Tsukasa Hojo Éditions Panini (9,95&euroWinking.
(1) " Cat’s Eye " 18 volumes - " City Hunter " 35 volumes - " Angel Heart " 33 volumes, la série étant toujours en cours de publication.

http://www.bdzoom.com/spip.php?article4603

LE COIN DU PATRIMOINE BD : Shôtarô Ishinomori

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À l’occasion de la sortie, chez Kana, des aventures de " Sabu et Itchi " dans un premier volume sur les quatre qui sont annoncés, revenons sur le parcours de son auteur, Shôtarô Ishinomori. Contemporain d’Osamu Tezuka, il sera surnommé le roi du manga de par sa carrière prolifique et extrêmement variée. Son travail a d’ailleurs été l’objet d’une homologation au Guinness Book des records, en tant qu’auteur le plus prolifique en matière de bande dessinée avec 128 000 pages de mangas à son actif, soit plus de 500 livres (1).


Couverture du premier recueil des enquêtes de " Sabu et Ichi ". Remarquez l’épaisseur de la tranche, ce volume fait 1136 pages © 2010 Kana - Shôtarô Ishinomori

Ishinomori a commencé sa carrière très tôt, sur les bancs de son école où il dessinait déjà des mangas. En décembre 1954, sa première œuvre sortie en album, " Nikyu Tenshi ", fut d’ailleurs écrite pendant ses années de Lycée. Durant l’année 1950, avec quelques camarades de classe, il a réalisé, à compte d’auteur, deux numéros d’un fanzine appelé Bokuju Itteki (une goutte d’encre) : titre donné d’après un haïku de Shiki Masaoka, célèbre poète et journaliste japonais.
C’est en 1953 qu’il rencontre Osamu Tezuka, alors qu’il participe régulièrement aux concours organisés par les différentes revues de prépublication de l’époque ; ceci en vue de recruter de nouveaux talents. Tezuka, à la recherche d’aides, lui envoya un télégramme l’invitant à le rejoindre à Tokyo. Il fera donc ses premières armes en tant qu’assistant sur " Tetsuwan Atomu " (" Astro le petit robot "), retournant dans son collège pour passer ses examens de fin de trimestre.

" Tetsuwan Atom ", la réalisation la plus connue d’Osamu Tezuka sur laquelle a travaillé Ishinomori © Osamu Tezuka - Mushi production.
À cette occasion, il finira par rejoindre la maison d’artiste créée, en 1952, par le futur dieu du manga : Tokiwa-so. Situé dans le quartier de Toshima-ku à Tokyo, cet appartement modeste était le lieu de création de nombreux mangakas devenus célèbres par la suite, comme le duo Fujio Fujiko (créateurs de " Q-Taro le fantôme " et de " Doraemon "), l’auteur de shôjo Hideko Mizuno, le mangaka sportif Hiroo Terada (auteur, notamment, de " Sportsman Kintaro"), ou encore Fujio Akatsuka, reconnu pour être le roi du gag manga. Si, en 1955, Osamu Tezuka quitte rapidement la Tokiwa-so (après y avoir passé deux ans à créer ses plus grandes œuvres du début de sa carrière), Ishinomori y restera, quant à lui, jusqu’en 1961.

Photo de groupe lors des retrouvailles de 1982, prise à la Tokiwa-so avant sa destruction. De gauche à droite : Shôtarô Ishinomori, Osamu Tezuka, Tokuo Yokota, Motô Abiko, Shinichi Suzuki, et Hiroshi Fujimoto. © tezukaosamu.net
Surtout connu pour ses mangas de science-fiction, c’est en 1966 qu’il va publier la série qui le rendra célèbre : " Cyborg OO9 ". Cette série représente la base de la plupart des créations de science-fiction d’Ishonomori. Publié seulement en mars 2009 en français (chez Glénat), ce manga narre les aventures de neuf êtres humains robotisés, censés devenir les armes de guerre les plus puissantes que le monde n’a jamais connues. Or, le programme ne se passe pas comme prévu. La rébellion se met en marche avec, à sa tête, l’ultime cyborg numéroté 009, bien décidé à se défaire de l’organisation mafieuse Black Ghost. Leurs aventures se dérouleront durant trente-six volumes, jusqu’en 1981. Sérialisée pour la première partie, en 1964 et 1965, dans la revue Weekly Shônen King aux éditions Shônen Gahosha, la série connaîtra sept autres actes, a chaque fois chez un éditeur différent : en 1966 chez l’éditeur Kodansha dans la revue Weekly Shônen Magazine, de 1967 à 1969 chez Akita Shoten dans la revue Shônen Big Comic, en 1970 pour le quatrième arc publié dans le magazine COM édité par Mushi Production (la société de son ami Tezuka).

" Cyborg OO9 " version française © Ishinomori - Glénat

En 1975 et 1976, on assiste à un changement de ton avec la publication, dans une revue pour fille (Shôjo Comic chez Shogakukan). Le sixième arc sera dispatché dans trois revues, entre 1977 et 1979 : Monthly Shônen Jump de Shueisha, Play Comic de Akita Shoten et Monthly Manga Shônen de Asahi Sonorama. En 1979 et 1980, en même temps que débute une nouvelle série animée à la télévision, il publie le septième arc dans la revue Weekly Shônen Sunday de l’éditeur Shogakukan. Et, en 1985, le huitième et ultime arc est publié dans le mensuel Comic Nora chez Gakken.
" Cyborg 009 " à néanmoins été vu, dans sa version animée, par un très petit nombre de personnes dans les cinémas parisiens, pendant les années 60. Distribuées par Éclair Journal entre les actualités et le film, ces versions noir et blanc étaient réduites en épisodes de cinq minutes seulement : pas de quoi laisser un souvenir impérissable aux spectateurs, pour qui l’animation japonaise était totalement inconnue à cette époque.
L’autre œuvre de science-fiction qui rendit cet auteur incontournable est indéniablement " Kamen Rider " (le motocycliste masquéWinking. Première série tokusatsu diffusée à la télévisons japonaise, le 3 avril 1971. Elle fut "designer" par Ishinomori, sur la base de son manga " Skull Man ". Ce dernier est particulièrement violent et immoral : le héros, orphelin suite au meurtre de ses parents par un mystérieux homme masqué, n’hésitera pas à sacrifier des innocents afin d’assouvir sa soif de vengeance. Plutôt destinée à un jeune public téléphile, la série " Kamen Rider " se devait d’être beaucoup plus morale.

" Kamen Rider ". Le manga ou le héros porte un masque avec des yeux de mouche © Ishinomori production.
Dans la même lignée, il invente également le " Sentai " : série avec un scénario succinct où un groupe de cinq héros, toujours habillé de couleur flashy (rouge, vert, bleu, jaune et rose), combattent des extraterrestres en caoutchouc à longueur d’épisodes. La première histoire crée par Ishinomori est " Gorangers ". Elle n’a jamais été diffusée en France (2) ; par contre, nous avons pu voir " Bioman " qui est la huitième série de ces " Super Sentai ". Mais Ishinomori n’y a jamais participé, s’étant retiré de ce genre après l’échec de sa seconde série : " Jako Dengekitai ".

" Goranger " : première série Sentai. © Ishinomori production.
Il se concentre alors sur la franchise " Kamen Rider " qui toujours très populaire auprès des jeunes Japonais. En France, la première série de ces samouraïs spatiaux que nous avons connu, et auquel Ishinomori a participé en tant que " designer " des personnages, est " San Ku Kai ". Gros succès de la télévision française de l’année 1978 ! Influencé par le succès de " Star Wars ", on y retrouvait le combat des rebelles contre un pouvoir hégémonique : Golem 13 et son armée de Stressos, le robot blanc intelligent : Sidero, le gentil monstre poilu s’exprimant par grognement : Siman, et des héros forcément beaux et virils (du moins pour l’époque) : Ryû le rouge et Ayato le blanc. Une adaptation en bande dessinée a été réalisée, en France, par Pierre Frisano : dont deux albums ont été publiés chez Dargaud, en 1979 et 1980. Au Japon, c’est l’assistant d’Ishinomori, Shugâ Satô qui s’est vu confier l’adaptation de la série en manga, alors que le maître en avait quand même écrit le scénario original.

De gauche à droite : " Sankukai " T1 et 2 Français par Pierre Frisano. " Uchu kara no message : Ginga taisen " de Shugâ Satô. © Dargaud - Frisano - Ishinomori production.

Si Shôtarô Ishinomori fut prolifique en matière de science-fiction, il réalisa également d’autres œuvres inattendues et contemporaines, comme l’un des tout premiers mangas sortit en mai 1989 en France, chez Albin Michel : " Les Secrets de l’économie Japonaise ". Datant de 1986, au Japon, ce manga est d’abord passé par les États-Unis avant d’être traduit de l’anglais vers le français. Présenté comme un roman, avec les pages tournées dans le sens occidental (rendant, du coup, tous les protagonistes gauchers), ce livre ne fut pas un succès. Il faut aussi préciser que le dessin, qui était agrandi, était réalisé avec un style ni proche du réaliste ni réellement caricatural, et que le sujet était assez rébarbatif et romancé a l’extrême : ce qui pouvait difficilement plaire à un public occidental.
Quant à l’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui, " Sabu to Ichi Torimono Hikae " (" Les Arrestations de Sabu et Itchi "), elle a été créée par Ishinomori en 1966, dans la revue Weekly Shônen Sunday. Elle a ensuite continué pendant quatre ans dans la revue Big Comic, d’avril 1968 à avril 1972. Cette série reste l’une des plus connues d’Ishinomori car elle a remporté le prix du manga shogakukan de l’année, en 1968. Incursion dans le Japon médiéval, elle met en scène un jeune détective plein de ressources : Sabu. Ainsi qu’un masseur aveugle particulièrement doué dans le maniement du sabre : Itchi.

Le début du manga " Sabu et Ichi " empruntant à Tezuka ses traits caractéristiques. © Shôtarô Ishinomori - Kana
Le manga est assez violent pour l’époque ; et si les premiers épisodes sont clairement influencés par le trait rond d’Osamu Tezuka, les épisodes suivants deviennent de plus en plus réalistes, jusqu’à emprunter des codes graphiques propres au Gekiga. On y retrouve, ainsi, un certain réalisme à la Tako Saito (" Golgo 13 ") ou une énergie à la Sampei Shirato (" Kamui Den ") (3), ainsi que de nombreux décors inspirés d’estampes traditionnelles. Les scènes dénudées, mais jamais vulgaires parsèment même le récit.

Plus le manga avance, plus le trait devient réaliste. © Shôtarô Ishinomori - Kana

Une des nombreuses pages inspirées des estampes traditionnelles. © Shôtarô Ishinomori - Kana
Si c’est la première fois que l’intégrale de " Sabu et Ichi " sort en France, une précédente traduction existe, du moins pour certains épisodes. C’est en 1978, dans le second numéro du Cri qui tue, revue Japono-Suisse ayant seulement connu six numéros et qui fut l’une des premières à proposer des mangas au public francophone (4), qu’une première enquête de trente et une pages fut traduite : « La Chaise à porteurs ». Dans le numéro suivant, nous eûmes droit à trente-quatre nouvelles pages intitulées « Le Village de pitié ». Le numéro 4 offrait aussi trente-sept pages intitulées « Les Mémoires de Sabu et Itchi, longues pluies » : un récit plus adulte ou l’on voit réellement le travail de narration de l’auteur avec une première partie muette, seulement rythmée par quelques onomatopées : le reste du récit mélangeant érotisme léger et violence graphique, dans une mise en page extrêmement travaillée.

Le Cri qui tue  : honorable revue de bande dessinée qui ne durera malheureusement que six numéros © Atos Takemoto - Kesselring

Le numéro 5 de la revue ne comportera pas d’aventure de nos deux détectives, mais, entre temps, Atos Takemoto (le créateur du magazine), avec le soutien des éditions suisses Kesselring, a sorti un album atypique de " Sabu et Itchi " intitulé « Le Vent du nord est comme le hennissement d’un cheval noir ». L’album n’aura absolument pas de succès et pour cause : couverture souple aux couleurs jaune et orange, typographie style machine à écrire, détourage raté et, surtout, peu représentatif du contenu. Cela ne rend pas hommage au travail d’Ishinomori qui est d’ailleurs encore nommé tout simplement Ishomori, comme c’était le cas à l’époque au Japon (5) ; le grand format de l’album, 23 x 32 cm, n’arrangeant pas le dessin prévu à l’origine pour être publié en format poche. Le numéro 6 de la revue, quant à lui, est entièrement consacré à " Sabu et Itchi " avec deux aventures : « Corbeau » et « Sang et neige », cette dernière concluant également ce premier recueil de " Sabu et Itchi " aux éditions Kana.


Deux traductions de " Sabu et Ichi ". La version Kana à gauche et la version " Cri qui tue " à droite. Remarquez dans la version de droite, l’inversion de la première planche d’exemple alors que la seconde est restée dans le sens de lecture japonais, or, Le Cri qui tue était publié pour une lecture à l’occidental. Atos Takemoto ne retournait les images que lorsque cela était nécessaire. @ Ishinomori - Kana - Atos Takemoto - Kesselring
Grâce à ces deux traductions différentes, on peut remarquer que le ton adopté chez Kana est plus soutenu, moins direct, et semble mieux correspondre aux dialogues originaux. Une chose est certaine, le lettrage, plus soigné, est bien plus agréable à lire même s’ils sont de plus petite taille.
À noter aussi que les aventures de " Sabu et Itchi " ont fait l’objet d’une série TV, en noir et blanc, diffusée en seconde partie de soirée au Japon. Elle fût d’ailleurs considérée comme la première adaptation de mangas en animé pour les adultes et la première à être proposée à une heure aussi tardive. Depuis, les exemples ne manquent pas et c’est même devenu un créneau très couru.

La série TV en noir et blanc : " Sabu to Ichi Torimonohikae " diffusée en 1968. Dirigée, entre autres, par Rin Tarô © Mushi Productions, Studio Zero, Tôei Animation.
Avec cet ouvrage publié chez Kana, on voit bien le parcours et l’évolution de Shôtarô Ishinomori, ainsi que ses influences... Et ce n’est qu’une toute petite partie de son travail : d’autres œuvres, très différentes, ayant également été publiées, en France, très récemment. Deux mangas historiques : un sur " Hokusai " et un autre sur " Miyamoto Musahi " (en 2005), toujours chez Kana.

" Hokusai " © Ishinomori - Kana

" Miyamoto Musashi " © Ishinomori - Kana
Décédé d’une crise cardiaque, le 28 janvier 1998, à l’âge de soixante ans, Shôtarô Ishinomori laisse derrière lui un travail considérable et bien peu connu en dehors de l’Asie. Au Japon, un musée lui est dédié depuis 2001, dans la ville de Ishinomaki, le " Ishinomori Mangattan Museum ".
Gwenaël JACQUET, avec un petit peu de Gilles RATIER.
" Sabu et Ichi " T1 par Shôtarô Ishinomori Éditions Kana (29&euroWinking

Couverture française de " Sabu et Ichi " © 2010 Kana - Shôtarô Ishinomori
(1) Ce qui serait erroné puisque Osamu Tezuka est crédité de plus de 150 000 pages à son actif, réparti dans plus de 700 Volumes reliés. Mais comme il est aisé de manipuler les chiffres et que cela n’enlève rien au talent d’Ishinomori, autant le prendre comme une reconnaissance du travail accompli.
(2) Une série de jouets tirée de la série " Gorangers " a été distribuée en France par Mattel dans leur collection " Shogun Warriors " au début des années 80, alors que nous n’avons jamais eu cette série à la télévision ou en vidéocassette.

(3) Nous reviendrons vraisemblablement dessus puisque Kana a également prévu, en décembre 2010, de publier " Kamui ", ce chef-d’œuvre de Sampei Shirato, dans la même collection que le " Sabu et Ichi ".
(4) En effet, contrairement à ce que l’on a cru pendant des années, Le Cri qui tue ne fut pas la première revue à publier des mangas en France, comme nous l’avons démontré dans le " Coin du patrimoine " consacré à Hiroshi Hirata :
http://www.bdzoom.com/spip.php ?article3468.
(5) Shôtarô Ishimori fit changer son nom en Ishinomori vers la fin de sa carrière. Celui-ci ayant toujours considéré la lecture de son pseudonyme comme étant constitué de la particule centrale " NO ", alors que ses éditeurs, par raccourcis et habitude, ne souhaitaient pas respecter cette orthographe. Ce nom lui vient de son lieu de naissance situé au nord du Japon, dans la préfecture de Miyagi. En 1984, il fit changer son état civil de Shôtarô Onodera en Shôtarô Ishinomori, obligeant, au passage, tous ses détracteurs à respecter son patronyme.

"Monster Soul" T1 par Hiro Mashima

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Après avoir terminé la série " Rave " qui le propulsa au panthéon des mangakas les plus rentables du Weekly Shônen Magazine, et avant de commencer son deuxième plus gros succès " Fairy Tale ", Hiro Mashima a réalisé " Monster Soul " : une courte série en seulement deux volumes.

Ce manga raconte les conflits qu’il peut y avoir entre des monstres et des humains : le tout sur un ton humoristique et décalé.
À Elvenland, monstres et humains cohabitent en paix, mais ce ne fut pas toujours le cas. Un grand affrontement a vu la victoire des humains, ce qui a conduit à rendre certains monstres hors-la-loi. L’histoire débute d’ailleurs par la quête de deux chasseurs de primes humains ayant capturé un Joba : bestiole à la tête en forme de gousse d’ail. Les Black Airs, le groupe de monstre le plus redouté de cet endroit s’interpose et s’en suivra une histoire rocambolesque qui présentera, au fur et à mesure de son déroulement, les différents protagonistes.

Image © Hiro Mashima - Pika
Aki, le héros, humain d’apparence, mais pouvant se transformer en un loup-garou des plus féroces. Tooran, golem à la forme d’une jeune fille un peu cruche et simple d’esprit (excellent ressort comique). Mamie, momie sexy qui est la plus âgée du groupe : elle prend soin d’eux et n’hésite pas à donner de sa personne pour les protéger. L’ultra violent, mais peu futé, James, Frankenstein : son visage a la particularité de ne pas tenir en place (du comique à répétition simple, mais qui fonctionne). Et toute une galerie d’autres monstres plus improbables les uns que les autres.

La particularité de " Monster Soul " est de se placer du point de vue de ces créatures, d’habitudes cantonnées au rôle de méchants, cruels et effrayants. Les humains y sont quasiment absents.
Ce premier tome est divisé en trois chapitres complètement distincts. Ils peuvent se lire indépendamment les uns des autres : ce qui est de plus en plus rare dans les mangas qui cartonnent de nos jours, mais qui était encore très courant au début des années 90. Le chapitre 1, " Voilà les Black Air " raconte la capture ratée du groupe des chasseurs de prime. Le second chapitre, " Révolte des montres ", introduit le personnage de Beacon : un fantôme se servant de ses pouvoirs de contrôle sur les êtres afin de lancer une guerre personnelle contre les humains. Le troisième chapitre, " Changer l’intention en force ! " dévoile la jeunesse de nos héros avec l’apparition de leur ennemi de toujours : Garouelf, une chimère à deux têtes.
Ces trois chapitres ont été pré-publié dans le magazine pour très jeunes enfants Comic Bom Bom, de janvier à mars 2006. Le second volume à paraitre a été écrit bien plus tard, entre juin et septembre 2007, et prend place en enfer. La série à peu de chance de reprendre du fait de l’arrêt du titre fin 2007, après avoir clôturé le dernier chapitre : son auteur concentrant actuellement son studio sur la réalisation du manga " Fairy tail ".

Image © Hiro Mashima - Pika
Hiro Mashima nous a toujours habitué à beaucoup d’humour dans ses œuvres. Celle-ci ne déroge pas à la règle et reste dans la tradition des grands mangas d’aventure humoristiques comme " DragonBall " ou " One Piece ". On sent d’ailleurs l’influence d’Akira Toriyama, à la fois dans la construction narrative et dans le dessin : surtout sur les personnages secondaires qui font un peu penser à l’ambiance d’un " Dragonquest ". En tant qu’amateur de jeu vidéo, il ne serait pas surprenant que ce hit des années 80 ait marqué l’auteur.
Extrêmement divertissante, " Monster Soul " reste une série sans prétention : néanmoins, le tailnt de son auteur fait que cela fonctionne bien. Le lecteur passe un agréable moment en compagnie de ces personnages burlesques et improbables. Le dessin est identique à ses deux autres séries phares, dans la droite ligne des mangas mythiques des magazines Jump ou Sunday. C’est un pur produit pour les jeunes enfants d’une dizaine d’années, mais qui est accessible aux amateurs du genre, quel que soit leur âge ; pourvu qu’ils aient envie de retrouver leur âme d’enfant et qu’ils soient à même d’apprécier cet humour typique des Japonais.
Bien parti pour être un succès, ce manga est d’ailleurs classé en dixième position des meilleures ventes de mangas en septembre/octobre 2010 comme nous le signalait
Gilles Ratier dans son dernier " TOP 15 MANGAS ".
Gwenaël JACQUET
" Monster Soul " T1 par Hiro Mashima Éditions Pika (6,95&euroWinking

Image © Hiro Mashima - Kodansha

"Cat Street" T1 & 2 par Yoko Kamio

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Yoko Kamio revient avec une nouvelle série en huit tomes, après avoir finalement clôturé son chef-d’œuvre, " Hana yori Dango ", au bout de 37 volumes. Cette fois-ci, ce n’est pas Glénat qui édite cette série, mais Kana.

" Cat Street " commence comme un conte de fées. Keito Aoyama est une très jeune actrice. À cinq ans, elle passe haut la main le casting de sa première publicité... Enchaînant rôle sur rôle. Et comme elle ne pense qu’à son travail, ses études vont en pâtir et ses amis s’éloigner extrêmement rapidement.

image © Yoko Kamio - Kana

À neuf ans, elle croit se lier d’amitié avec Nako, une jeune actrice, engagée en binôme avec elle, pour jouer dans une pièce de théâtre. Yoko va lui apprendre les ficelles du métier, la faire progresser afin de lui redonner confiance. Nako finira par se révéler être un adversaire redoutable prêt à tout pour lui voler la vedette. Avoir cru en cette amitié est le coup de grâce pour Yoko : cela se traduira par une extinction de voix lors de la première représentation.
À seize ans, alors qu’elle ne fait plus rien de ses journées, l’ex-star rencontre, par hasard, un inconnu lui proposant d’intégrer une école spéciale destinée aux jeunes sortis du système scolaire habituel, " El Liston ". Réticente au départ, elle s’habituera à cette nouvelle vie en rencontrant toutes sortes d’élèves aux passions étranges : Tayô Harasawa, ex-joueur de football ayant perdu son rêve d’aller en série A, Rei Saeki, un garçon plus que mystérieux, Kôichi Mine, un nerd restant enfermé toute la journée à programmer sur son ordinateur, Momiji Noda, lolita passionnée par le design de la mode... Et quelques autres protagonistes, au fur et à mesure que l’histoire se développe.
Comme c’est souvent le cas dans les shôjo mangas, on pourrait croire que l’aventure qui va nous être contée sera empreinte d’amitié, de bonheur et d’acharnement dans le travail. On se rend vite compte, passé le premier chapitre qu’il n’en est rien. Avec cette histoire, l’auteure va traiter du syndrome d’hikikomori (1), une maladie consistant à se renfermer sur soi et à se couper du reste du monde, jusqu’à ne plus sortir de sa chambre. Ce sujet a été largement traité dans un autre manga sorti en 2008, chez Soleil ," Bienvenue dans la NHK " (2). Bien connu au Japon, ce syndrome est quand même assez peu traité en manga et donc le retrouver dans un shôjo est plutôt surprenant.

image © Yoko Kamio - Kana
Yoko Kamio, en plus d’être une très bonne dessinatrice, excelle également dans l’art de la narration. Elle nous le prouve encore en mélangeant des moments empreints de légèreté à d’autres, assez graves, ou l’on se rend compte que la vie n’est pas toujours rose. Une scène du second volume permet de bien résumer ces tensions lorsque Taiyo, un camarade d’enfance, ramène à Keito une bouteille qu’elle avait laissée en classe, une dizaine d’années plus tôt, et qui devait servir pour un projet scolaire. Elle se rend compte que ce garçon est beaucoup plus qu’un ami pour elle. Tout bascule lorsqu’il lui annonce clairement qu’il était amoureux d’elle ; qu’il a fait de gros efforts pour la ramener en classe ou juste pour la voir un instant à sa fenêtre
 ! Le temps à passer, Keito ne sais pas comment se comporter devant cette annonce et se renferme sur elle même, devient blessant ; et lorsque Taiyo s’en va, elle réalise que son monde s’écroule autour d’elle.
Pas besoin de longs discours pour montrer toutes ces subtilités narratives quand on sait dessiner comme Yoko Kamio. Cette auteure nous fait ressentir les choses très simplement, grâce à l’attitude de ses personnages. Tout passe par leur expression du visage. Le graphisme est un mélange de dessins réalistes et d’autres, plus schématiques ; passant par toutes les facettes de la surprise, l’empathie, le repli, l’exubérance, la colère, le dégoût et bien évidemment l’incompréhension.
Pas besoin de décors poussés pour se situer : une tenture symbolise le théâtre, les balançoires le parc, une barrière le terrain de foot. C’est clair, net et précis, sans en faire trop. Tout comme la mise en page et le jeu de trame qui serve impeccablement le récit.

image © Yoko Kamio - Shueisha
Sous des couvertures très différentes de l’édition originale japonaise, et même plus pastel que celle d’ " Hana yori Dango ", l’édition française de ce récit comblera les amateurs de shôjo. Transportant le lecteur dans le monde de désarrois dans lesquels est plongée l’héroïne, ces deux premiers volumes se lisent d’une traite ; et l’on en sort forcément bouleversé. Et peut être même un peu plus serein quant à sa propre condition et à ses passions somme toute bien anodines.
Gwenaël Jacquet
" Cat Street " T1 & 2 par Yoko Kamio Édition Kana

image © Yoko Kamio - Kana
(1) Wikipedia en fait une très bonne description : Hikikomori (
引き篭り ?) est un mot japonais désignant une pathologie psychosociale et familiale touchant principalement des adolescents ou de jeunes adultes qui vivent cloîtrés chez leurs parents, le plus souvent dans leur chambre pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, en refusant toute communication, même avec leur famille, et ne sortant que pour satisfaire aux impératifs des besoins corporels... http://fr.wikipedia.org/wiki/Hikikomori.
(2) " Bienvenue dans la NHK " [" NHK ni yōkoso ! " (NHK
にようこそ !)] , manga en huit volumes par Kenji Oiwa, sur une nouvelle de Tatsuhiko Takimoto ; paru en France aux éditions Soleil.

"Over Bleed" T1 par 28Round

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Les éditions Ki-oon se lancent dans le manga de combat avec une œuvre aussi courte que dérangeante. Une histoire de « Bully » (1) à la japonaise.

Kei fait partie de ce que l’on appelle, au Japon, les ijimé : ces élèves martyrisés par leurs ainés ou leurs camarades de classe. Souvent ce sont de simples écoliers un peu différents et renfermés sur eux même. Les brimades peuvent n’être que verbales, dans les cas les plus légers, mais peuvent aller jusqu’aux atteintes physiques violentes (et répétées), dans les cas les plus graves. C’est ce qu’a voulu monter le dessinateur et scénariste 28Round.

image © 28Round - 2008 Square Enix Co, Ltd. - 2010 Ki-oon
Avec un nom pareil, il est évident qu’il s’agit d’un pseudonyme. C’est d’ailleurs son unique série à ce jour. Vu la force avec laquelle est décrite la maltraitance, il semble logique que l’auteur ait voulu se protéger. Et il a bien eu raison : " Over Bleed " a fait polémique au Japon et s’est vite arrêté, au troisième volume.
L’histoire commence fort, le protagoniste principal, Kei, passe du stade de brimé à celui bagarreur. Pas la petite bagarre dans la cour de récréation, mais la « baston » violente et préparée. Les poings recouverts d’un foulard pour se protéger et des dialogues évocateurs « ... si tu savais à quel point un combat peut être jouissif !! ». À côté, le manga " Coq de combat "(2) passe pour un shôjo. Les brimades, les coups, la mort, le suicide se succèdent dans cette histoire qui laisse un gout d’amertume prononcé.

image © 28Round - 2008 Square Enix Co, Ltd. - 2010 Ki-oon
La vie est triste, on sent la lourdeur qui pèse sur les épaules de chaque personnage. Leur besoin de se sentir le plus fort. Le voyeurisme grâce aux films des combats envoyés sur internet. Et surtout la recherche d’un ami, une personne de confiance qui ne serait plus là. En effet, l’histoire tourne principalement autour du décès présumé d’Akira, un jeune ayant tenté d’entrainer Kei dans son suicide. Ce dernier s’en ressortira, le corps d’Akira ne sera lui jamais retrouvé. Pourtant Kei semble le reconnaitre sur des images de Free Fight diffusé sur un site de partage de vidéo alors qu’il se présente sous le pseudonyme de Bunen.

image © 28Round - 2008 Square Enix Co, Ltd. - 2010 Ki-oon
" Over Bleed " n’est pas un manga tout public. Mais quel est son public d’ailleurs
 ? Les amateurs de baston ? Les fans d’histoires tristes et misérables où la condition humaine est revenue à un stade animal ? Les jeunes au mal de vivre permanent ? Ou peut-être tout cela en même temps ?

image © 28Round - 2008 Square Enix Co, Ltd. - 2010 Ki-oon
En tout cas, le trait de 28Round est vif, nerveux, mais maitrisé. Les scènes d’action sont parfaitement mises en valeur. Les protagonistes identifiables immédiatement, même lorsque leurs visages sont tuméfiés par les coups. Les décors sont soignés et la mise en page claire et dynamique. Ce manga se dévore à une rapidité impressionnante, les cases s’enchainent les unes après les autres. Le texte est simple, démonstratif et va à l’essentiel.

image © 28Round - 2008 Square Enix Co, Ltd. - 2010 Ki-oon
Si vous n’avez pas les tripes bien accrocher, n’envisagez même pas d’ouvrir ce livre, chaque page est un choc visuel. Les autres attendront avec impatience les deux prochains volumes.
Gwenaël JACQUET
" Over Bleed " T1 par 28Round Éditions Ki-oon (7,50)

Couverture française © 28Round - 2010 Ki-oon
(1) " Bully " : Phénomène de maltraitance ayant été traité par Larry Clark dans son excellent film du même nom mettant en scène Brad Renfro et Rachel Miner qui interprètent respectivement Bobby Kent et Marty Puccio. Deux amis d’enfance perdus dans une petite ville américaine. Le premier se sert de son ami comme défouloir, il le brime dès qu’il peut et cela finit bien évidemment tragiquement.
(2) " Coq de combat " : manga de Iz Hashimoto et Akio Tanaka paru aux éditions Delcourt/Akata. 19 volumes en français sur les 25 parus au Japon. La série est d’ailleurs arrêtée à cause d’un différend entre le dessinateur et le scénariste. Le premier a intenté un procès à Iz Hashimoto qu’il accuse de n’avoir fourni qu’une ébauche insuffisante pour être crédité en tant qu’unique scénariste.

L'article ZOOM MANGA : "Over Bleed" T1 est paru chez BD Zoom

RENCONTRE AVEC BERNAR YSLAIRE À LIMOGES

Dans le cadre des rencontres " Passages de pages ". La Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges (BFM) accueille le dessinateur Bernar Yslaire.

Le débat sera animé par Gilles Ratier et Étienne Rouziés. Ils reviendront sur le parcours atypique de cet auteur de bande dessinée, notamment sur sa saga des " Sambre " et sur son " Ciel au-dessus du Louvre ".
L’entrée est libre et gratuite.
La rencontre se tiendra en salle de conférence, au sous-sol de la BFM à 19H, le jeudi 14 octobre 2010.
Le site de la BFM nous en fait une présentation sommaire :
" Des juvéniles " Bidouille et Violette " du magazine Spirou à une récente commande pour le Musée du Louvre : " Le Ciel au-dessus du Louvre " (en collaboration avec le scénariste de cinéma Jean-Claude Carrière) où il dessine la Révolution pour les éditions Futuropolis (en 2009), en passant par la saga romantique des " Sambre ", Yslaire s’est longtemps cherché, découvert, réinventé même, pour devenir pluriel. Il nous offre une œuvre en devenir, foisonnante, passionnante, ambitieuse... en un mot, unique ! "
Faites passer le mot, c’est un auteur qui se déplace rarement et c’est donc une occasion unique de le rencontrer de manière conviviale et accessible !

"Deadman Wonderland" T 1& 2

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" Deadman Wonderland " n’est pas à mes yeux le manga qui remporterait la palme de l’originalité ou de la crédibilité. Néanmoins, il risque de faire un carton auprès d’une certaine catégorie de public, les jeunes garçons.

Le récit débute dans un Tokyo ravagé, il y a une dizaine d’années, par un terrible tremblement de terre qui détruisit une grosse partie du Japon. Le contexte est posé et utilise la plus grande crainte des Japonais comme leitmotiv.

Un massacre sanglant © Jinsei Kataoka - Kazuma Kondou - Kana
L’histoire, en elle même, suit la vie d’Igarashi Ganta, un écolier dont tous ses camarades de classe, sans exception, se sont vus massacrer par un homme étrange, flottant dans les airs dans une armure rouge. Cette dernière information étant visuellement peu aisée à partager dans un manga en noir et blanc. Ganta aura la vie sauve et comme seule séquelle un cristal incrusté par le mystérieux tueur dans sa poitrine. Cela disparaitra aussi vite que c’est apparu, mais aura un impact sur le reste de l’histoire, bien évidemment.

Cet homme en armure rouge est la cause de tous les soucis d’Igarashi Ganta © Jinsei Kataoka - Kazuma Kondou - Kana

Pages couleur d’introduction du premier volume © Jinsei Kataoka - Kazuma Kondou - Kana

Étant étrangement le seul survivant, Igarashi sera reconnu coupable du meurtre de ses camarades dans un procès plus qu’expéditif et invraisemblable. Ce passage, concentré sur les vingt-sept premières pages du récit, fait une description graphique extrêmement violente et explicite du massacre ; on sent bien que les auteurs sont là pour en mettre plein la vue sans s’encombrer d’ellipses narratives, ceci afin d’entamer au plus vite la suite. Tout se passe rapidement, avec peu de dialogues et des cases immenses afin de bien mettre le spectateur devant le fait accompli.
L’histoire commence donc réellement lorsque Igarashi sera condamné à mort et envoyé dans une prison qui donne son titre au manga, Deadman Wonderland : celle-ci tenant plus du parc d’attractions que de l’univers carcéral représenté habituellement. Les personnages sont très caricaturaux, à l’image de la gardienne qui a vraisemblablement eu des soucis avec le lavage de son uniforme tellement celui-ci est moulant ; on y retrouve le fantasme de la dominatrice à gros sein en uniforme militaire, cher aux Japonais. Le reste de l’histoire est du même tonneau : exagérée et stéréotypée.

Pages couleur d’introduction au second volume © Jinsei Kataoka - Kazuma Kondou - Kana
Dans cette prison d’un nouveau genre, il faudra que le condamné gagne son espérance de vie au travers de joutes sanglantes rappelant le temps de gladiateurs. La récompense pour le gagnant : un bonbon censé contenir un antidote au poison qui est injecté, petit à petit, dans leur corps, à l’aide d’un collier électronique. Si le condamné n’avale pas ce bonbon tous les trois jours, il décédera dans d’atroces souffrances. Le scénario exploite à nouveau les fantasmes des jeunes garçons d’une dizaine d’années : la vie dans un parc d’attractions, les combats violents ou la mort n’est qu’un jeu, des bonbons comme seule nourriture.
D’autres mangas ont déjà mis en avant le thème du jeu futuriste barbare ou le vaincu risque forcément sa vie ; il y a eu le Rugball chez " Cobra " de Buichi Terazawa dans les années 80 puis le Motor-ball dans " Gunnm " de Yukito Kishiro dans les années 90, maintenant il y a le Carnival Corps dans " Deadman Wonderland ".
Présenté comme cela, ce manga semble des plus inintéressants. Pourtant, le dessin est extrêmement agréable et la mise en forme dynamique des pages rend cette histoire invraisemblable facilement lisible. Il faut dire que, comme dans tous les fantasmes de petit garçon, le héros est aidé par Shiro (1), une jeune fille mystérieuse, laquelle sait se battre, le protège en permanence et a des formes plutôt attractives malgré son jeune âge. On en revient toujours au type basique un peu macho qui a besoin de se sentir protéger par une figure maternelle. Ce n’est assurément pas ce titre qui va rehausser la côte des mangas auprès d’un public déjà suspicieux...

Quelques planches montrant bien la violence graphique de ce manga © Jinsei Kataoka - Kazuma Kondou - Kana
Jinsei Kataoka et Kazuma Kondô n’en sont pas à leur coup d’essai. En France, nous leur devons déjà le superbe " Eureka Seven " également publié chez Kana. Leur trait tout en rondeur sait mettre en valeur les personnages grâce à des pleins et des déliés du plus bel effet. La plume est assurément maitrisée. Les décors sont nombreux et soignés, chaque détail est placé avec minutie. Quant à la mise en page, elle est entraînante, alternant des planches constituées de grandes cases explicites et des pages mixant quelques petites cases narratives, voire des pleines pages d’action bien descriptives : bref, le spectateur a toujours de quoi s’en mettre plein la vue.

Shiro, sous une apparence de petite-fille modèle se cache une terrible psychopathe © Jinsei Kataoka - Kazuma Kondou - Kana
Le thème de " Deadman Wonderland " est un classique du manga. En tout temps, il y a eu des histoires violentes et peu crédibles mettant en scène le dépassement de soi et la combativité de groupe. " Les chevaliers du zodiaque " en est un bon exemple. Ce qu’il y a en plus dans " Deadman Wonderland ", c’est ce côté malsain et un certain voyeurisme que l’on peut justifier par la difficulté qu’ont les Japonais à vivre dans la société moderne : et ceci est peu courant dans une histoire destinée à de si jeunes enfants.

Ayant perdu le combat, ce prisonnier doit donner une partie de son corps. C’est une loterie qui sélectionnera l’œil droit © Jinsei Kataoka - Kazuma Kondou - Kana
Déjà prévu dans une adaptation en anime pour le printemps 2011, ce manga devrait assurément trouvé son public en France.
" C’est violent et c’est beau " annonçait Glénat au lancement du manga " Akira " au début des années 90. L’accroche de " Deadman Wonderland " aurait pu être identique, mais ce manga se situe dans une autre catégorie ou justement c’est simplement violent tout en étant graphiquement beau. Le récit n’a pas la subtilité et la profondeur qu’avait su mettre en place Katsuhiro Otomo pour son chef d’œuvre. Les enfants, toujours en quête de sensation facile et vite consommée, seront néanmoins conquis.
Gwenaël JACQUET

" Deadman Wonderland " T1 & 2 par Jinsei Kataoka et Kazuma Kondou Éditions Kana - 6,50€
(1) Shiro signifie Blanc en japonais. Cela explique que ce personnage soit entièrement de couleur claire, que ce soit les cheveux comme les vêtements.

"Bloody Monday" T1 par Ryumon et Kouji

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Un virus mortel, de belles femmes, un groupe d’ado futé et prêt à tout pour sauver le monde... Ce nouveau manga édité par Pika reprend les ficelles habituelles du thriller de manière très conventionnelle, mais tout de fois assez sympathique.

L’histoire de " Bloody Monday " est simple et convenue : un espion russe revend, à une jeune femme plantureuse, une souche virulente pouvant causer une pandémie capable de décimer une ville entière en moins de trois jours. Elle-même vaccinée contre ce poisson, elle administrera subrepticement une dose du virus à l’espion. Celui-ci entrainera dans sa mort (il va sans dire, dans d’horribles souffrances) tous les passagers du mythique Transsibérien qu’il avait choisi d’emprunter pour rejoindre Moscou. Cela fait froid dans le dos !

image © Ryou Ryumon & Megumi Kouji - Pika
Une fois le contexte posé, les héros de l’histoire peuvent être introduits. Il s’agit d’un groupe de jeune impliqué dans la rédaction du journal de leur école. Notamment Fujimaru Takagi qui s’avérera rapidement être le pilier central de cette aventure, ayant lui même une identité secrète. En effet, ses amis découvrirons rapidement qu’il est en fait Falcon, le hacker de génie sorti de sa retraite pour mettre hors d’état de nuire le responsable pédagogique de l’établissement : monsieur Hikage ; car ce dernier abuse de son pouvoir pour brimer les élèves et, ainsi, obtenir des faveurs inappropriées de la part des jeunes filles.
Falcon révélera au grand jour les images pédophiles contenues dans son ordinateur et réussira à le faire expulser.

image © Ryou Ryumon & Megumi Kouji - Pika
Une fois cette nouvelle information mise en place, l’histoire peut réellement débuter. Espionnage, trahison et autres méfaits s’enchaînent. Il faut dire que Ryonosuke Takagi, le père de Fujimaru, est un agent des services secrets japonais. Il est rapidement impliqué dans l’affaire Bloody Monday. Il va y entrainer son fils par la même occasion : lequel utilise régulièrement ses talents informatiques afin de décrypter des informations sensibles pour le compte de son père. Notamment celles contenues sur une carte mémoire trouvée dans le cadavre d’un ex-agent du KGB. Des images insoutenables des méfaits de ce nouveau virus acquis par les terroristes. Entretemps, accusé du meurtre d’un collègue (le lecteur, lui, sais pertinemment que c’est faux), le père de Fujimaru devra se réfugier dans la clandestinité alors qu’une professeur(e) remplaçante pourrait bien être impliquée aux cotés des terroristes pour surveiller le hacker.
Comme on le voit, ce polar ne joue pas dans la subtilité, on est loin d’un " Monster " (1) ou d’un " Conan " (2). Pourtant, le scénariste, Ryou Ryumon (3) n’est pas un débutant en la matière. Il est en effet plus connu sous le nom de Seimaru Amagi, auteur de certains épisodes de la série de manga bien connu au japon, " Kindaichi shonen no jikenbo " (4). Il est également connu sous le nom de Tadashi Agi pour la série à gros succès en France (et au japon) " Les Goutes de dieu " (Glénat), de Yuya Aoki pour sa série " GetBackers " (Pika) ou encore sous le pseudonyme de Yuma Ando pour " Psychometrer Eiji " (Kana).
Diplômé de science politique et d’économie de la prestigieuse université de Waseda, il est capable en fonction de ses différents noms de plume de s’adapter aux divers styles de mangas que réclament les jeunes lecteurs. L’idée de cette histoire lui vient d’un fait divers : un hacker s’étant introduit dans le système informatique du Pentagone met la police sur les dents. Lors de son arrestation, il s’avéra n’être qu’un lycéen. Née avec l’informatique, il est vrai que les jeunes du vingt et unième siècles adoptent les ordinateurs avec une facilitée déconcertante pour leurs ainés.

image © Ryou Ryumon & Megumi Kouji - Pika
Kouji Megumi quant à elle est une jeune dessinatrice. Son premier manga relié est une adaptation en 2004 de " Sohryuden " (5), une épopée basée sur des romans chinois et remis aux gouts du jour à la fin des années 80 par le talentueux Yoshitaka Amano. Elle illustre ici un univers complètement différent, plus urbain et contemporain. Ses personnages, même s’ils sont assez stéréotypés, sont clairement identifiables du premier coup d’œil. La mise en page est claire et rend la lecture agréable. On sent bien sûr une certaine jeunesse dans le trait, mais le tout est quand même très réussi. Les décors sont soignés, ainsi que les poses (qui sont souvent dynamiques ou dramatiques) et la mise en images (qui alterne grande case démonstrative et pages bien remplies de plans serrés intimistes). Les yeux du lecteur naviguent facilement au fil de l’histoire parfaitement mis en valeur, en permettant une lecture rapide et agréable.

image © Ryou Ryumon & Megumi Kouji - Pika
Ce manga, même s’il est loin d’être la révélation de l’année en matière de polar, reste un très bon divertissement bien mené ; avec une construction linéaire laissant peu de place au suspense, mais enchainant avec brio les méandres de cette aventure destinée, avant tout, aux adolescents qui sauront se reconnaître dans les différents héros de l’histoire. Onze volumes sont prévus pour cette première série, un second opus étant en cours de parution au Japon.

image © Ryou Ryumon & Megumi Kouji - Pika
Gwenaël JACQUET
" Bloody Monday " T1 par Ryou Ryumon & Megumi Kouji Éditions Pika (6,95&euroWinking
(1) Mange en 18 volumes de Naoki Urasawa (Kana)
(2) Manga en 69 volumes de Gooshoo Aoyama parue en France chez Kana
(3) de son vrai nom : Shin Kibayashi.
(4) " Les Enquêtes de Kindaichi " paru en septembre 2004 chez Tonkam. La série est incomplète en français puisqu’elle ne compte que 22 volumes sur les 27 sorties en Japonais. Ce manga a également été adapté en animation dans une série de 148 épisodes et 2 longs métrages ainsi qu’en drama live pour 3 saisons de 10 épisodes.
(5) Un précédent manga était sorti illustré par les Clamps en 1994.

L'article ZOOM MANGA : "Bloody Monday" T1 est paru initialement chez BD ZOOM

"Vampir" T1,2 & 3 de Itsuki Natsumi

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Loin des clichés développés par Anne Rice dans ses romans sur le mythe des vampires, ce manga aborde bien la question des êtres morts/vivants qui ont besoin d’être en contact avec des humains de chaire et de sang pour continuer de « vivre », en leur pompant leur énergie. Ce manga ne se destine pas aux fans de gothique noir et sombre, ici, nous sommes plus dans le surnaturel et l’explication psychologie que dans le combat du bien contre le mal.

Le titre de ce manga s’écrit Vampir sans « e », est-ce pour montrer une singularité par rapport au modèle original ou tout simplement utiliser l’étymologie germanique de ce mot ? Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de faute de ma part dans le titre, il faudra donc bien distinguer deux choses, le manga " Vampir " et le personnage du « vampire ».

Image © Itsuki Natsumi - Panini
Dernier manga écrit et dessiné par Itsuki Natsumi, " Vampir " raconte l’histoire de Ryo, un jeune homme happé par la mort alors qu’il eut la malchance de se trouver au pied d’un immeuble lorsque une fille eu, pour sa part, la mauvaise idée de se suicider à cet endroit et ce moment précis.
Mais Ryo n’est pas tout à fait mort, sa vie ne s’est arrêtée que quelques instants et cela a suffi à lui conférer des pouvoirs surnaturels ; il peut dorénavant voir et communiquer avec les morts. Si ces caractéristiques paranormales sont faciles à dissimuler, il en est tout autre de ses cheveux devenus blonds et de ses yeux rouges (détails difficilement montrables dans une bande dessinée en noir et blanc). Cela lui vaudra quelques railleries de son entourage ainsi que de ses professeurs de classe qui prennent ça comme une lubie à la mode chez beaucoup de jeunes japonais. Si l’entourage direct de Ryo, dans le premier volume, est très présent, ils seront plus discrets, voire absents, dans les volumes suivants : notre héros se renfermant sur lui même, au fur et à mesure de l’avancée du récit.
L’histoire de " Vampir " est divisée en épisodes ayant, chacun, sa propre narration, ainsi que ses propres personnages secondaires.
L’épisode 1 du premier volume est divisé en quatre chapitres donnant le rythme à toute l’histoire. Ryo est donc à l’hôpital suite à sa rencontre brutale avec une jeune fille suicidaire lui étant tombée dessus. Il est vivant et elle morte. Sa sœur ainée s’occupe du ménage depuis que leurs parents sont décédés et que son oncle les ait chassés sous un prétexte fallacieux. On apprend rapidement que Ryo voie les morts hantant l’hôpital, et cela ne semble pas le déranger, il s’en accommode très bien jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il les entendait également parler et que ce brouhaha continu dans sa tête devienne un peu fatiguant.
La vie reprend son cours, mais la jeune fille qui s’est suicidée se met à suivre Ryo. Dans une histoire traditionnelle de vampires, on aurait dit hanté, sauf que là, elle est timide et cherche juste un contact rassurant avec ce garçon qui est l’un des seuls à la voir. En effet, Cantarella, une vraie " vampir ", apparait et explique pas mal de choses au héros, comme à nous, lecteurs un peu perdus. Elle nous fait notamment découvrir un autre protagoniste récurent, Baron. Celui-ci devait intégrer le corps de Ryo afin de continuer à survivre, ce qui n’a pas été possible, car Ryo n’est pas mort justement, ou du moins pas suffisamment longtemps : une simple petite minute. Baron s’arme donc de patience et sera un peu le ressort comique de cette histoire, demandant en permanence « quand est-ce qu’il va se décider à mourir ? » en parlant de notre héros. La suite de l’aventure servira à expliquer pourquoi cette jeune fille s’est finalement donné la mort.

Image © Itsuki Natsumi - Panini
Le second épisode de volume 1 est en fait numéroté Zero. Usui, jeune stagiaire se destinant à une carrier de psychologue se voit un peu dépassé par son premier cas qu’il ait du mal a envisagé comme une relation patients-thérapeute. Cet épisode court, mais plein de rebondissements permet d’introduire de nouveaux personnages récurrents afin d’entamer le second volume de la série directement à l’épisode 2.
Dans cette seconde partie divisée également en quatre chapitres, Sho Hokuto, le corps abritant la vampire Cantarella s’installe dans la vie de Ryo en emménageant dans l’appartement juste à côté du sien. Du moins sur les papiers officiels de l’école, celui-ci étant bien évidemment vide. La série " Vampir " prend un rythme de croisière et nous amène à la découverte d’une étrange histoire ou un employé de bureau sans histoire se voit marié à une femme de rêve. Sauf que sa vie va tourner au cauchemar, sa femme se désintéressant de lui et ne se délectant que du tourment qu’elle crée.
Entre intrigues amoureuses et ésotériques entremêlées, cet épisode plein de surprises est extrêmement bien mené, captivant et avec de jolis rebondissements ne laissant pas le lecteur sans explications à la fin, comme cela peut souvent être le cas.

Image © Itsuki Natsumi - Panini
Chose assez rare pour être souligné, les quatre pages centrales de ce numéro sont imprimées en couleurs tout comme les premières pages du volume précédent.
L’épisode suivant sera lui divisée en six chapitres répartis entre le manga numéro 2 et 3. Histoire de meurtre entre collègues de travail, le coupable, instable mentalement sera confié à Usui encore au début de sa carrière de psychologue. Ryo lui en apprend un peu plus sur sa condition de demi-mort. Il taquine les fantômes et regrette le temps ou il en avait peur, il en vient mêmes à discuter librement avec Baron sur la fusion que ce dernier voudrait bien opérer sur son corps. Ayant baissé sa vigilance, Ryo accepte de fusionner et se transforme en " vampir " durant quarante-huit heures ce qui va lui permettre de découvrir des pouvoirs et des connaissances qu’il n’avait même pas imaginé.
L’intrigue quant à elle est assez simple et peu développée tout en étant toujours un peu surprenante. On apprend bien sûr pourquoi le meurtre a été commis et dans quel état d’esprit les différents acteurs de ce drame peuvent être plongés.

Image © Itsuki Natsumi - Panini
Le troisième chapitre qui commence à la fin de ce volume, et va se continuer dans le 4, amène de nouveaux personnages comme Luca (un vampire dans un corps d’enfant) et Sabine, une Belge ayant appris le japonais par amour envers Ryo, ou plutôt son double négatif né de la fusion avec Baron, mais ça, elle ne le sait pas.
" Vampir " reste un manga sympathique avec une histoire menée avec talent par Itsuki Natsumi, auteure à succès qui fête ses quarante ans en cette année 2010. Il comporte déjà cinq volumes au Japon et n’est apparemment pas prêt de se finir. Les dessins des personnages sont particulièrement réussis, les mouvements extrêmement vivants et expressifs. L’histoire n’est pas aussi développée que dans " OZ " son plus grand succès au Japon ; mais cela reste un bon manga, facilement lisible et accessible à un public très large.

Les couvertures de la version japonaise. Image © Itsuki Natsumi - Kodansha
Gwenaël JACQUET
« Vampir » T 1,2 & 3 de Itsuki Natsumi Éditions Panini manga (6,95 &euroWinking
L'article ZOOM MANGA : "Vampir" T1,2 & 3 est paru initialement chez BD Zoom

" Pilou l'apprenti gigolo " T1 par Junko Mizuno

Premier tome d’une trilogie, Pilou, le héros de ce manga, est défini par son éditeur français comme le " croisement improbable entre un caniche et un nuage ". Œuvre atypique dans l’univers de la bande dessinée japonaise, plus proche du cinéma d’animation pour le graphisme et de la scène trash et libertine pour le scénario, le monde de Junko Mizuno est en total décalage avec ce que nous imaginons quand on parle de bande dessinée japonaise.


Illustration ©2010 Junko Mizuno Éditions IMHO
L’auteur de " Pilou ", Junko Mizuno, n’est pas, à proprement parler, qu’une dessinatrice de bande dessinée, elle s’est surtout fait connaitre par son travail d’artiste et ses expositions de tableaux dans de nombreuses galeries à travers le monde ainsi que ses collaborations à divers projets indépendants comme la réalisation de Art Toys, couvertures de livre ou de disques.

Illustration ©2010 Junko Mizuno Éditions IMHO
Le graphisme de Mizuno ressemble à un croisement entre les œuvres pour enfant de Tezuka et la " Betty Boop " des frères Fleisher. Les visages néoténisés sont énormes et particulièrement expressif, le buste est court, les jambes terminées par des pieds gonflés un peu comme le canon popularisé par " Astro Boy " et surtout les femmes sont quasiment toujours représentées nues avec des seins d’un volume et d’une rondeur à faire pâlir les bimbos de Russ Meyer. Pilou est une des œuvres les plus sages de l’auteure, c’est aussi son premier travail un peu moins underground. Ses précédentes bandes ont toutes été publiées chez de tout petits éditeurs. Au Japon, " Pilou " est sorti en feuilleton dans la revue Comic Beam. C’est également l’histoire la plus longue qu’elle a dessinée à ce jour (1).

Illustration ©2010 Junko Mizuno Éditions IMHO
Le récit est structuré en petites histoires assez distinctes qui racontent toutes une rencontre différente. Dés le départ, nous sommes plongés au sein d’un monde onirique peuplé exclusivement de femmes nues et de créatures bizarres dont un hippopotame carnivore. Les hommes n’existent pas et nous apprendrons au fur et à mesure de l’aventure comment les êtres de la planète Kotobuki se reproduisent.

Illustration ©2010 Junko Mizuno Éditions IMHO
Au milieu de cette peuplade féminine, Pilou, apparemment de sexe masculin, ne se trouve pas à sa place, créature improbable aux formes cartoonesque, il rêve de trouver la bonne personne afin d’avoir à son tour un enfant. Exilé sur terre (seule planète à même de répondre à ses espérances, du moins, c’est ce qu’il croit), il rencontrera, tout le long de ce premier volume, des personnages haut en couleurs : une chanteuse dépressive ne se produisant que dans les supermarchés, une plongeuse amoureuse d’un chef sushi farfelu, ou encore deux étudiantes mal dans leur corps et au destin tragique.

Illustration ©2010 Junko Mizuno Éditions IMHO
Moins violent que ses précédentes œuvres, ce manga n’en reste pas moins un conte aussi drôle que cruel.
Gwenaël JACQUET
" Pilou l'apprenti gigolo " T1 par Junko Mizuno Éditions IMHO (12,95&euroWinking
(1) 3 tomes alors que ses précédentes œuvres étaient des volumes uniques.
L'article " Pilou l'apprenti gigolo " T1 par Junko Mizuno est paru initialement chez BD Zoom

" Pandora Hearts " T1 & 2 par Jun Mochizuki

Autant le dire tout de suite, cette série est une vraie surprise. Mélangeant les genres de manière totalement incongrue et n’ayant pas un graphisme très original, voir même assez pauvre. La dynamique de l’ensemble rend néanmoins la lecture de ce manga très agréable. Une fois passé le premier chapitre, on a envie d’en savoir plus.

L’éditeur Ki-oon a fait les choses en grand pour promouvoir son nouveau manga. Campagne de publicité intensive et surtout venue de l’auteure Jun Mochizuki en juillet 2010, lors de Japan Expo, pour coïncider avec la sortie des deux premiers tomes de " Pandora hearts ".
C’est une bonne idée de lancer en même temps deux volumes d’une telle série, car la première partie de l’histoire n’incite pas vraiment à continuer la lecture. C’est long, poussif et tellement conventionnel que l’on se demande bien ou le récit va nous mener.

image © 2010 Jun Mochizuki / SQUARE ENIX CO., LTD.
Le manga débute par les pitreries de Oz Vessalius, un jeune noble qui va sur ses 15 ans. Il n’est guère enchanté de la cérémonie qui se prépare. Elle est pourtant organisée en son honneur comme le veut la tradition afin de symboliser le passage à l’âge adulte après sa quinzième année. À part cette histoire de conte pour enfants (l’Abysse, sorte de prison dont il est impossible de s’échapper, est censée leur faire peur pour les faire tenir sage : ce qui n’a pas l’air de fonctionner), le reste n’est que cliché et stéréotype d’un comportement d’adolescent rebelle.

image © 2010 Jun Mochizuki / SQUARE ENIX CO., LTD.
Le choix de l’âge du héros n’est bien évidemment pas anodin, car c’est, à mon avis, l’âge moyen du lecteur potentiel : le cœur de cible est tout trouvé. Le positionnement est simpliste et le let-motiv peut évident. Dés le second chapitre, tout va s’accélérer, lors de la fameuse cérémonie, Oz sent un passage s’ouvrir, des hommes cagoulés surgissent, tentent de le tuer, mais apparait un immense lapin noir du nom de Alice... « Passage, lapin, Alice » ! ... Cela ne vous rappelle rien ? On est en plein conte de fées à la Lewis Caroll. Eh bien non, encore une fois, ce n’est qu’un prétexte, un mélange des genres servant à dérouter le lecteur. Le reste est du même tonneau, les emprunts à la littérature populaire anglo-saxonne se multiplient sans raison apparente, peut-être juste pour faire exotique tout comme le nom de cette famille rival, les Baskervilles, il ne manque plus que Sherlock Holmes pour venir nous expliquer tous ces mystères. Ce Lapin, « Alice va donc sauver notre héros et conclure un pacte avec lui, ce qui permettra à cette créature, une chain, de s’extraire de l’Abysse où elle était maintenue prisonnière. Oz lui est dorénavant lié et une horloge tatouée sur son corps égrène inexorablement les heures qui lui reste à passer sur terre avant d’être, à son tour, envoyé dans les profondeurs de l’Abysse.

image © 2010 Jun Mochizuki / SQUARE ENIX CO., LTD.
Dès le deuxième tome, le dessin de la mangaka s’améliore, il gagne en dynamisme alors que les cases continuent de manquer cruellement de décors et que les gros plans des personnages s’accumulent. Même si c’est un manga destiné à un public masculin, on sent la touche « shôjo » de l’auteure resurgir, que ce soit dans le graphisme ou dans la composition des plans et de l’humour très féminin. Quelques petits détails sont cachés dans certaines pages afin de détendre l’atmosphère dramatique et la couverture, une fois la jaquette enlevée, révèle deux petites BD bonus, chose assez rare pour être souligné : ces pages étant souvent sous-exploitées.
Ce manga devrait avoir du succès, il en a en tout cas tous les ingrédients et les 12 tomes déjà parus au Japon (1) ainsi que la diffusion d’une série TV d’animation en 2009 sont la pour le prouver.
Gwenaël Jacquet
" Pandora Hearts " T1 & 2 par Jun Mochizuki Édition Ki-oon (7,5&euroWinking
(1) La série est toujours en cours de publication.

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" Momo " T1 de Mayu Sakai

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"Momo ", est la quatrième série de Mayu Sakai que publie Panini en France. Aprés " Nagatachou Strawberry ", " Le Syndrome de Peter Pan " et le remarqué " Rockin’ Heaven ", l’auteure s’attaque désormais au paranormal avec cette série typée shôjo qui ravira à coup sûr les jeunes filles.


image © 2010 Mayu Sakai - Panini manga
L’édition japonaise originale de " Momo ", qui compte déjà cinq tomes, est publiée en chapitre dans le magazine Ribbon chez l’éditeur Shueisha. Ce magazine de prépublication est destiné aux très jeunes filles entre huit et treize ans, ne vous attendez donc pas à trouver dans l’œuvre de Mayu Sakai des monstres effrayants, des gerbes d’hémoglobine ou des filles à moitié dévêtues aux formes généreuses. Non, cela reste un shôjo type avec son graphisme tout en rondeur, ses protagonistes sorties d’un catalogue à la mode, ses paillettes dans les yeux et autres effets étoilés dès que deux personnages se parlent.
Yume Odagiri est une lycéenne distraite et malchanceuse. Le sort s’acharne sur elle et les premières pages du manga donne rapidement le ton de l’histoire. Un père qui disparaît à cause de ses dettes alors que c’est le jour de son anniversaire, un copain maladroit qui renverse devant elle les choux à la crème dont elle raffole, convoqué en salle des professeurs elle devra aller au rattrapage de son dernier examen malgré ses bonnes réponses qu’elle n’a malheureusement pas marquées en face des bonnes questions, etc. De quoi plaire aux lectrices facilement " dégoutées de la vie " pour des futilités, avec Yume comme exemple, elles se sentent tout de suite moins seule.

image © 2010 Mayu Sakai - Panini manga
Le cours de la vie de l’héroïne va néanmoins rapidement changer, car elle réussit à sauver une gamine qui tentait de rattraper la pomme qu’elle a échappée sur la route alors qu’une voiture fonçait sur elle. Légèrement égratigné à la main lors de cet acte de bravoure, Yume sera convié à venir dans la maison ou habite cette jeune fille, Momo et ses deux frères afin de la remercier. Bien sûr, la trame shojo aidant, les frères sont tous les deux très beaux et si le premier, Sanari, se montre extrêmement gentil et attentionné, le second, Nanagi est lui particulièrement froid et inamical. Suite à quelques péripéties supplémentaires, l’histoire avance vers son sujet principal et nous découvrons que Momo est en faite un démon extraterrestre venu pour détruire la terre. Mais avant d’en arriver à cet extrême, les deux frères effectuent une enquête et Yumi sera nommée " déléguée de la terre " en charge de montrer sept plaisirs terrestres à Momo, ce qui justifierait de ne pas anéantir notre planète si son cœur est également touché par la beauté de la vie sur celle-ci. Autant dire que ce n’est pas gagné.

image © 2010 Mayu Sakai - Panini manga
Le scénario, comme vous pouvez le constater, est loin d’être original et, pourtant, la mise en scène et les déboires de l’héroïne font que l’on accroche rapidement à l’histoire principale et toutes les intrigues parallèles sont là pour donner un peu de teneur au récit. Le dessin quant à lui est du pur shôjo manga. Les cases sont déstructurées, les personnages sont tous habillés comme au siècle dernier, les effets sont outranciers, les trames abondantes et si l’on n’est pas habitué à ce genre de graphisme on peut se perdre rapidement dans le sens de narration de la page.
" Momo " reste un bon divertissement, assurément tourné vers un public jeune et féminin.

image © 2010 Mayu Sakai - Shueisha
Gwenaël JACQUET
" Momo " T1 de Mayu Sakai. Édition Panini Manga (6,95&euroWinking
L’auteure de " Momo ", de Mayu Sakai maintient un blog en Japonais ou sont présentées certaines illustrations

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"Kaikisen " par Satoshi Kon (1963-2010)

Satoshi Kon avait 46 ans et des projets plein la tête... Son cinquième long métrage, " Yume Miru Kikai " (" The Dream Machine ") est hélas au point mort, depuis le 24 aout 2010, du fait de la disparition prématurée de cet artiste talentueux. Son cancer, découvert très tardivement, a malheureusement eu le dessus. Il nous reste néanmoins ses œuvres, dont certaines sont parues en France : des long-métrages (" Perfect Blue ", " Tokyo Godfather ", " Millenium Actress ", " Paprica "...), une série télé " Paranoïa Agent" et un superbe manga " Kaikisen : retour vers la mer ".


Fort et cynique jusque dans la mort, Satoshi Kon nous explique, dans un long texte posté sur sa page internet, comment il a choisi d’organiser son départ lorsqu’on lui a découvert un cancer du pancréas, le 18 mai 2010. Les médecins ne lui donnaient pas six mois à vivre, ils avaient malheureusement raison. Ce décès a stupéfait le monde entier. Tenue secrète, sa maladie n’a été révélée que tardivement à ses proches. Il a même caché son état à ses parents jusqu’à ce qu’il n’ait plus la force de leur rendre visite de lui-même. Seuls ses amis vraiment très proches ont été mis au courant, afin d’organiser avec lui une société de gestion de ses droits d’auteurs : Kon’s tone. Refusant de mourir dans un hôpital froid et sans âme, il a tout fait pour rester chez lui, auprès de sa femme. Il conclut sobrement son texte par cette formule de politesse japonaise que l’on exprime lorsque l’on quitte un groupe de personnes : «  O-saki ni  », ce qui se traduit le plus simplement possible par « C’est avant vous que je pars  ».

Illustrations © Satoshi Kon
Néanmoins, son oeuvre lui survivra et surtout son ami et producteur Masao Maruyama, fondateur de MadHouse lui a répondu, alors qu’il s’inquiétait de la suite à donner à " Yume Miru Kikai " (son film en chantier) : « C’est correct, ne t’en soucis pas nous ferons tout ce qu’il faut ».
Satoshi Kon est né le 12 octobre 1963 à Kushiro sur l’île de Hokkaidō. En 1982, après les années lycée, il intègre l’Université d’Art de Musashino, dans la banlieue de Tōkyō où il perfectionnera son graphisme. D’abord assistant de Katsuhiro Otomo sur " Akira ". Les deux hommes collaboreront extrêmement souvent par la suite, notamment lorsqu’il fut question d’adapter en manga " World Appartement Horror ", le film live que Otomo venait de tourner. Juste avant, en 1990 Satoshi Kon publiait son premier manga (où il était à la fois scénariste et dessinateur) ayant l’honneur d’avoir une édition reliée (1) : " Kaikisen ". Cet ouvrage fait partie des œuvres que les Japonais ont essayé de promouvoir en France du fait du succès naissant d’" Akira ". Ainsi, lors du second festival de bande dessinée de Grenoble en 1990 son éditeur, Kodansha, avait dans ses bagages ce recueil qu’il venait juste de publier au Japon.

Illustrations © Satoshi Kon
La sauce n’a pas pris immédiatement et il faudra attendre plus de dix ans pour qu’une version française voie le jour : en 2004, chez Casterman, dans la collection " Sakka ". Malheureusement passé inaperçu au milieu de la multitude de titres publiés à ce moment-là, et à cause de son prix plus élevé que la moyenne (11&euroWinking, cette histoire aurait méritais une plus grande reconnaissance.

Illustrations © Satoshi Kon
Dans " Kaikisen ", Satoshi Kon est au meilleur de sa forme. Même s’il est facile de lui trouver un lien de parenté avec le trait d’Otomo. D’une grande maturité, ses constructions sont justes ; ses décors minutieusement dessinés sont nombreux et ses personnages parfaitement proportionnés. Le trait nerveux sait mêler adroitement les pleins et les déliés de la plume, cela lui donne un style parfaitement reconnaissable et assez éloigné des canons traditionnels du manga commercial. Avec Otomo comme maitre, il ne pouvait en être autrement. L’influence de ce dernier se fait également sentir sur le scénario, les deux hommes partagent apparemment les mêmes valeurs humaines que l’on peut retrouve au fil des nombreux récits courts qu’Otomo a réalisés durant sa jeunesse (2).

Illustrations © Satoshi Kon
" Kaikisen ", raconte l’histoire d’un pacte conclu entre un prêtre shinto et la nymphe gardienne des eaux, garantissant aux pécheurs de la ville portuaire d’Amidé d’avoir du poisson à profusion d’années en années si le prêtre veille consciencieusement sur l’œuf de l’Ondine jusqu’à son éclosion. Or, le prêtre actuel, Yôzô Yashirô, n’apporte que peu de crédit à cette légende. L’œuf issu de ce pacte est alors dévoilé publiquement et cela attire immanquablement les journalistes, les touristes et autres promoteurs immobiliers. Le littoral est menacé et la vie paisible de la créature marine également. Yôsuke, fils du prêtre, ne l’entends pas de cette oreille ; voyant son village menacé par les projets les plus fous, il décide de partir en croisade afin de faire toute la vérité sur cette légende. Malgré ses doutes, il arrivera à prendre contact avec la créature marine et rétablira la sérénité du village.

Illustrations © Satoshi Kon
Œuvre poétique et écologique, ce manga est une fable mêlant conflits de générations, modernisme, mythologie et croyance ainsi qu’une approche très personnelle de la force de la nature et de son impact sur la vie humaine. Véritable critique de la société japonaise, le récit touche le lecteur sans artifices exceptionnel. Ici, pas de robots géants, pas de combat épique, pas d’hémoglobine. Une simple évolution des personnages et de l’histoire vers une conclusion mêlant l’irréel de manière tellement naturelle que l’on aurait envie d’y croire. À personnifier les éléments comme le faisaient les « anciens » cette aventure nous amène immanquablement à réfléchir sur sa propre existence.

Illustrations © Satoshi Kon
Satoshi Kon s’est également investi dans l’animation. Son parcours a été semé d’embuches et l’ambition de ses projets a souvent dépassé celle de ses producteurs.
Au départ simple employé, il fera ses armes sur " Roujin Z " en tant que concepteur des décors. Puis travaillera avec Mamoru Oshi sur " Patlabor 2 ", sur les OVA de " Jojo’s Bizarre Adventure " et obtiendra, toujours grâce à Otomo, une place de choix sur le film à sketches " Memorise ", pour lequel il s’occupera tour à tour des croquis, du design des décors et du scénario pour le premier chapitre, " Magnetic Rose ".
En 1997, il passe à la réalisation de son premier film : " Perfect Blue ". L’histoire basée sur un roman de Yoshikazu Takeuchi se verra totalement remaniée, car Satoshi Kon ne trouve pas le scénario assez fort à son gout. Il finira par avoir carte blanche s’il respecte les trois thèmes de base du livre, à savoir : "idole", "horreur" et "admirateur monomaniaque". Prévu au départ pour une sortie vidéo, il sera finalement diffusé au cinéma avec le succès que l’on connait maintenant. Cela lancera réellement sa carrière.

Illustrations © Satoshi Kon
Il réalise ensuite " Millennium actress " (en 2002), puis " Tokyo godfathers " (en 2003). Puis, en 2004, il passe à la télévision avec la série " Paranoia agent ". On peut enfin le revoir au cinéma, en 2006, avec " Paprika " : un projet qu’il avait dans ses cartons depuis presque 10 ans.

Illustrations © Satoshi Kon
Tous ses dessins animés, ou presque, mettent l’accent sur la réalité subjective, notamment au travers des rêves et de leurs interconnexions avec le monde réel. Le summum dans la recherche scénaristique, il faut la chercher dans " Paranoia Agent " : la plus personnelle des œuvres de Satoshi Kon. Il disait, lui même, avoir pris toutes les idées qu’il a pu avoir un jour et qu’il aurait voulu intégrer dans ses films : au lieu de les jeter, car inadaptées au projet sur lesquels il travaillait, il en a fait un mix exploitable sur la longueur, dans une série (3).
Très impliqué dans le monde de l’animation, il ira même jusqu’à participer à la création de la Japan Animation Creators Association (JANICA) (4) et à s’impliquer personnellement dans de nombreuses conférences, au Japon comme à l’étranger, durant lesquels il n’hésitait pas à parler de son travail et ainsi partager son savoir-faire.
Satoshi Kon était un homme timide, mais bon vivant, avec un talent indéniable et une générosité appréciable dans ce milieu. Son œuvre, heureusement, lui survivra.

Illustrations © Satoshi Kon
Gwenaël Jacquet
" Kaikisen : retour a la mer " de Satoshi Kon chez Casterman, collection Sakka (10,95&euroWinking
(1) Il avait déjà publié, en 1985, " Toriko ", une nouvelle parue dans la revue Young Magazine de Kodansha.
(2) Récits regroupés dans des anthologies disponibles au Japon comme " Short Peace " ou " Sayonara Nippon ".
(3) Série néanmoins assez courte, " Paranoia Agent " ne comporte que treize épisodes qui sont distribués en France par Dybex.
(4) Association qui vise à sensibiliser sur les conditions de travail précaire des jeunes animateurs.

L'article "Kaikisen " par Satoshi Kon (1963-2010) est paru initialement chez BD Zoom
Une version condensé et remaniée est paru chez Otakia sous le titre : Décès de Satoshi Kon (Roujin Z, Perfect blue, Patlabor 2, Paprika....)

" Le Roi Léo " T1 par Osamu Tezuka

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L’éditeur Kazé lance une nouvelle ligne de manga. La collection " Kids ". Quoi de plus naturel que de choisir un chef-d’œuvre du dieu du manga pour ce lancement ! " Le Roi Léo ", d’Osamu Tezuka, ressort donc dans un nouveau format plus adapté aux très jeunes enfants.

Plus grand qu’un manga habituel (1), avec une couverture souple à rabat pelliculé et embossé, ce premier volume reprend les cinq premiers chapitres du manga original. On regrettera par contre le choix du papier offset plus fragile qu’un papier couché et surtout moins flatteur car plus absorbant au niveau de l’encre : surement une question de coût.
Déjà publié par Glénat en 1996, " Le Roi Léo " est ici entièrement retraduit, le lettrage a été refait et les onomatopées de même.

Cette version est vraiment différente en tout point de l’édition Glénat et si ces derniers ont été largement critiqués pour le non-respect de l’œuvre originale avec leur première publication datant du milieu des années 90, ici, on s’en éloigne énormément en ciblant un public encore plus jeune que celui auquel ce manga se destinait à l’origine. Les pages étant plus grandes, le lettrage occupe moins de place dans les cases et certaines expressions sont plus enfantines. Là où cela pêche, c’est au niveau des onomatopées, elles sont moins présentes et plus conformistes dans l’édition de Kazé, un simple lettrage « cartoon » identique de bout en bout. Peut-être une question de lisibilité .

Néanmoins, cela ne choque pas si l’on ne met pas les deux versions côte à côte. Bien évidemment, étant destiné à un public enfantin, ce manga est publié dans le sens de lecture occidentale (tout comme chez Glénat). Les planches sont donc retournées et les humains deviennent tous gauchers, mais le graphisme étant très proche du cartoon, cela ne se remarque pas.

Les quatre pages sur papier glacé en début d’ouvrage sont en couleurs et contiennent une petite note explicative remettant ce chef-d’œuvre dans son contexte historique (2) et explique bien l’amour que Tezuka avait pour son prochain et la nature environnante : histoire de ne pas céder à une polémique stérile comme c’est le cas, aujourd’hui, avec " Tintin au Congo ".

Il reste, au final, une œuvre d’une autre époque, mais qui a su admirablement traverser le temps et qui peut facilement plaire aux enfants, sans être rébarbative pour les adultes obligés de les accompagner dans leur lecture. Un bon choix éditorial qui, si cela fonctionne, promet d’être suivi par de nombreux autres titres. En tout cas, nous attendons la suite avec impatience pour découvrir quel dessin se cache sur la tranche, une fois la collection complète éditée.


Gwenaël JACQUET
«  Le Roi Léo » T1 par Osamu Tezuka Édition " Kazé Kids " (9,95 Euros)
(1) 17 x 23 cm chez Kazé contre 11,5 x 18 cm chez Glénat.
(2) Ce manga est paru en 1951 au Japon.

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" Cat’s Eye " T15 par Tsukasa Hojo

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Depuis le rachat du catalogue complet de Tsukasa Hojo par Panini, les fans ne pensaient pas revoir la série " Cat’s Eye " précédemment éditée chez Tonkam en version bunko (1) en 10 volumes.

Panini réédite donc le catalogue de cet auteur incontournable et ses séries phares que sont " Cat’s Eye " et " City Hunter " bénéficient même d’une édition que nous pouvons facilement qualifier de luxe comme c’est indiqué sur la couverture. Ce dernier volume des aventures des trois sœurs Kisugi ne déroge pas à la règle. Grand format pour un manga (2), Papier de bonne qualité sans être glacé, retouche des planches soignées et surtout pages couleur.

L’histoire continue pour les trois sœurs, elles recherchent toujours leur père au travers de ses tableaux qu’elle vole aux plus grands collectionneurs afin de le retrouver, et des révélations sont faites tout au long de ce volume. Ces nouvelles infos ont le mérite de clôturer la série même si l’on aura tendance à trouver les explications un peu légères et la manière d’opérer surréaliste. Mais nous ne sommes pas dans la réalité ici, " Cat’s Eye " est clairement destinée à un public enfantin plus à même d’apprécier une intrigue mince aux raccourcis scénaristiques flagrants. L’action est la, les héroïnes égales à elles même, déjouent tous les pièges, l’inspecteur Toshio Utsumi continue sa course contre les héroïnes et commence à sérieusement se douter de leur identité et lorsqu’il aura enfin les clefs pour démêler cette histoire, une volte-face viendra compromettre l’idylle des tourtereaux. Nous vous inquiétez pas, on n’est pas dans un roman noir et tout se finira bien, à vous de découvrir comment même si on peut reprocher la facilité du scénario.

Si la série " Cat’s Eye " est bien la première à avoir popularisé Tsukasa Hojo, graphiquement elle n’en demeure pas moins en dessous des ses réalisations suivantes notamment " City Hunter " qui propulsera le mangaka au rang de pilier du magazine Jump dans lequel il est édité. Pour s’en convaincre, il suffit de lire, ou plutôt de regarder en détail l’histoire bonus qui clôture ce volume. Paru dans l’artbook " Special Jump J Book " en 1996, soit une dizaine d’années après la fin de la série, elle met particulièrement en valeur Aï et Hitomi dans une scène de bain soft tournée sur le ton de l’humour et de la bonne humeur. Ces neuf dernières pages, dont les quatre premières sont toutes en couleur, exploitent parfaitement la libido des lecteurs masculins de la série. Les ingrédients qui ont fait le succès de la série " Cat’s Eye " sont là, un peu d’érotisme et des gaffes en pagaille dus à Toshio Utsumi. Un petit plus qui clôture agréablement ce dernier volume en attendant la réédition d’une autre série de Hojo prévue à la rentrée dans le même format luxe, " Familly Compo " (3).


Gwenaël JACQUET
« Cat’s Eye » T15 par Tsukasa Hojo Édition Panini (9,95 Euros)
(1) Bunko : Format d’édition japonais de petite taille (A6 - 105×148mm) et en général plus épais que les volumes traditionnels
(2) 21 x14,5 cm soit le double d’un manga classique.
(3) Précédemment éditée chez Tonkam également.

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" Puzzle " T1 & 2 de Ikuemi Ryo

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Malgré une carrière prolifique, Ikuemi Ryo n’a été découverte qu’il y a peu de temps en France. Habituée, comme la plupart des grandes mangakas de shojo (bande dessinée japonaise pour filles) à réaliser des histoires courtes, avec " Puzzle ", elle nous sert une succession d’aventures amoureuses mettant en scène des protagonistes n’ayant souvent rien en commun, mais dont les destins se croisent au fil du récit.


Chaque volume de " Puzzle " est composé de deux histoires distinctes. Celles-ci racontent toute la solitude face à l’être aimé. Dés la première page, le ton est donné " Être à ses côtés me suffit. Être tout simplement avec lui. J’ai bien sûr envie d’espérer plus ... Mais pour l’instant ... Ça me convient très bien ainsi."
L’auteur nous balade de page en page avec une histoire banale d’un collégien et d’une collégienne qui sortent ensemble, mais hésitent longuement avant de s’avouer leur amour. Tout ça pour finir sur une révélation inattendue qui bouleversera la lecture et les sens des mots qui ont été égrenés au fil de l’histoire.

Dans le deuxième acte de " Puzzle ", un carré amoureux se construit simplement au fil des pages entre quatre amis d’enfance inséparables, mais que la vie finit par éloigner petit à petit pour arriver sur un dénouement tragique et imprévisible.
Ikuemi Ryô est passée maître dans l’art d’embrouiller les pistes qu’elle développe dans son récit. Son manga est assurément bien nommé et dévoile, petit à petit, son enchevêtrement d’intrigues basées sur la vie "banale" des gens dés le volume n°2 sorti en même temps en librairie. Des histoires à lire et relire afin d’en assimiler toutes les subtilités.
Gwenaël JACQUET

" Puzzle " T1 & 2 de Ikuemi Ryô Éditions Delcourt (6,25 Euros)

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" Rinne " T1 & 2 de Takahashi Rumiko

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Takahashi Rumiko est une mangaka prolifique et régulière. Sa dernière œuvre (" Rine ") reprend l’archétype de ses précédents succès, que ce soit " Urusei Yatsura " (" Lamu "), " Ranma1/2 " ou " Inuyasha " : un peu de fantastique, de la mythologie japonaise, de l’humour et des personnages caricaturaux ayant forcément une part de secret.



Rinne, du nom du héros du manga, est un shinigami, sorte de démon japonais passeur des morts. Il n’est cependant pas vraiment mort, mais pas vraiment vivant non plus, sa grand-mère étant également une shinigami et son grand-père étant humain.


Sakura Mamia, quant à elle est étudiante et a la particularité de voir les esprits depuis son passage involontaire dans l’autre monde alors qu’elle n’était qu’une petite fille. Du coup, elle peut voir ce que fait Rinne lorsqu’il s’occupe des problèmes des esprits perdus sur terre. Elle deviendra de ce fait son assistante involontaire dans toutes ses missions.

Remplie d’humour, cette série est un pur produit de Rumiko Takahashi : on y retrouve les éléments marquants qui ont fait son succès depuis plus de vingt ans. Les rouages de l’histoire sont bien huilés et, du coup, le lecteur est peu surpris par les rebondissements et la linéarité des enchainements qui font que ce manga se lit extrêmement facilement. Néanmoins, si l’aventure est plaisante, elle se développe de numéro en numéro en donnant de plus en plus de consistance au fil du récit. Le trait de Takahashi est reconnaissable, son pinceau, extrêmement bien maitrisé, dépeint des personnages ayant un air de "déjà vu" tout en rendant chaque protagoniste identifiable au premier coup d’oeil.

Si vous aimez les précédentes œuvres de la mangaka, vous serez comblé, les autres trouveront peut-être cela répétitif.
Gwenaël JACQUET
" Rinne " T1 & 2 de Takahashi Rumiko Éditeur Kaze, collection " Shōnen up ", (6,95 Euros)

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"Bakuman" par Ohba et Obata

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Parler de son travail est souvent la chose la plus dure à faire. Alors quand deux mangakas décident de construire leur prochain livre en se basant sur la vie de deux jeunes prodiges du manga qui souhaitent percer dans le milieu très sélect de la revue Jump de l’éditeur Shueisha, cela aurait pu donner un récit ennuyant et banal. Avec " Bakuman ", il n’en est rien. Le scénario est magistralement mené et chaque rebondissement sait tenir le lecteur éveillé tout en le faisant rire et en lui expliquant réellement les rouages et les difficultés d’être publié dans de tels magazines à fort tirage.

Il faut dire que le scénariste de ce manga n’est autre que Tsugumi Ohba qui nous a déjà tenu en haleine durant toute sa série "Death Note". Et pourquoi changer une équipe qui gagne, il s’est donc de nouveau associée avec Takeshi Obata, talentueux dessinateur qui a parfaitement su adapter son style au récit. À la fois percutant et vivant, on est loin du cours magistral sur les rouages et les secrets de la création d’un manga.

L’histoire :
Moritaka Mashiro a 14 ans lorsque le récit débute. Il passe son temps à dessiner et son modèle reste son oncle qui fut dessinateur de manga, mais qui est décédé aujourd’hui. Moritaka du coup est conscient de la difficulté du métier et ne sait pas vraiment ce qu’il veut faire de sa vie, même si le manga est sa passion.
Akito Takagi quant à lui est un excellent élève, premier de sa classe dans toutes les matières, il ne vie que pour l’excellence, analyse tout ce qu’il fait et sait parfaitement comprendre le comportement humain, du moins, il le pense. Piètre dessinateur, il est lui aussi passionné de mangas. Ayant découvert l’aptitude au dessin de Moritaka, il demande à celui-ci de s’associer afin de créer un des meilleurs mangas du moment, Akito au scénario et Moritaka au dessin.
"Bakuman" est assurément une révélation. L’histoire est prenante et une intrigue arrive même à être créée avec des rebondissements inattendus et magistralement amenés. Quant au dessin, il est parfaitement maitrisé et la mise en image des actions, les cadrages ainsi que la dynamique des personnages rendraient intéressant n’importe quelle histoire. On n’en attendait pas moins du duo qui nous avait déjà offert la série "Death Note".


Au final, cette histoire s’adresse autant aux jeunes dessinateur en devenir en prodiguant des conseils fort pertinents sur le monde de la bande dessinée au Japon, mais également à tous les autres types de lecteurs, que ce soit l’amateur d’intrigues avec un scénario à rebondissement, les cœurs d’artichaut qui fondent à la moindre évocation romantique voir les fans d’action, car le dessin rend parfaitement la tension dynamique du stress dans lesquels peuvent se trouver les héros de "Bakuman" tout au long de l’histoire. Bref, un récit tout public magistralement raconté et mis en image.
Gwenaël Jacquet



"Bakuman" tome 1 et 2 de Tsugumi Ohba et Takeshi Obata Édition Kana (6,25 Euros)
L'article "Bakuman" par Ohba et Obata est paru initialement chez BD Zoom