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"La Fin du monde, avant le lever du jour" par Asano

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Beaucoup de mangas savent raconter des tranches de vie, mettre en scène le quotidien à la fois banal et pourtant décalé. Ce nouveau manga d’Inio Asano fait partie de ces aventures racontées avec sobriété ou se confronte différentes visions de notre société.

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Personnage de tous les jours pour une histoire somme toute banal, mais raconté avec une sensibilité juste. © Inio Asano
Recueil d’histoires plus ou moins courtes, " La Fin du monde, avant le lever du jour " s’apprécie comme un disque dont on écouterait religieusement chaque chanson. Qu’on lise chaque histoire dans l’ordre ou le désordre, rien de gênant à cela, elles sont à la fois indépendantes et reliées entre elles par des interrogations philosophiques sur notre monde et la place de l’humain dans tout ça. Asano va même jusqu’à se fendre de textes explicatifs pour chaque histoire, à la manière d’un livret d’accompagnement de ce fameux disque. Ces textes humanisent encore plus le travail de l’auteur et offrent une réflexion supplémentaire sur le travail accompli et de manière humble se confie à ses lecteurs.
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La vie est pleine de surprises, parfois bonnes, parfois mauvaises. © Inio Asano
Inio Asano est déjà connu en France pour avoir sorti les mangas " Solanin ", " Le Quartier de la Lumière " et " Un Monde formidable " toujours chez Kana. Si ces œuvres sont plutôt réalistes, il a commencé sa carrière comme créateur de gag mangas. Ici, nous sommes loin d’avoir une oeuvre humoristique, elle serait même assez pessimiste par moments. Néanmoins dans cette débauche de mauvaises vibrations, on décèle toujours un petit peu d’optimisme qui raccroche le lecteur à la réalité des choses et donne l’espoir nécessaire pour continuer de vivre. Chaque histoire peut se lire indépendamment des autres, elles ne sont pas reliées ensemble, sauf par une mélancolie ambiante et de nombreux questionnements sur notre place dans ce monde. Rien de bien philosophique, juste des interrogations de tous les jours, ces mêmes interrogations que se pose sûrement, en d’autres termes, le lecteur potentiel de ce recueil. Le talent d’Inio Asano émerge de cette retranscription " juste " du quotidien de tout un chacun. Les protagonistes sont classiques sans être banals, ils ont tous une histoire personnelle forte : jeune fille souriante, mais bien seule au final, quotidien d’un jour de congé, salarié licencié, mangaka ayant perdu ses rêves d’enfance, etc. Ils ont tous un avis sur le passé, le présent et même l’avenir.
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Ce n’est pas parce que l’on sourit tous le temps que l’on n’a pas un rêve secret qui nous empêche de vivre pleinement et sereinement. © Inio Asano
Dotée d’un sens de la narration ouvrant sur un monde d’interrogations permettant de toujours avancer, loin du simple voyeurisme, la mise en scène transcende ces événements afin de les sortir de leur banalité. Le dessin y est pour beaucoup dans la construction de cette ambiance. Les personnages, bien que différents, ont certains traits communs et surtout un sourire immense. Ils sont assez stéréotypés tout en ne sortant pas vraiment du lot. Leurs banalités font leur force. Quant aux décors, nombreux, ils sont exécutés avec soins et situent parfaitement l’action. Bien présents tout au long du récit, ils savent s’effacer lorsque l’humain prend le pas sur la situation. Même si les trames servant à jouer sur les ombres foisonnent, l’auteur n’hésite pas à également utiliser une multitude de hachures pour souligner certains traits des protagonistes ou des décors. Cela donne une vie supplémentaire au dessin en le faisant en quelque sorte respirer, être moins mécanique. Ce manga n’aurait assurément pas été le même dessiné par une autre personne.
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Les pages couleurs sont superbes et transcende l’ambiance existant déjà dans les pages en noir et blanc. © Inio Asano
Neuf pages couleurs sont dispatchées dans ce manga. Cinq au début et quatre au centre. Les décors sont pour la plupart tirés de photos retravaillées. Néanmoins, les personnages s’y intègrent en harmonie dans une ambiance assez terne malgré les ciels ensoleillés. Il aurait été dommage de s’en priver tellement le trait d’Asano se prête bien à ce type de mise en couleur ou les visages sont la plupart du temps dans l’ombre comme pour une photo prise sur le vif et en quelque sorte, loupées. Ici, rien de raté, ces défauts voulus sont la pour souligné l’instantanéité de l’action et la capture de ces moments vrais par le lecteur/spectateur.
La couverture est elle même une photo panoramique d’un ciel de fin de journée au moment ou le soleil disparaît avant une nuit d’automne. Lorsque l’on enlève la jaquette, nouvelle photo, celle-ci nous laisse découvrir ce qui semble être l’atelier de l’artiste avec sa documentation, son espace de travail et celui de repos.
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Souvenirs naïfs de l’enfance qui resurgissent dans une vie d’adulte fait de questionnement bien plus terre a terre. © Inio Asano
Le titre de ce livre peut sembler énigmatique. C’est en fait la juxtaposition des intitulés de la dernière histoire " La Fin du monde " et de la première " Avant le lever du soleil ". De quoi faire une liaison entre deux histoires, deux types de personnages bien différents.
Destinées en premiers lieux aux adolescents et aux jeunes adultes, ces saynètes de la vie quotidienne peuvent également être appréciées par les adultes. Ils se retrouveront sûrement dans ces réflexions intemporelles. Les plus jeunes eux ne comprendraient pas certaines scènes et pourraient même être choqués par les attitudes et propos des personnages. Une bonne bouffée d’optimisme pour se sentir moins seule face aux désarrois engendrés par une vie bien remplie.
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Language crue, mais naturel.© Inio Asano
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Gwenaël
" La Fin du monde, avant le lever du jour " volume unique par Inio Asano Éditions Kana (15 &euroWinking

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Bambi" T5 par Atsushi Kaneko

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Les éditions IMHO viennent de publier l’avant-dernier tome de leur série phare " Bambi ". La cavalcade de l’héroïne sans scrupule touche à sa fin et de nombreux mystères sont éclaircis tout au long des deux cent pages de ce tome. Cette série est décrite par son éditeur comme un " road movie sous amphétamines, violent et sanglant digne des meilleurs films de Tarantino " et il n’a pas tort. Même si son auteur, Atsushi Kaneko est japonais, ses influences sont à chercher au plus profond de la bande dessinée underground américaine. Digne héritier de la période post-punk, il dépeint un univers extrêmement violent et dénué de bon sens.

" Bambi ", c’est une jeune fille plutôt mignonne avec ses cheveux roses et son air angélique. Néanmoins, elle dévoile rapidement des talents de tueuse, hors-pair et sans aucun scrupule. Elle sait repérer ses ennemis, les mettre en joue et tirer sans que cela ne lui laisse un quelconque remords. Le premier volume débute alors que " Bambi " vient de kidnapper Pampi, un jeune garçon un peu stupide pour le compte " des vieux ". Auparavant, il était détenu par " The King " un ersatz d’Elvis complètement détraqué et dont le seul plaisir est de massacrer des filles nues : charmant ! Il mettra à prix la tête de " Bambi " pour la colossale somme de cinq cents millions (de quoi ?). Si la capture du gamin fut aisée, le retour préfigure de l’enfer, jalonné de tueurs à gages de toutes sortes. " Bambi " n’aura d’autre alternative que de massacrer ces poursuivants.
Ce synopsis est valable pour les quatre premiers tomes durant lesquels nous suivons la balade de l’héroïne et assistons aux bains de sang qu’elle trace sans état d’âme. En revanche, le volume cinq offre quelques réponses en nous révélant, enfin, qui sont " Les vieux " et " Pampil " : alors que plein d’autres mystères s’éclaircissent.
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L’auteur ne prend pas de gants concernant le langage de ses personnages. Ils sont crus et adaptés à la situation © Atsushi Kaneko -IMHO
La particularité de ce manga, du moins au niveau de l’impression, est de ne pas être en noir et blanc, mais d’utiliser deux couleurs "pantones" pour la reproduction des dessins. Ce volume 5 est en violet et en marron. Les précédents volumes étant également déclinés en "pantone" : tome 1, rouge foncé - tome 2, bleu et rouge - tome 3, vert et rouge - tome 4, noir et argent.
Les couvertures ont également cette particularité colorimétrique qui permet d’éviter les tramages disgracieux et surtout d’avoir des couleurs vives, voire fluo, comme un rose et un jaune dans les volumes 1 et 2. Ou encore des couleurs métalliques comme de l’or pour le volume 3 et de l’argent pour le volume 1. La couverture de ce cinquième volume ferait presque sobre avec ses quatre couleurs : un bleu roi, un rouge écarlate, un jaune fluo et un vert sapin.
On sent que l’éditeur français, IMHO a vraiment respecté le travail de l’auteur afin de sortir des livres de qualité et surtout en gardant l’originalité inhérente à cette œuvre.
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Personne n’est épargné, pas même les animaux. Quand une des tueuses détruit un corps à l’acide, les rats en dessous en pâtissent. © Atsushi Kaneko -IMHO
Comme je l’expliquais déjà dans ma chronique sur " Soil ", Atsushi Kaneko, même s’il est japonais, a un dessin américanisé qui prend ses racines dans le style ligne claire d’auteurs underground tels que Charles Burns (" Black Hole ") ou Daniel Clowes (" Ghost world "). Ce volume cinq est d’ailleurs particulièrement réussi. Le trait est juste, expressif et dynamique, tout ce qu’il faut pour raconter une histoire de violence pure. Pourtant, tout cela est trop "clean" pour que l’on ait de compassion pour les victimes. Le trait est tellement propre qu’il dépeint des situations tragiques en les faisant passer pour des actes banals. Les démembrements sont explicites, les têtes éclatées visuellement réalistes et le sang reste figé dans ce moment de beauté graphique, sans fausse note ni tache mal positionnée. Tout est surréaliste, aussi bien la cruauté des protagonistes que la chance de l’héroïne qui arrive à se sortir des pires situations en gardant son air de lolita.
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L’éditeur à choisis de garder le coté visuel des onomatopées originales en rajoutant leur traduction en plus-petit à côté, un bon choix. © Atsushi Kaneko -IMHO
" Bambi " n’est pas un manga pour le fan de mangas. C’est une bande dessinée à cheval entre la culture américaine, asiatique et européenne, surfant sur la vague des films violents et cyniques. Le lecteur ne peut pas s’y tromper et l’amateur du genre y trouvera son compte, même s’il n’est pas attiré par le reste de la production japonaise.
Le sixième et dernier volume de cette série est annoncé pour le mois d’octobre 2011. Nous sauront afin si " Bambi " est réellement invincible ; car la fin de ce volume cinq nous laisse face à un Cliffhanger digne des meilleures séries TV américaines : du grand art !
Gwenaël JACQUET
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Le calme avant la tempête ? Toujours avec un langage fleuri et décomplexé. © Atsushi Kaneko -IMHO
" Bambi " T5 par Atsushi Kaneko Éditions IMHO (12,95)
ISBN : 2-915517-22-3 EAN : 9782915517224

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Black Joke" T1 par Koike et Taguchi

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" Black Joke ", comme son titre le souligne, est une grosse blague : un manga bien lourd, accumulant les clichés, à qui le terme bourrin peut parfaitement convenir. Si vous êtes amateur des films avec Jacky Chan ou Chuck Norris et de la série des " Fast and furious ", vous adorerez ce déchaînement surréaliste.

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La mafia règne en maîtresse sur cette île ou la violence est reine© Koike et Taguchi - Akita Publishing-Ankama
" Black Joke " ne ressemble pas aux mangas habituellement édités en France. C’est assurément le genre de titre qui peut donner une mauvaise image de la BD à cause de sa violence et de son mauvais goût. Mais quand on y regarde de plus près, tout ceci n’est qu’une exagération de stéréotype. Tout est excessif et totalement irréaliste, à commencer par l’histoire : le Japon est devenu le cinquante et unième état des États-Unis d’Amérique. Du coup, tout ce qui se rapporte aux jeux d’argent, à la drogue et à la prostitution est prohibé. Sauf sur une île artificielle, le Néon Island où la mafia fait régner la terreur entre deux parties de poker. Comme à Las Vegas, les casinos sont tout rassemblés sur cette zone de non-droit. Kiyoshi Kira est gérant de l’un de ces casinos et il est secondé par une grosse brute en la personne de Kodama. Chargé de surveiller la bonne marche de son établissement, on lui confit également les basses besognes ; ce qui finit forcément dans un bain de sang. Les histoires sont tellement surréalistes qu’il est impossible de les résumer sans trahir le concept des auteurs. Le scénario est particulièrement bien mené et mis en valeur par les dessins de Masayuki Taguchi.
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La mise en page de ce manga est riche et les dessins soignés.© Koike et Taguchi - Akita Publishing-Ankama
Loin de ce qui se fait traditionnellement en mangas, les différentes pages de ce recueil sont denses, avec en moyenne 5 à 10 cases par planche. Une édition en plus grand format n’aurait donc pas été superflue, sachant que l’auteur n’abuse pas des gros plans, mais privilégie les personnages en pied. Chaque protagoniste est particulièrement typé et abuse une nouvelle fois des clichés, que ce soit sur les ethnies ou au niveau de la morphologie. Les femmes sont sensuelles, les patrons bedonnants, les mafieux entourés de brutes épaisses, les Italiens machos et arrogants, etc. Le tout avec une maîtrise de la plume et un souci du détail, que ce soit dans les visages, les vêtements, les armes, les véhicules ou les décors : rien n’est laissé au hasard.
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Il ne fait pas bon défier la mafia locale, pour souligner cet état de fait, les auteurs n’hésitent pas à en faire trop et offrir du grand spectacle aux lecteurs © Koike et Taguchi - Akita Publishing-Ankama
Même si ce manga est en noir et blanc, il est ombré par informatique, contrairement à ce qui se fait habituellement dans la profession où l’utilisation de trame à gros point est un standard. Cela donne quelque chose qui s’éloigne encore plus du manga traditionnel et qui renforce le côté caricatural des dessins. Là aussi, l’auteur ne s’est pas contenté de remplir les zones d’ombre, il renforce les détails du dessin, soulignant chaque forme par petites touches de dégradés réalistes.
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Belles voitures, dérapage, crash, si "- Black Joke " était un film, il coûterait des millions de dollars. © Koike et Taguchi - Akita Publishing-Ankama
Il n’y a aucun message à chercher dans cette histoire, pas de sens profond ou de réflexion sur notre monde. " Black Joke " est à prendre comme un divertissement sans autre prétention que de faire passer un bon moment : à la fois de lecture (les histoires étant extrêmement bien ficelées)et de contemplation (grâce à des dessins particulièrement léchés). N’est-ce pas aussi le rôle d’une bande dessinée, de nous amener à la détente et à se décontracter ?
Gwenaël JACQUET
" Black Joke " T1 par Rintaro Koike et Masayuki Taguchi Éditions Ankama (6,95 &euroWinking
ISBN 9782359101638

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"The Innocent" par Arad, Fujisaku et Yasung

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Aujourd’hui, je vais vous parler d’un manga un peu spécial puisque ce n’est pas précisément une œuvre 100% Japonaise. En effet, " The Innocent " est scénarisé par un américain, Avi Arad, et dessiné par un coréen, Ko Yasung. Le scénario ayant quand même été remanié ayant par Junichi Fujiusaku, japonais de son état, et l’éditeur étant aussi japonais : on peut donc, peut-être, arriver à le classer dans les mangas. La plus grande particularité de " The Innocent " ne se trouve pas dans ses créateurs, mais dans son mode de diffusion. Cette œuvre qui aurait du bénéficier d’une sortie simultanée dans trois pays : le Japon, les USA et la France, mais au final, c’est avec une légère avance que notre pays découvre en premier ce recueil (1). Preuve incontestable de l’intérêt des Japonais pour le lectorat français !

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© AVI ARAD / Production I.G © Ko Yasung / MAG Garden 2011
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Mag Garden, l’éditeur japonais, à l’origine du projet, s’est donc associé avec le français Ki-oon et l’américain Yen Press pour la publication à l’international de cette histoire. Si, en France, le format manga traditionnel est respecté : livre de poche format 13/18, plus de 200 pages, noir et blanc, jaquette ; les Américains ont pour leur part, privilégié la prépublication dans le magazine en ligne Yen +.
Le synopsis de " The innocent " a donc été écrit par Avi Arad, le créateur et ancien directeur de Marvel Studios, la branche film de l’éditeur de comics et " The Innocent " est son premier projet de manga. Comme pour " Ultimo ", dont le pitch a été créé par Stan Lee, " The Innocent " a été remanié par le japonais Junichi Fujusaku, directeur de production pour l’entreprise de jeux vidéo Production I.G. Du coup, l’histoire n’est ni vraiment américaine, ni vraiment japonaise même si Avi Arad a indéniablement été plus loin dans l’écriture que Stan Lee puisqu’il a lui-même écrit les dialogues.
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© AVI ARAD / Production I.G © Ko Yasung / MAG Garden 2011
Ash, jeune détective privé vient de mourir sur la chaise électrique après une condamnation pour meurtre qu’il n’aurait, bien sûr, pas commis. Un politicien véreux qu’il cherchait à confondre lui a fait porter le chapeau pour son crime. Devenu un être composé de cendre, il a de nouveaux pouvoirs et, dans cette nouvelle ‘ vie ’, son tuteur n’est autre qu’un ange androgyne. Celui-ci lui donne comme mission d’aider des innocents à ne pas se faire exécuter comme il a pu l’être. Ses rencontres lui feront immanquablement remonter aux sources des délateurs ayant conduit à sa propre perte. Mais il ne pourra rien faire puisqu’il lui est interdit d’intenter à la vie d’êtres humains, alors que, lui, ne rêve que de se venger et souhaite conduire sa nouvelle ‘ vie ’ de fantôme à sa manière.
" The Innocent " ressemble plus à un pilot de série TV américaine qu’a un manga. Tout y est : le personnage flegmatique et désabusé au passé lourd, mais non dévoilé, la justice implacable, les méchants foncièrement mauvais et corrompus, un ennemi invincible et froid, etc. Même le découpage fait penser à une œuvre américaine, l’histoire avance peu au départ, laisse beaucoup de questions en suspend et s’accélère rapidement vers la fin sans donner de réponse concrète à toutes les énigmes qui jalonne l’œuvre. En soit, le scénario n’est pas mauvais, même s’il est construit sur un schéma traditionnel et éculé. Il déroutera juste les amateurs purs et durs de manga seinen habitué à avoir des personnages plus consistants et des énigmes plus recherchées et, surtout, ayant une explication au sein du manga. Néanmoins, ce récit étant finalisé en un seul volume, il était obligatoire de faire des ellipses narratives permettant d’avoir un manga complet avec une histoire un peu plus évoluée que dans la plupart des shônens.
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© AVI ARAD / Production I.G © Ko Yasung / MAG Garden 2011
Au niveau du graphisme, le Coréen Ko Yasung maîtrise parfaitement son sujet en s’inspirant des grands dessinateurs classiques japonais. Son style est académique, ses proportions sont justes, mais il manque cette petite touche indispensable pour que l’œil soit subjugué par le dessin. Le trait est froid, il manque de vie, ce qui, par contre, colle assez bien pour une histoire sur la mort.
Souvent comparé à Obata et à son travail sur " Death Note ", Ko Yasung est quand même bien loin de la beauté du trait et de la mise en scène de ce dessinateur d’exception. Les décors sont quasiment inexistants, les protagonistes sont presque toujours en gros plan, voire en plan américain, rarement de plain-pied et l’angle de vue varie peu. Par contre, les effets sur les personnages de cendres sont très bien rendus : on sent qu’Ash n’est pas comme les autres, sans que cela devienne caricatural. Le reste des effets spéciaux, suggérés à l’aide des trames, sont également très soignés, cela donne tout de suite une ambiance spirituelle aux dessins. On ressent immédiatement la qualité du travail ainsi que la finition soignée. Du coup, impossible de dire que Ko Yasung ne met pas du cœur à l’ouvrage.
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© AVI ARAD / Production I.G © Ko Yasung / MAG Garden 2011
Il est dommage ne de ne pas avoir prévu " The Innocent " en plusieurs volumes : cela aurait permis d’approfondir certains aspects des personnages. La fin n’aurait peut-être pas été aussi abrupte et le lecteur aurait pu s’attacher aux protagonistes alors que, là, leur destin semble bien futile.
Néanmoins, ce manga, comme beaucoup d’autres sorties depuis quelques années, permet d’envisager une ouverture des Japonais sur le reste du monde. L’intérêt grandissant des studios nippons pour les créateurs étrangers est donc bien réel. Dorénavant, certains mangas tiennent compte des goûts inhérents à chaque continent. Les collaborations entre les pays deviennent de plus en plus courantes et les frontières ne sont plus vraiment un obstacle à la création. Voilà une bonne chose qui ne pourra qu’amener une diversité et un choix supplémentaire pour le lecteur.
Gwenaël JACQUET
" The Innocent " par Avi Arad, Junichi Fujisaku et Ko Yasung
Édition Ki-oon (7,50&euroWinking
ISBN 9782355922503
(1) " The Innocent " était prévu pour sortir simultanément au Japon, aux États-Unis et en France à la date du 9 juin. Le titre est finalement sort en France le 28 avril, en avant-première mondiale ! Happy Il est bien prévu le 9 juin au Japon, mais par contre rien n’est encore sûr pour les États-Unis.

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

"Ascension" T4 par Shin’Ichi Sakamoto

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Il y a des œuvres qui vous transportent en vous faisant simplement voyager avec un héros, dans un périple à la limite des capacités humaines. " Ascension " est de ce genre d’aventure. Avec ce quatrième tome, la quête initiatique de Buntarô Mori prend un tournant qui va beaucoup le faire évoluer. L’histoire change de registre, monte d’un cran : deux ans se sont écoulés et tout s’accélère...

À la fin du troisième tome, Monsieur Onishi, le professeur de Mori qui l’avait poussé à faire de l’escalade, mourait violemment. Happé par un bloc de pierre en pleine expédition de sauvetage afin de retrouver notre jeune héros alpiniste, parti en randonnée sans équipement adéquat, alors qu’une tempête glaciale arrivait.
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Mori se forge petit à petit un corps d’acier afin d’affronter les pires conditions climatiques © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
Dans ce tome, le lecteur assiste également au départ pour la France de Miyamoto le seul " ami " que Mori avait réussi à se faire. Du coup, il n’y a plus qu’une seule chose qui compte pour lui, grimper les parois les plus difficiles et ,surtout, celles n’ayant jamais été vaincues, afin d’atteindre, finalement, le toit du monde.
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En deux ans, les personnages ont beaucoup changé. Yumi est devenue méconnaissable avec ses cheveux décolorés et son accoutrement provocant. Un revirement spectaculaire par rapport à ses années de collège (voir l’image ci-dessous) © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
Deux années sont donc passées depuis le décès de son mentor et Mori est devenu un super athlète. Son corps s’est modelé afin d’endurer les pires conditions de grimpe. Il travaille comme manutentionnaire et s’enferme régulièrement dans les frigos de l’entreprise ou il est intérimaire. Il vit dans un appartement sans eau ni électricité et, quand sa journée et finie, il regagne ce logement en transportant sur son dos une vingtaine de bouteilles remplies d’eau du robinet : soit 30 kg, quand même. Tout lui est indifférent, sauf la montagne et les sensations que lui procure l’escalade.
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S’il travaille, c’est juste pour se payer son équipement et les frais inhérents à l’ascension des plus hautes montagnes. À tel point qu’il refuse un contrat que lui offrait l’entreprise qui l’emploie. Il refuse également les avances de sa collègue de travail pourtant prête à s’investir dans sa passion de l’escalade. Et, enfin, il rejette la relation physique que souhaite lui offrir son ancienne amie de classe, Yumi Shiraï, que l’on peine à reconnaître tellement elle a changé depuis le second volume. Devenue prostituée professionnelle, puisqu’elle n’a pu rentrer à l’université suite aux problèmes liés au club d’escalade, elle est devenue une belle jeune femme blonde sans morale. Un revirement spectaculaire pour ce personnage si attachant au début de l’histoire. Cette femme, comme toutes les autres, n’arrive pas à détourner Mori de son but ultime : l’escalade. Qu’il doive souffrir le martyr en dépassant les limites supportables pour un humain et se renfermer encore plus sur lui même, peu lui importe... C’est un solitaire ! Et il arrivera à ses fins par ses propres moyens et grimpera en haut du toit du monde, sans équipe. Même lorsque M. Ninomiya, l’alpiniste le plus réputé et le plus riche du japon, lui propose d’intégrer son groupe et de bénéficier ainsi de la notoriété de celui-ci pour financer entièrement ses escalades, il refuse catégoriquement. Mori monte seul !
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Rien ne détournera Mori de sa quête de liberté, même une femme ne peut lutter avec l’appel de la montagne © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
Si les exploits de Mori sont spectaculaires, l’évolution du dessin de Shin’Ichi Sakamoto l’est tout autant. Le premier volume d’ " Ascension " montrait déjà une maîtrise de l’espace et des proportions exemplaire. Avec ce quatrième tome, il arrive à transcender les expressions de ses personnages. On sent la compassion, la force, les doutes et la détermination du héros, mais également de chaque protagoniste. Les enchaînements et la construction narrative ont également évolué, ils sont plus fluides, moins conventionnels et propose une vraie lecture entre les cases, narration si chère à l’Américain Wil Eisner.
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Avec ce volume, Sakamoto montre une parfaite maitrise de l’anatomie. Mori est devenu un surhomme, son corps n’est plus que muscles. © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
Bien sûr, deux ans se sont écoulés dans l’histoire ; néanmoins, l’évolution graphique de ce manga s’est faite chapitre après chapitre. On sent que Sakamoto s’investit dans son travail, les anatomies de ses personnages sont justes et les détails sont bien pensés : cela renforcent la tragédie de cette histoire où le héros n’en est finalement pas un. Comment s’attacher à une personne insouciante, renfermée et à la fois insensible vis vis de ses collègues, mais tellement perméable au monde qui l’entoure ?
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L’escalade, en tant que sport de haut niveau, est parfaitement mise en valeur grâce aux images de Sakamoto. © Shin’Ichi Sakamoto - Uoshio Nabeta - Jiro Nitta
" Ascension " n’est pas un manga facile : le rythme est lent, les personnages antipathiques et le sujet peu intéressant au premier abords Néanmoins, l’histoire se lit avec facilité. Arrivé à la dernière page, on en redemande et le lecteur transpire avec le héros, tout en rêvant de le voir franchir les obstacles qu’il se crée lui même. Les couvertures dans les dominantes bleues donnent tout de suite la couleur, sans faire de jeux de mots : " glacials " mais pourtant rehaussés de tons chauds, surtout pour ce quatrième tome. Elles sont donc bien à l’image du contenu. Les amoureux de la montagne comme les amateurs d’exploits sportifs et de dépassement de soi seront comblés : tous ces sujets, et bien plus encore, sont réunis ici pour faire d’" Ascension " une œuvre magistrale.
Gwenaël JACQUET
" Ascension " T4 par Shin’Ichi Sakamoto
Éditions Delcourt (7.95 &euroWinking
ISBN : 978-2-7560-2045-7

Article paru à l’origine sur BDZoom.com