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" Miyo " par Nami Akimoto

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Créé spécialement pour les lecteurs français des éditions Kana, ce manga reste très japonais dans sa construction. L’histoire qui se passe entre Paris et Tokyo offre une approche à même de séduire le lectorat des deux pays. Un graphisme clair et léger, une histoire remplie de sentiments, " Miyo " a tous les stéréotypes du shôjo manga ! En tous cas, cette œuvre ne dépaysera pas les lecteurs d’ " Urukyu", le précédent manga de Nami Akimoto paru pour sa part chez Soleil.


© Nami Akimoto - Kana 2010
L’histoire raconte une romance adolescente d’une jeune fille typique. Miyo Matsuda, jeune japonaise de 15 ans est tiraillée entre deux beaux garçons. Elle vit avec ses parents dans la capitale française depuis sept ans. Son père vient de nouveau d’être muté et ils repartent tous à Tokyo. Le cœur lourd, Miyo ne veut pas laisser son amour français auprès duquel elle n’a jamais été capable de se déclarer. Malheureusement, elle n’y arrivera pas, tombera malade et repartira au pays du soleil levant sans avoir ouvert son cœur à cet ami d’enfance. Au Japon, elle se sent un peu comme une étrangère, elle n’est plus à sa place. Elle n’a pas, par exemple, l’habitude de porter un uniforme. Néanmoins, elle attire les regards et tous ses camarades ont mille questions à lui poser. Tous, sauf Shiro, mystérieux jeune homme, renfermé et taciturne. Pourtant, ils vont rapidement finir par se rapprocher et Miyo va comprendre pourquoi ce dernier lui est si familier.

© Nami Akimoto - Kana 2010
La trame est classique, mais ce manga peine à poser l’intrigue de départ. Heureusement, tout va s’accélérer dans le dernier tiers du livre. Les premières histoires d’amour sont les mêmes, qu’elles se passent à Paris comme à Tokyo. Néanmoins, le " French Lover " a encore du succès au Japon. Peu présent physiquement, il est toujours question de ce fameux Nicolas. Tiraillée entre deux cultures, deux garçons bien différents, Miyo devra faire un choix et ce n’est peut-être pas celui qu’attendait le lecteur. La conclusion, abrupte, de ce récit est clairement là pour surprendre.

© Nami Akimoto - Kana 2010
Le personnage de l’héroïne est assez innovant dans le sens où, si elle reste japonaise de par ses origines, sa verve et son implication dans la vie des autres viennent sûrement de son long séjour en France. Un point de vue intéressant qui aurait mérité un développement plus important. Les différences culturelles ne sont pas énormément abordées. On a l’impression que les distances qui séparent Miyo de ses amis français ne sont pas aussi grandes que la réalité. Il est parfois question de décalage horaire, mais la facilité avec laquelle voyagent certains protagonistes est déconcertante
 ! Le récit n’arrive pas à rendre les ellipses temporelles cohérentes du fait du nombre de pages réduites qui servent à raconter toute cette histoire. Un comble pour un manga !

© Nami Akimoto - Kana 2010
Édité chez Kana, " Miyo " est un manga atypique. Pensé dés le départ pour un public français, la dessinatrice Nami Akimoto y a mis une partie de son expérience vécue dans l’hexagone. Destiné à un public assez jeune, ce manga est estampillé " Dico des filles ". Cette mention permet aux jeunes filles, on s’en doute, d’être guidées vers des sujets qui peuvent plus particulièrement les intéresser. Édité par Fleurus depuis de nombreuses années, le " Dico des filles " distille des conseils sur de multiples sujets, la vie en société, la mode, la déco, la cuisine et bien évidement, le sexe et les garçons. Ce " label " ne s’obtient pas comme ça, il faut que l’ouvrage ait un réel intérêt informatif, qu’il s’adresse en premier lieu aux adolescentes et surtout qu’il leur permette d’avancer dans la vie qui les entoure. " Miyo " rentre parfaitement dans cette catégorie.

© Nami Akimoto - Kana 2010
L’édition de ce manga est particulièrement soignée. Couverture claire avec titre embossé : ce qui est plutôt rare et couteux. C’est peut-être ce qui justifie le prix un peu au dessus de la moyenne. On regrettera par contre que l’histoire ne se déroule que dans un seul et unique tome. Deux volumes n’auraient pas été de trop pour développer l’intrigue et le triangle amoureux. Nami Akimoto a su créer un univers qui aurait mérité un développement plus poussé. Beaucoup d’interrogations quant à la différence de culture auraient pu être abordées. Ici, l’histoire se concentre sur cette amourette sans aller au fond des choses. C’est un peu dommage. Pourtant, ce shôjo est très mignon et le résultat, sans être très novateur ou prenant ,reste malgré tout extrêmement attachant et facile d’accès. Au final, la qualité de la construction narrative et des dessins dépouillés offre un spectacle suffisant pour que le lectorat amateur de shôjo fleur bleue puisse y trouver son compte.

© Nami Akimoto - Kana 2010
Aujourd’hui Nami Akimoto a changé de registre et sa dernière œuvre " Tokyo Sex ", publiée chez Kodansha dans le magazine " Dessert ", est clairement orientée vers un lectorat féminin beaucoup plus adulte.
Gwenaël JACQUET

© Nami Akimoto - Kana 2010
" Miyo " par Nami Akimoto - Volume unique Éditions Kana (7,95 euro)

Article paru à l’origine sur BDZoom.com

INTERVIEW DE PATRICK SOBRAL

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Alors que le treizième tome de la série « Les Légendaires » vient de sortir aux éditions Delcourt, la série vient de fêter, début novembre, le million d’albums vendus sur les douze premiers volumes. C’est l’occasion de rencontrer Patrick Sobral, directement à son domicile, à Limoges, et retracer, avec lui, sa brillante carrière.

Gwenaël Jacquet : Bonjour Patrick. Merci de te présenter à nos lecteurs.
Patrick Sobral : Je suis Patrick Sobral auteur, entre autres, de la bande dessinée " Les Légendaires ", publiée chez Delcourt depuis 2004. Je suis en train de travailler sur le quatorzième tome. Voilà pour le principal !
G. J. : Avant de dessiner " Les Légendaires ", as-tu publié d’autres bandes dessinées ?
P. S. : Professionnellement, j’ai fait très peu de choses avant " Les Légendaires ". Ma toute première réalisation publiée date de 2000, avec une nouvelle de trente-deux pages en noir et blanc, sur le thème imposé des anges. C’était dans le cadre d’un concours visant à éditer de jeunes auteurs, proposé par les éditions Tonkam. J’ai fait partie des onze retenus avec une bande dessinée qui s’appelait " Dynaméis ", et qui se trouve donc dans le collectif " Les Anges " chez Tonkam. Ce fut ma première expérience vraiment professionnelle, dans le cadre d’une " vraie " maison d’édition.
Avant, j’avais pourtant réalisé des tas et des tas de bandes dessinées, depuis l’âge de cinq ans. J’ai commencé par des personnages en bâtonnets, un peu comme dans le générique de la série " Le Saint ". Très rapidement, j’ai réalisé ce que l’on appelle des fan-fictions. Durant mon enfance, c’était surtout axé sur les super-héros : " Spider-Man ", " Superman ", etc. J’inventais des histoires à partir de mes genres favoris.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
Puis est venu l’âge d’or des animés japonais au travers des émissions du style du " Club Dorothée ". C’est là que j’ai vraiment pris goût au dessin typé manga et que j’ai commencé à dessiner des aventures de " DragonBall ", puis principalement de " Saint Seiya " (" Les Chevaliers du Zodiaque "). C’est réellement ma série culte dans le sens ou c’est elle qui est à l’origine de 90% de mon trait d’aujourd’hui. Le dessin de Shingo Araki, le character designer de la série animée de " Saint Seiya ", est vraiment mon maître étalon. À tel point que, pendant de nombreuses années, je n’ai plus dessiné que du " Saint Seiya ". J’ai d’ailleurs fait une fan-fiction d’une centaine de pages sur cette série. Il m’a fallu deux bonnes années pour ça. En fait, mon premier vrai manga est peut-être cette bande dessinée fan-fiction qui avait été publiée, à l’époque, dans le cadre d’une convention.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
G. J. : Pendant la réalisation de cette fan-fiction, tu avais un autre travail ?
P. S. : Lorsque j’ai réalisé cette fameuse histoire de " Saint Seiya ", j’effectuais mon service militaire. C’était une époque à cheval avec celle de mon futur travail. À l’école, je n’étais pas un élève très assidu : j’avais d’assez mauvaises notes dans à peu près toutes les matières, sauf en dessin, bizarrement… Du coup, mes parents m’ont orienté vers un lycée d’apprentissage professionnel où j’ai appris le métier de décorateur sur porcelaine. C’était très en rapport avec le dessin ! Cela a été mon tout premier boulot et je l’ai exercé pendant douze ans, de mes dix-sept ans jusqu’à la fin de 2002.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
La bande dessinée, que je continuais à côté, a toujours été une passion, plus qu’une vocation. Je dessinais en rentrant des cours. Je faisais de la BD le soir pendant mon service militaire, je faisais de la BD le soir en rentrant du boulot. La BD a toujours été mon premier passe-temps, une vraie passion.
Jamais je ne m’étais dit que cela deviendrait mon métier. L’envie m’est venue vraiment tardivement. C’est la raison qui m’a poussé à plaquer mon job de décorateur sur porcelaine, courant 2002, pour me lancer, à " corps et à cris ", et sans aucune préparation, dans le milieu de la bande dessinée professionnelle. C’est là que j’ai commencé à contacter et démarcher les éditeurs !

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
G. J. : À ce moment-là, tu avais déjà fait le concours de Tonkam ?
P. S. : Le concours de Tonkam s’était déroulé en l’an 2000. Mais cela ne m’a pas forcément fait tilt ! Je veux dire par là que je n’ai pas pris cela comme un premier pas vers le métier d’auteur de bande dessinée : juste une expérience intéressante. C’était, notamment, la première fois que des gens extérieurs à ma famille et à mes amis jugeaient mon travail et affirmaient qu’il était " publiable ". Cela me donnait une certaine reconnaissance. Je voyais un peu plus ce que je valais en terme de dessin. Mais je n’ai vraiment pris la décision de tenter l’aventure qu’environ deux ans plus tard.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
Je ne saurais plus tellement dire quelle a été la partie du concours qui m’a le plus motivé pour que j’y participe ! J’avais déjà fait quelques concours dans le cadre scolaire. J’ai participé aussi, pendant de nombreuses années, à celui du festival d’Angoulême. Du coup, tout cela ne m’était pas inconnu. Par contre, je ne sais même plus comment j’ai eu connaissance de ce qu’organisaient les éditions Tonkam. J’avais déjà fini la fameuse fan-fiction de " Saint Seiya " et je n’avais pas réellement de nouveaux projets. C’est tombé à pic ! En plus, cela m’obligeait à réaliser une BD de seize ou trente-deux pages : ce qui n’était pas, non plus, une lourde implication. Donc, je me suis dit, " pourquoi ne pas y participer ? ". Le thème des anges ne m’a pas tous de suite parlé, mais j’étais encore dans ma période " Saint Seiya " et j’ai pensé intégrer ce type de graphisme et d’histoire dans le milieu des anges. Le reste est très vite venu tout seul.

" Abraxas " © Patrick Sobral 2000
G. J. : C’est donc en 2002 que tu plaques définitivement ton boulot de dessinateur sur porcelaine pour te lancer dans la BD ?
P. S. : Oui, c’est ça. Cette année a vraiment été une année charnière. Je me remettais beaucoup en question par rapport à mon avenir. Les conditions de travail dans ma boîte, à cette époque, n’étaient pas mirobolantes. Je déprimais un peu et j’avais envie de vivre des choses nouvelles. Lorsque notre patron nous a appris qu’il y allait y avoir des licenciements dans l’atelier ou je travaillais, je me suis dit que c’était peut être cela le " coup de pied au cul " dont j’avais besoin pour tenter l’aventure et me faire publier. Cela me trottait dans la tête depuis quelques mois, mais je n’avais pas de réel projet. J’ai donc demandé à être licencié. Cela m’a permis, durant les mois ou j’ai touché l’allocation chômage, de démarcher auprès des éditeurs et d’aller à leur rencontre, avec mon dossier, lors du festival d’Angoulême : en essayant de frapper aux bonnes portes.

" Démons " © Patrick Sobral 2003
C’était quitte ou double ! Mais à l’époque, j’ai vraiment été naïf. Je ne le referais peut-être pas maintenant. Plein de gens autour de moi disaient que " j’étais en train de faire une grosse connerie " parce que je plaquais un boulot ou j’avais encore ma place, malgré les risques de licenciement, pour un métier que les gens voyaient d’un œil un peu curieux. Je me suis lancé dans cette aventure complètement naïvement. Sans rien connaître du milieu de la bande dessinée. J’ai commencé à démarcher en proposant à une bande dessinée d’horreur que j’étais en train de faire : " Démons ".

" Démons " © Patrick Sobral 2003

" Démons " © Patrick Sobral 2003
Ceci dit, j’étais assez confiant dans mes possibilités. Après les réponses négatives des éditeurs, j’ai commencé a me poser quelques questions ; mais il était trop tard pour faire marche arrière. Donc, c’était le tout pour le tout, il fallait que je propose projet sur projet. En espérant que l’un d’eux trouve acquéreur…
G. J. : Comment es-tu arrivé à proposer " Les Légendaires " à un éditeur ?
P. S. : " Les Légendaires ", en tant que projet, est un peu arrivé par dépit. Comme je le disais, le premier projet que j’ai proposé aux maisons d’édition était une BD d’horreur qui s’appelait " Démons " et que j’envisageais, d’abord, sous la forme d’une publication manga. C’était une histoire en noir et blanc que j’avais travaillée pour une édition en format de poche, comme pour les mangas. Et en montrant ce projet à différents éditeurs, lors du festival d’Angoulême de 2003, nombreux sont ceux qui m’ont dit que mon dessin n’était pas mal, mais que le genre que j’avais choisi était vraiment trop destiné à un public restreint, amateur de ce genre de récits d’horreur. J’ai donc décidé d’élargir un peu plus le public potentiel en réalisant une deuxième version de cette bande dessinée, mais cette fois-ci pour une publication franco-belge. Je l’ai donc travaillé en couleur avec une mise en page différente ; mais la réponse a de nouveau été la même. Les éditeurs reconnaissaient mon " coup de patte " mais ne trouvaient pas le sujet vendeur.

" Démons " © Patrick Sobral 2003
Au bout de deux refus concernant " Démons ", BD qui me tenait beaucoup à cœur à l’époque, je me suis dit : " bon, ça fait neuf mois que tu démarches. Il faudrait peut-être voir à te remettre en question et à proposer autre chose que de la BD d’horreur. Si personne ne veut de mes BD d’adulte, tentons le secteur jeunesse ", tout simplement et sans rien connaitre de ce secteur par ailleurs. Je n’avais jamais fait de BD humoristique, je n’avais jamais dessiné des personnages vraiment mignons... : c’était tout à fait un nouveau chalenge pour moi.
La première idée qui m’est passée par la tête, c’était une BD d’heroic-fantasy à mi-chemin entre " DragonBall ", " Saint Seiya " et " Les Chroniques de Lodoss ". Du coup, j’ai inventé cette histoire de groupe de super héros adultes qui redeviennent enfants par magie et qui essaient de trouver un moyen d’inverser le processus. Je ne croyais vraiment pas en ce projet. J’ai dessiné les premières idées qui me passaient par la tête. Sans aucune préparation, sans aucun travail de recherche ou de design préliminaire. J’ai envoyé ça aux maisons d’éditions, juste en me disant : " en attendant de trouver mieux, je vais leur proposer ça ".

" Démons " © Patrick Sobral 2003
En fin de compte, j’ai eu la grande surprise de voir que moins de vingt heures après l’envoi de mes dossiers, j’avais un email des éditions Delcourt. Ces dernières me disaient de ne pas dire oui aux autres éditeurs avant de les recontacter. Je ne comprenais pas trop le sens de cet email. En général, les reçus, je les recevais par courrier. Donc, là, non seulement je recevais une réponse par mail, mais surtout je n’arrivais pas à saisir le côté positif ou négatif de ce message ; parce qu’il ne me disait pas qu’ils voulaient ma BD : ils me disaient juste de ne pas dire oui aux autres.
Donc, pendant deux jours, j’ai attendu fiévreusement devant mon téléphone qu’ils me recontactent. Ils m’ont rappelé pour fixer un rendez-vous à Paris auquel je suis allé la semaine d’après. Le but était de discuter de la série et, en fin de compte, mon contrat m’attendait déjà...

Croquis préparatoire pour " Démons " © Patrick Sobral 2003

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Gwenaël Jacquet : Lorsque tu as envoyé le dossier de présentation de ta série, quel en était son contenu ?
Patrick Sobral : Je n’ai pas réellement envoyé de synopsis dans le sens où je ne voyais pas ma BD en terme d’albums ou de série. J’ai mis ce qui me passait dans la tête, sans penser à la suite : dix planches de la BD, quelques recherches de personnages et ma bio, qui était très courte à l’époque. Comme je n’imaginais pas que quelqu’un voudrait de la série, il y avait très très peu de choses concernant le futur de l’histoire. Donc, je me suis dit que " ça devrait suffire, on verra bien ce qu’il en résultera ".
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Les quatre premières pages de la série " Les Légendaires " © Patrick Sobral
Par contre, je m’étais avancé en écrivant, dans le dossier que j’avais envoyé aux éditeurs, que j’avais déjà réalisé dix pages de plus. C’était complètement faux ! Lorsque l’éditeur m’a dit de venir à Paris, la semaine suivante, pour discuter de la BD, je me suis dit " mince, il veut voir les dix pages suivantes, je suis mal ". Du coup, j’ai dû dessiner ça en moins d’une semaine. En fin de compte, il n’a pas voulu les regarder. Ce qu’il avait lui suffisait. C’était pourtant un dossier bien mince. D’ailleurs, lorsque je suis arrivé chez Delcourt pour signer le contrat, l’éditeur m’a demandé ce qui allait se passer dans le reste de l’album et les suivants. J’étais incapable de lui répondre parce que je n’avais pas du tout imaginé que j’allais pouvoir continuer cette histoire. Je lui ai juste dit que je ne savais pas, que j’envisageais juste de faire des aventures en deux albums. Je crois que ça a été à peu près la seule chose que j’ai pu avancer sur le déroulement de l’histoire.
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Case extraite de la BD " Abraxas " © Patrick Sobral
G.J. : Tu te sentais confiant, tu savais comment tu allais réaliser cet album
 ?
P. S. : J’ai appris à faire de la BD, tout seul dans mon coin. Je ne m’étais vraiment pas renseigné, techniquement parlant. Comment faire une mise en page
 ? Quel sont les termes techniques de la BD ? Les onomatopées, les quatrièmes de couverture, la page titre, deuxième de couverture, page de garde, tout ce genre de choses, je ne savais pas du tout ce que tout ça signifiait. De ce côté-là, j’ai été bien suivi par mon directeur de collection : Thierry Joor. Sur le premier tome, c’est lui qui m’a servi de coach. Quasiment tous les jours, on était au téléphone ou par mail et il me promulguait des conseils au niveau de la réalisation, des conseils de mise en page. Techniquement, il m’a réellement appris à faire une bande dessinée. Pas à dessiner, mais il m’a guidé concrètement dans la réalisation d’une BD.
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" Démons " © Patrick Sobral 2003
Ce premier album s’est un peu fait dans la douleur. Je n’étais pas motivé par l’histoire en question. Je trouvais à l’époque que mon sujet des Légendaires était un sujet assez bateau. Ce que je n’ai évidemment pas dit à l’éditeur : lui, il y croyait ! Donc, j’ai fait celui qui était super motivé. Mais à l’époque, je n’étais vraiment pas convaincu. Donc, le premier album s’est fait difficilement ; douloureusement et sans réelle motivation, je dois l’admettre. C’est à partir du deuxième et troisième album que j’ai commencé à réellement prendre gout à ce sujet et à m’impliquer davantage. C’est ce qui explique pourquoi les premiers tomes sont, techniquement, assez limites.
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Couverture des quatre premiers tomes de la série " Les Légendaires " © Patrick Sobral
G. J. : Aujourd’hui, pour la réalisation de tes albums, comment travailles-tu
 ?
P. S. : Alors, en ce qui concerne la première étape, il faut savoir que le scénario de mes histoires n’est pas couché noir sur blanc. Même si j’ai à peu près les cinq tomes à venir des " Légendaires " en tête. J’ai surtout les scènes clefs, les passages les plus importants. Une sorte de résumé, non écrit. C’est au fur et à mesure que je dessine l’album que je développe les scènes, que je les raccourcis, que je les rallonge, que j’invente de nouveaux passages juste pour l’occasion... Je travaille beaucoup en improvisant. Mais cela tourne toujours autour d’une ligne directrice qui est l’histoire principale que j’ai en tête depuis le début. Il est assez systématique que ce qui arrive à certains personnages dans l’album ne soit pas ce qui était prévu quand je l’ai commencé. J’ai juste eu une meilleure idée qui, du coup, a un peu modifié le déroulement de l’histoire. Donc, concrètement, il n’y a pas de scénario écrit pour mes BD.
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" Les Légendaires " © Patrick Sobral
Ensuite, l’étape suivante, c’est la création des personnages. C’est l’une des étapes que je préfère parce que je suis dessinateur : je sais raconter des histoires en dessinant, pas en les écrivant. Donc, créer les personnages qui vont apparaitre, cela a toujours été une période assez excitante car je conçois visuellement quelque chose auquel je pense, parfois, depuis plusieurs années. Une fois que j’ai " bien modelé " les nouveaux personnages, je m’attaque au crayonné de l’album. Ce qui va me prendre à peu près deux mois pour la réalisation d’un tome des " Légendaires ". Je le soumets ensuite, par mail, à mon directeur de collection afin qu’il me dise s’il comprend bien l’histoire. Le premier piège, lorsque l’on est scénariste et dessinateur de bande dessinée, c’est que l’on est le seul à savoir réellement de quoi va parler l’album. Pour nous, notre histoire sera toujours compréhensible quel que soit la manière dont on la dessine parce que l’on sait d’avance ce dont on veut parler.
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" Les Légendaires " © Patrick Sobral
Je soumets donc l’histoire à Thierry Joor pour qu’il valide " la fluidité de la narration ". L’étape crayonnée me prend à peu près deux mois. Ensuite, vient l’étape de l’encrage. Je n’ai pas besoin de la soumettre à l’éditeur puisqu’il ne s’agit que de mettre au propre les crayonnés que j’ai déjà réalisés. Ce travail me prend un mois. C’est la partie la plus courte de la réalisation de la BD. Viennent ensuite la colorisation et les textes qui, eux, sont entièrement faits à l’ordinateur. C’est la dernière partie, laquelle dure environ trois mois. En tout, il me faut à peu près six mois, quand tout va bien, pour la réalisation d’un album complet des "Légendaires ".
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" Démons " © Patrick Sobral 2003
G. J. : Ce qui fait deux albums par an ?
P. S. : En terme de rythme de publication, on va dire que c’est au-dessus de la moyenne française qui doit être d’un album tous les ans. Ce n’est pas parce que je bosse vraiment beaucoup que j’arrive à tenir ce rythme. C’est dû au fait que j’improvise. Il n’y a pas la partie story-board, il n’y a pas la partie écriture de scénario. Ensuite, mes dessins, comme on peut le voir, sont très stylisés. Ce n’est pas un graphisme très détaillé. Par exemple, mes décors sont très simples. J’ai un style de dessin et de travail qui me permet de sauter pas mal d’étapes et d’aller à l’essentiel.
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G. J. : Avec " La Belle et la Bete ", tu changes pourtant de registre ?
P. S. : Après huit tomes des " Légendaires ", je tournais en rond. Pour cet univers-là, j’avais l’impression d’avoir un peu tout essayé en terme de narration et de graphisme. J’avais envie d’essayer autre chose. Cependant, je savais que j’allais continuer " Les Légendaires " car c’était une série qui commençait vraiment à bien marcher. Je savais que ça allait encore être mon gagne-pain pendant quelque temps. Mais j’avoue que j’avais envie, du moins le temps d’un album, de tenter autre chose. Et surtout de montrer à mes lecteurs, et à ceux qui ne me lisaient pas encore, que j’étais capable de faire autre chose que " Les Légendaires ". Donc, du coup, j’ai cherché à faire une BD en un seul tome. C’était largement suffisant, et pas trop long pour mon éditeur, pour que je réussisse à m’éloigner un certain temps des " Légendaires ". J’ai donc cherché à concevoir la BD qui serait l’anti-" Légendaires ". J’ai essayé d’avoir un dessin le moins manga possible, avec une histoire très sombre, sans humour, limite glauque : un truc d’ambiance. J’ai eu cette idée de faire un remake morbide et dark-fantasy du conte de " La Belle et la bête ". Ce qui me plaisait dans ce projet, tout le monde connait le conte, même si ce n’est qu’au travers des films ou des dessins animés de Walt Disney. J’ai alors eu l’idée de cette aventure avec des créatures qui ne fonctionnaient plus sur le modèle du loup-garou comme on l’a toujours vu dans les histoires utilisant le thème de " La Belle et la bête ", mais qui tourneraient plus autour du végétal et du minéral. Je me suis vraiment fait plaisir en réalisant cette bande dessinée destinée à un public nettement plus adulte que celui de la série " Les Légendaires " : album qui a eu les honneurs de la presse professionnelle, à l’époque. J’en étais vraiment ravi. Il avait même reçu un meilleur accueil critique que " Les Légendaires ". Par contre, malheureusement, le public, lui, n’a pas du tout adhéré. J’ai connu, avec " La Belle et la bête ", mon premier flop.
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Gwenaël Jacquet : Est-ce que les mauvaises ventes de l’album " La Belle et la Bête " t’ont refroidi pour tenter de réaliser autre chose à côté des " Légendaires " ?
Patrick Sobral : Oui, ça m’a vraiment fait l’effet d’une douche froide. Évidemment, j’étais conscient que je n’allais pas atteindre les ventes des " Légendaires " avec ce one-shot. Je m’étais même fixé un objectif potentiel de vente de dix mille exemplaires. C’est à peine si on a atteint les quatre mille ! Je suis loin du compte. Cela m’a donc incité à garder dans mes tiroirs tous les autres projets du même acabit que j’aurais pu placer entre deux ou trois albums des " Légendaires ". Je ne dis pas que je ne me remettrais jamais à faire des histoires plus sombres, destinées à un public plus adulte. Mais, pour l’instant, je n’ai pas encore retrouvé l’engouement et la motivation que j’ai eu à l’époque de " La Belle et la Bête ". Pour le moment, je me consacre à l’univers des " Légendaires ". Que ce soit au travers de ma série, ou celle à venir, car il y a un spin-off en préparation.
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Premier essai de planche pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
G. J. : En quoi ce spin off sera différent de la série régulière.
P. S. : J’ai en tête ce fameux spin-off depuis deux ou trois ans. C’est en faite une préquel, l’épisode un, un peu comme dans " Star Wars ". On voit les origines des personnages, comment ils se sont rencontrés, comment est né le groupe des Légendaires... Tout ce que l’on retrouve sous forme de flash-back dans la série principale sera présent et développé. Comme si c’étaient les souvenirs de leur vie d’avant le premier tome. Avant d’être " Les Légendaires ".
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Second essai de planche pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
Ces flash-back feront l’objet d’une série où chaque album sera dédié à l’un des personnages principaux. Chaque volume suivra l’un des Légendaires durant toute sa vie, jusqu’à ce qu’il rencontre les autres. Et une fois les cinq tomes publiés, on aura le groupe formé. Ensuite, je pense consacrer un sixième tome aux origines de leur ennemi juré le sorcier Darkhell. On sait finalement assez peu de choses sur lui.
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Troisième essai de planche pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
À travers ce spin-off, je souhaite également étendre l’univers des " Légendaires ". Ce sont peut être les restes de l’envie que j’avais eu avec "La Belle et la Bête " : toucher un public un peu plus large qui ne serait pas forcément très fan du coté bouille ronde à la " DragonBall " et qui aimerait peut être une histoire d’heroic-fantasy un peu plus réaliste, tout du moins dans le graphisme. La seule chose qui a changé entre maintenant et l’époque où j’avais eu l’idée de faire cette série parallèle, c’est que je ne suis pas au dessin. Je me contente " du rôle de scénariste " et un peu de superviseur du nouveau design. J’ai confié les rênes de cette série à une toute jeune graphiste qui signera ses albums sous le pseudonyme de Nadou. Elle est très prometteuse. Je l’ai repérée sur internet et après plusieurs rencontres réelles, je lui ai proposé de faire ce spin-off. Nous venons d’ailleurs de signer son contrat il y a moins d’une semaine, aux éditions Delcourt. Le premier tome est donc prévu fin 2011.
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Premières recherches pour le personnage de Gryf dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
G. J. : Pour le coup, il va falloir se mettre à l’écriture ?
P. S. : Eh bien non. J’ai la chance de pouvoir travailler ce spin-off de la même manière que mes albums. C’est-à-dire que le scénario que je vais envoyer à la dessinatrice sera sous forme de crayonnés. Exactement comme si je faisais moi même l’album, sauf que je m’arrête à la première étape. Il va me falloir entre un et deux mois de réalisation pour les croquis de l’album. Je vais ensuite les lui soumettre et cela va lui servir de base pour la mise en page. Cette manière de travailler lui va tout à fait. Elle-même ne se sent pas encore à l’aise avec la mise en page ; donc, en fin de compte, je vais lui en proposer une toute faite. À elle de voir si elle veut la suivre à 100% ou pas. Dans tous les cas, la base de l’histoire n’existera que sous forme de dessin.
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Premières recherches pour le personnage de Danaël dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
G. J. : Comment as-tu choisi cette dessinatrice, est-ce par rapport à son trait qui te semblait coller à l’univers des Légéndaires ?
Sobral : Je n’ai pas pris la dessinatrice au hasard. J’ai cherché quelqu’un qui a un style personnel et qui soit capable de dessiner correctement des adultes. Il fallait également que l’on reconnaisse mes personnages. De plus, il me semblait nécessaire d’avoir quelqu’un qui ait des codes graphisme proches du manga. J’ai beaucoup discuté avec Nadou en amont afin de connaître ses références graphiques.
Les références auxquelles je pouvais comparer mon projet étaient " Les Chroniques de la guerre de Lodoss " ou " Escaflowne " : deux séries animées qui sont ses œuvres cultes. Cela tombait très bien ! Quand je lui décris certains protagonistes de " La Guerre de Lodoss " pour servir de bases à la création de tel ou tel personnage du spin-off, elle voit très bien de qui je veux parler. Donc, de ce côté-là, on est sur les mêmes bases graphiques et c’est ça qui est très important.
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" Les Chroniques de la guerre de Lodoss " et " Escaflowne "
G. J. : Les jeunes qui te lisent depuis le départ sont maintenant des adolescents. Cette BD leur est-elle destinée en priorité ?
P. S. : Ce coup-ci, je ne cherche pas vraiment à savoir à qui est destiné la BD. J’ai fait un peu cette erreur en cherchant à conquérir tel ou tel public avec “ La Belle et la Bête " ; donc, je ne voudrais pas me lancer dans des pronostics. J’espère évidemment que cela touchera le plus de gens possible. Les premiers lecteurs qui, je l’espère, liront la série, seront évidement ceux qui lisent déjà la mienne.
Je vais d’ailleurs faire un maximum de publicité pour le spin-off à travers mon site officiel. Mais j’espère que ça touchera un public encore plus large. Côté ambiance, cela ne sera pas très différent de la série principale. Même si les graphismes seront plus adultes, je n’ai pas envie d’en faire une série trop sombre afin de ne pas couper le lien avec la série principale. Donc, ça sera dans le même esprit... À défaut d’en avoir exactement le même graphisme.
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Premières recherches pour le personnage de Razzia dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
G. J. : Prochaine étape, une série animée ?
P. S. : Le dessin animé, c’est un peu le sujet qui blesse. La série " Les Légendaires ", pour moi et pour l’éditeur, à un très fort potentiel en terme d’adaptation animée. Dés la publication du tome 1, les éditions Delcourt ont commencé à démarcher les maisons de production française ou étrangères pour placer le projet animé des " Légendaires ". Malheureusement, pour l’instant, ça n’a pas abouti. On continue à frapper aux portes, mais cela avance très très lentement. En tout cas, les choses ne bougent certainement pas en proportion du succès de la série. " Les Légendaires " ayant récemment dépassé le million de vente, je pensais que ce serait un argument suffisant pour convaincre les maisons de production de se lancer dans l’aventure. Mais non, elles sont encore très très frileuses. On pense que cela viendra un jour avec les éditions Delcourt ; mais, franchement, on ne sait plus trop comment faire pour les convaincre.
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Premières recherches pour le personnage de Shimy dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou Delcourt
G. J. : Tu dédicaces beaucoup dans les salons de BD. Tu aimes ces rencontres avec le public ?
P. S. : Je le fais vraiment de gaité de cœur. Quatre-vingt-dix pour cent des salons que je fais dans l’année ne me sont pas du tout proposés par ma maison d’édition. Quelques-un comme le Salon du livre de Paris ou le salon jeunesse de Montreuil sont quand même devenu des incontournables. Ma maison d’édition me les propose en disant, " penses-y, réserve la date ". J’accepte très facilement les autres propositions de dédicaces. Que ce soit des festivals ou des librairies. Évidemment, c’est en fonction de la date et du trajet que j’ai à faire pour y aller. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé et que je continue de faire avec plaisir. C’est le seul contact réel que j’ai avec mes lecteurs. Si je devais rester chez moi à dessiner mes BD, le seul retour que j’aurais, ce serait des chiffres envoyés par la maison d’édition ou les messages postés par les fans sur les forums et autres sites dédiés aux " Légendaires ". Ce ne sont pas de réels contacts. Je fais ces dédicaces pour aller à la rencontre des fans et leur proposer des dessins. Et puis, ça regonfle à bloc quand on voit l’engouement des jeunes lecteurs pour la série. Quand on est dans une période ou on en a un peu marre, que l’on est un peu fatigué, cela permet de refaire le plein. J’en ai vraiment besoin. J’en fais un peu moins qu’avant parce que mon corps n’arrive plus à suivre le rythme, mais j’ai en moyenne deux dates de dédicace par mois.
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Premières recherches pour le personnage de Jadina dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou Delcourt
G. J. : De quoi parlez-vous avec le lecteur durant ces rencontres ?
P. S. : Les lecteurs ne posent pas les mêmes questions en dédicaces et sur le forum. Sur le web, ils vont vouloir savoir ce qui va se passer, me soumettre des idées. Ils aimeraient bien qu’il arrive ceci, qu’il arrive cela. Lorsque je les rencontre directement en festival ou en librairie, ils me font plus part du plaisir qu’ils prennent à lire la série. Ils me posent très peu de questions et me soumettent très peu de sujets. Souvent, ils parlent simplement de quelle manière ils vivent la série des " Légendaires ", que ce soit chez eux ou à l’école. Ils me disent qu’en classe, ils forment des fans club des " Légendaires ". Ils jouent aux " Légendaires " à la récréation ou alors, avec leur professeur, ils montent des pièces de théâtre sur " Les Légendaires " : ce genre de choses. Ils me parlent plus de l’impact de la série sur leur vie plutôt que d’essayer de glaner quelques informations sur les histoires à venir.
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Affiche réalisée par Patrick Sobral pour la conférence sur les produits dérivés organisée par Otakia lors de Japan Expo en 2009.
G. J. : Les histoires sont plus noires depuis quelques volumes. Il faut dire que ton public est aussi devenu plus âgé. Comment en es-tu arrivé là ?
P. S. : C’est vrai qu’après avoir réalisé " La Belle et la Bête ", je suis reparti sur " Les Légendaires ". Avec cette petite pause de huit à dix mois, je ne suis pas revenu à la série telle que les gens la connaissaient. Comme je le disais tout à l’heure, au bout de huit tomes des " Légendaires ", j’avais un peu l’impression d’avoir fait le tour de la question, le tour des personnages et le tour d’un genre de récit. J’avais évidemment toujours envie de continuer " Les Légendaires ", mais j’avais envie de les faire évoluer. Pas forcément pour coller à l’âge de mon premier public qui avait vieilli. On pourrait penser que l’orientation un peu dramatique, un peu sombre, je l’ai faite pour ceux qui avaient acheté le premier tome à l’époque de sa sortie et qui ont maintenant grandi. En fait, je l’ai fait principalement pour moi. J’avais envie de raconter des choses nouvelles et il fallait que je change les fondements de l’histoire si je voulais garder la même excitation, la même motivation. Je sentais que si ce n’était pas le cas, je me serais très vite lassé, voire dégouté de la série. Cette orientation, elle a pris la forme de récits beaucoup plus sombres et d’une diminution des gags. Je n’ai pas hésité, non plus, dans certains albums, à aller plus loin dans la violence. Je considère que j’ai fait le bon choix puisque les albums se vendent de plus en plus depuis que j’ai pris cette orientation.
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Recherches pour le personnage de Gryf dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou Delcourt
C’est certain, ça n’a pas été du goût de tout le monde. Je le reconnais et je le regrette : l’orientation " violence dramatique " de la deuxième partie de la série, celle que je dessine actuellement, m’a fait mettre à dos beaucoup de mes fans de la première heure. Ils auraient voulu que rien ne bouge, que la série reste dans l’esprit des premiers tomes. J’aurais pu en effet le faire, mais cela aurait été une mauvaise décision pour moi.
Un jour, un ami auteur m’a donné le conseil suivant : " fais d’abord la BD pour toi, et espère juste après que cela plaira aux autres. C’est comme ça qu’il faut concevoir une bande dessinée. Un peu égoïstement. Si l’auteur ne se fait pas plaisir, ça ne peut pas durer longtemps ". Donc, je me fais plaisir, tout simplement, en réalisant le genre de récit que j’aurais aimé lire quand j’étais ado. Moi, j’aime les histoires qui sont un peu plus sombres, un peu plus épiques. Donc, ça a été mon choix, et je ne le regrette pas !
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Recherches pour le personnage de Danaël dans sa version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou Delcourt
G. J. : En résumé, tu as au moins en tête cinq tomes des " Légendaires " d’avance et six tomes du spin-off à venir : la série n’est pas prête de s’arrêter. On espère simplement que les lecteurs seront au rendez-vous !
P. S : J’espère aussi. Maintenant, je peux me permettre de faire des prévisions sur le long terme parce que la série est très bien lancée et ne cesse d’accueillir de nouveaux lecteurs. Mais c’est vrai que faire des plans sur la comète avec quatre ou cinq albums d’avance en tête, c’est quelque chose que je ne pouvais pas me permettre au début de la série. Je ne savais même pas si j’allais pouvoir faire le tome suivant. À l’époque, je n’étais pas sûr du succès de la série. Alors que maintenant, je peux me permettre d’avoir d’énormes projets, en terme d’histoires, autour des " Légendaires ". Maintenant, savoir ce qui se passera dans cinq ou six ans ? Tout peu arriver... J’espère ne pas me lasser de la série d’ici là. Parce que je suis encore loin d’en avoir fait le tour.
G. J. : Et bien merci beaucoup pour cet accueil Patrick.
P. S. : Merci à vous.
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Croquis des personnages féminins dans leur version adulte pour le spin-off des " Légendaires " © 2010 Patrick Sobral - Nadou - Delcourt
Gwenaël JACQUET
Interview réalisée le 10 novembre 2010 à Limoges.

Article publié à l’origine en trois parties sur BDZoom.com

"Grimms Manga" T1 et 2 par Kei Ishiyama

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Alors que Disney viens juste de sortir son film " Raiponce " dans les salles de cinéma, Pika édite, de son côté, le second tome de l’adaptation très libre des contes des frères Grimm, en manga. C’est l’occasion de revenir sur cette collection étonnante mêlant roman et bande dessinée.

Les contes des frères Grimm sont extrêmement connus, non pas pour leur version papier, mais le plus souvent grâce à leurs adaptations en film d’animation. Dans ces longs métrages, de nombreuses libertés ont été prises par rapport au texte d’origine. Il faut dire que ces contes sont, en général, assez courts. Néanmoins, on n’aurait pas imaginé d’aussi grands changements que dans l’interprétation qu’en fait Kei Ishiyama avec certaines histoires de cette collection. Le premier volume de " Grimms manga ", paru en 2009, proposait justement l’histoire de " Raiponce " que Disney vient également d’adapter. La plupart des contes divergent par rapport aux écrits originaux. Ne serait-ce que par les conclusions toujours heureuses chez Ishiyama. Pour comparer, il suffit justement de lire la traduction du texte d’origine que Pika a eu la bonne idée de mettre en fin de livre. Ainsi, chaque conte se retrouve à la fois dans sa version texte et dans sa version illustrée.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Au niveau des contes adaptés, on retrouve dans le premier tome : "Le Petit chaperon rouge ", où un enfant loup épouse la jeune messagère de rouge vêtue alors qu’aucune Grand-mère n’est mangée.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Pour " Raiponce " Ishiyama a pris énormément de libertés dans son interprétation des écrits originaux. La princesse à longue chevelure est ici un prince et le courageux fils du roi est devenu une jolie paysanne. Les rôles sont inversés, mais l’histoire reste cohérente et se finit aussi bien que l’originale.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
" Hansel et Gretel " qui met en scène une version narcissique de Hansel, le frère ainé. Le conte n’a quasiment plus rien à voir avec l’original, seule la maison en sucrerie reste.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
" Les Douze chasseurs ", conte moins connu mêlant romance et devoir royal. Ici, peu de changement... À part une natation légèrement différente et un lion devenus simple chat.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Et pour clôturer ce premier livre, un conte extrêmement long, ici séparé en deux chapitres, " Les Deux frères ". Peut être l’adaptation la plus fidèle de ce recueil avec seulement quelques arrangements scénaristiques, mais aucun contre sens.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Le second tome, plus court, illustre quatre contes : l’inévitable " Blanche Neige ", avec de nombreux ajustements sur le plan du scénario qui permettent de renforcer le côté comique de cette histoire. Beaucoup moins noir que le conte original, il met clairement l’accent sur la beauté et la joie de vivre de Blanche Neige, tout en occultant la plupart des passages avec tous les nains.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
" Le Chat botté " dont le début est extrêmement fidèle aux écrits des Grimm, mais dont la suite diverge énormément. Le chat ne sera pas le serviteur d’un puissant comte et ne trompera pas la princesse avec un château insidieusement dérobé aux magiciens : le paysan restera paysan, mais partagera néanmoins sa vie avec la princesse.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Dans " Le Roi grenouille ", adaptation de la nouvelle " Le Prince grenouille ", les rôles masculins et féminins sont inversés ainsi que les caractères des personnages : la grenouille devient désagréable et malheureuse de sa condition de batracien alors que la princesse, devenue prince, est ici d’une gentillesse sans égale.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Le dernier conte, " La Fauvette-qui-chante-qui-sautille " est également en deux parties. Si le début est quasiment identique au conte original, la seconde partie est vraiment différente même si, au final, le résultat est identique : ils vécurent heureux...

© Kei Ishiyama - Pika 2009
La ressemblance de ces livres avec un roman est poussée à son paroxysme en se détournant totalement des codes traditionnels de l’édition du manga. La couverture propose un visuel ou les coins, la tranche et les rabats sont imprimés en imitation cuir. La jaquette, absente, est remplacée par un cartonnage plus épais que la moyenne. Les couleurs des illustrations, ocre pour le premier volume et verdâtre pour le second, renforcent l’aspect ancien et précieux de cette édition. Le tout est rehaussé par un lettrage du titre en impression dorée sur la face avant et la tranche. Ce qui contraste avec le pelliculage mat de ces couvertures. Même si cela reste des livres avec une reliure dos carré collé simple, une fois rangé dans une bibliothèque, ils ne jureront pas au milieu d’autres romans anciens.

© Kei Ishiyama - Pika 2010
Chaque volume est agrémenté d’illustrations en couleur sur ses quatre premières pages. On peut ainsi pleinement apprécier le talent de cet auteur et regretter, par la même occasion, que le reste des albums ne soit pas également colorisé. Néanmoins, le travail de mise en page, ainsi que le graphisme général, étant particulièrement soigné, on oublis rapidement ce " manque " pour plonger dans le récit. On sent la minutie et la précision du trait de la plume d’Ishiyama. Les pages, remplies de cases éclatées, offrent une construction narrative extrêmement vivante et agréable à lire. Enfin, le dessin est sans faille : que ce soit au niveau des humains, petits ou grands, jeunes ou vieux, comme au niveau des animaux, des plus féroces comme les loups ou les lions, aux plus mignons comme les chats ou les lapins. Tout en rondeur, net et clair, rehaussé de nombreuses trames, le travail graphique de Kei Ishiyama est aussi agréable que sa narration.

© Kei Ishiyama - Pika 2009
Même si ce manga est plutôt destiné à un public jeune, à l’instar des contes originaux, cela n’empêchera pas une personne ayant une plus grande maturité d’esprit de passer un agréable moment de détente. Notamment en comparant ces bandes dessinées et les contes originaux judicieusement reproduits en fin des volumes, ou plutôt en début, si on prend le livre dans le sens de lecture occidentale.
Gwenaël JACQUET
" Grimms Manga " T1 et 2 par Kei Ishiyama Éditions Pika (9.90&euroWinking

L'article "Grimms Manga" T1 et 2 par Kei Ishiyama est paru initialement chez BD Zoom

"Carnets de massacre" par Shintaro Kago

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Il est rare de voir publier, en France, un manga dans la mouvance Eroguro. " Carnet de massacre " peut pourtant être considéré comme le digne représentant de ce mouvement atypique qui s’est principalement développé au Japon, mais que ne renierait certainement pas le marquis de Sade, Georges Bataille ou même Romain Slocombe pour rester dans les références françaises.

Très prisé au Japon, le genre Eroguro (1) reste peu représenté dans le reste du monde. Certaines œuvres basées sur ce courant sont néanmoins arrivées en France par le biais d’auteurs comme Suehiro Maruo (2) ou Junji Ito (3). " Carnets de massacre " se distingue néanmoins de ces deux auteurs en présentant un univers moins cauchemardesque et critiquant ouvertement la société de consommation contemporaine.
Découpé en chapitres indépendants les uns des autres, on retrouve pourtant un fil conducteur et des protagonistes identiques d’histoire en histoire. Situé dans un japon moyenâgeux, ce manga s’ouvre avec les démonstrations sordides d’un couple japonais au bord de la rupture. Afin de faire un meilleur mariage, Lemon doit se débarrasser de sa femme Iwa. Pour cela, il s’est procuré un poison venu d’Europe. Malheureusement pour lui, et surtout pour sa femme, elle n’en mourra pas. Bien au contraire elle développera une sorte de tumeur purulente qui va la défigurer complètement. Excité par cette vision cauchemardesque, Lemon exhibera sa nouvelle beauté dans un club où la difformité et les autres défauts corporels sont mis en avant.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Dans la deuxième histoire, on découvre Suzune, une prostituée aux talents prisés par les clients. Le seul reproche qui lui est fait est de ne pas exprimer son désir par des mots durant l’accouplement. Pour cause, elle a la faculté de déplacer sa langue de sa bouche vers ses autres orifices. Malheureusement, un beau jour, sa langue passe dans le corps d’un client, effrayé, et il disparut avec. À la suite de péripéties burlesques, elle réussit à refaire pousser une nouvelle langue qui, cette fois-ci, s’enroule à l’intérieur de sa boite crânienne. Du coup, elle finit, non plus comme prostituée, mais comme dérouleur de " langue de toilette " afin d’essuyer, entre autres, les fesses du shogun soufrant d’hémorroïdes.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
La nouvelle suivante continuera dans l’exploitation de la femme-objet en recréant ce qu’aujourd’hui le fabricant Bandai appel les Gashapon. Des capsules ovoïdes placées dans des distributeurs automatiques destinés aux collectionneurs de figurine, strap pour portable ou tout autre objet de petite taille. Ce mode de distribution est très en vogue au Japon, depuis une trentaine d’années. On retrouve ici le principe des distributeurs, mais sous forme de femme se remplissant le ventre de ces petites boules surprises et offrant leur anatomie intime en les expulsant une par une par leur vagin. Les clients redoubleront d’effort et dépenseront sans compter pour compléter leur collection naissante. La concurrence se mettra en place avec de meilleurs produits et les pondeuses ne se révéleront pas toutes très efficaces ou en bonne santé. Une vrai critique sordide de ce mode de consommation actuel, basé sur le désir, l’aléatoire et la cupidité du genre humain. Sûrement l’histoire la plus intéressante et la plus amusante de ce recueil.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Le reste est dans la même veine. Libraire jaloux se faisant greffer des mains à chaque membre afin d’être plus productif en écriture.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Attaque de pièces de tissu vivantes bouchant les orifices humains.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Virus faisant apparaître une multitude trous sur les objets et les hommes.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Pantin de bois meurtrier. Et pour finir quatre mini récits servant de conclusion souvent macabre à toutes ces histoires surréalistes.

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Le trait de Shintaro Kago convient parfaitement à ce type d’histoire. Réaliste et nerveux, il offre un travail à la plume extrêmement soigné et détaillé. Les décors sont omniprésents et les personnages clairement identifiables. Une belle réussite qui, malheureusement, n’est pas mise en valeur par la couverture bariolée. Celle-ci n’étant pas bien représentative du contenu à la fois sombre et grotesque, ce qui est dommage. Ce manga étant vendu sous film plastique vu les images choquantes pouvant être présentées à un lectorat non averti, cela n’incite pas à découvrir cet auteur. Surtout que le prix du livre (18 &euroWinking empêche tout achat impulsif. Espérons juste que certains lecteurs ne s’arrêteront pas là et retourneront le livre dont le dos est beaucoup plus représentatif de l’univers, sordide, décalé et dérangeant de ces " Carnets de massacre ".

© Shintaro Kago, édition IMHO 2010
Gwenaël JACQUET
" Carnets de massacre, 13 contes cruels du Grand Edô " par Shintaro Kago Éditions IMHO 18 €
(1) Eroguro : Érotique grotesque.
(2) Les œuvres de Suehiro Maruo publié en France sont les suivantes : " Jeune Fille aux camélias " édité chez Imho en 2005, " Yume no Q-Saku " édité chez Le Lézard noir en 2005, " Lunatic Lover’s " édité chez Le Lézard noir en 2006, " Vampyre I " et " Vampyre II " édités chez Le Lézard noir en 2006, " L’île panorama " édité chez Casterman en 2010, " La Chenille " édité chez Le Lézard noir en 2010, et divers autres éparpillées dans des revues.
(3) Les œuvres de Junji Ito publié en France sont les suivantes : " La Femme limace " édité chez Tonkam en 2009, " Les Fruits sanglants " édité chez Tonkam en 2010, " Gyo " édité chez Tonkam en 2006, " Hallucinations " édité chez Tonkam en 2010, " Le Journal de Soïchi " édité chez Tonkam en 2009, " Le Journal maudit de Soïchi " édité chez Tonkam en 2009, " La Maison de poupées " édité chez Tonkam en 2010, " Le Mystère de la chair " édité chez Tonkam en 2009, " Remina " édité chez Tonkam en 2008, " Spirale " édité chez Tonkam en 2002, " Tomie " édité chez Tonkam en 2004, " Le Voleur de visages " édité chez Tonkam en 2008.

L'article "Carnets de massacre" par Shintaro Kago est paru initialement chez BD Zoom