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"Ultimo" T1 de S. Lee et H. Takei

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" Ultimo ", le nouveau titre de Kaze, n’est pas à proprement parlé un manga purement japonais. En effet, le créateur du pitch est un américain extrêmement connu des lecteurs de comics : Stan Lee. Surfant sur la vague manga qui explose également aux USA, il a entrepris cette collaboration avec le dessinateur et scénariste Hiroyuki Takei, déjà connu en France pour sa série " Shaman King ".

Manga atypique au niveau de la collaboration mais extrêmement classique dans le scénario. Comme souvent, il s’agit de la lutte du bien ultime contre le mal ultime. Le tout, saupoudré d’un zeste de médiéval Nippon pimenté d’adolescents contemporains mal dans leur peau.

Les deux Karakuridôji. De droite à gauche : Ultimo représentant le bien absolu et Vice le mal absolu. ©2008 by Stan Lee-POW ! Entertainment, Hiroyuki Takei / SHUEISHA Inc - Kazé
La particularité de cet ouvrage, c’est cette collaboration américano-japonaise peu courante. Stan Lee, pour ceux qui ne le connaissent pas, est le créateur des super héros mythiques de l’éditeur Marvel. On lui doit " les 4 Fantastiques ", les " X-men ", " L’Incroyable Hulk ", " Iron Man " et des dizaines d’autres figures emblématiques de la culture comics. Néanmoins, Stan Lee, tout au long de sa carrière, n’a pas été réellement scénariste de ces séries ; il a souvent juste posé les bases permettant la création d’un univers cohérent ainsi que son développement de départ. Cette dernière tâche étant souvent laissée au dessinateur, co-créateur de la série. Ici, il procède de la même manière ; il lance une base d’histoire et laisse le soin à l’équipe japonaise de créer la suite. Et surtout, Stan Lee leur laisse la charge de faire durer l’histoire en y ajoutant des rebondissements et des protagonistes supplémentaires.
L’influence américaine se fait également sentir sur la couverture où l’encreur, Daigo, et le coloriste, Bob, sont clairement identifiés, même si ce n’est que par des pseudonymes. En général, ces tâches sont déléguées à des assistants œuvrant dans l’ombre ou citées simplement en fin de volume. Ce n’est pas non plus une révolution ! mais la simple reconnaissance du travail de ces différents artistes est toujours une bonne chose.
Ce manga représente la suite logique du travail qu’a entrepris Stan Lee, depuis 2001, en créant sa société POW entertainement (Purveyors of Wonder) avec Gill Champion et Arthur Lieberman. Aujourd’hui POW est détenue à hauteur de 10% par la firme Disney qui a elle-même racheté Marvel en 2010. La boucle est bouclée. Stan Lee fait encore un peu partie de " la maison des idées " qu’est Marvel.

Stan Lee en personne, apparait sous les traits d’un marchand ambulant dans ce manga ©2008 by Stan Lee-POW ! Entertainment, Hiroyuki Takei / SHUEISHA Inc - Kazé
Comme je le signalais en préambule, la base de l’histoire est des plus classique. Le manga débute au XIIe siècle en plein Japon médiéval. Yamato, un bandit de grand chemin lutte avec sa bande contre les riches. Ils prennent à parti un commerçant ambulant occidental du nom de Dunstan. Fait amusant, les traits du marchand rappellent ceux de Stan Lee. Même lunette de soleil totalement anachronique, même moustache, mêmes cheveux blancs et surtout un kimono orné d’une araignée rappelant " Spider-Man ". Celui-ci transporte deux caisses renfermant chacune une de ses créations : des Karakuridôji. Deux pantins représentant le mal et le bien ultime. Il les a simplement créés afin de " découvrir lesquels du bien et du mal est le plus puissant ". Les réveiller amènerait la mort sur le monde. Vous l’aurez compris, Yamato n’écoute pas le vieil homme et ouvre les boites. S’en suit un long combat coupé en pleine action par la seconde partie qui transporte le lecteur à notre époque. Nous voyons réapparaître Yamato, probablement réincarné sous les traits d’un lycéen et découvrant Ultimo, le Karakuridôji du bien, chez un antiquaire. Après neuf siècles passés en hibernation, il revient à la vie et se lie à Yamato comme il l’avait fait auparavant. Le Karakuridôji du mal, du nom de Vice, apparait à son tour et de nombreuses bagarres s’enchainent...

©2008 by Stan Lee-POW ! Entertainment, Hiroyuki Takei / SHUEISHA Inc - Kazé
Passant d’époque en époque, cette histoire est pourtant extrêmement facile à lire. Les personnages sont agréables et les événements se suivent de manière cohérente et simple.
Même si l’intrigue est créée par un américain, cette histoire reste un pur shônen Manga. " Ultimo " emprunte tous les codes caractéristiques de la bande dessinée japonaise. Néanmoins, on sent à la fois la patte et l’expérience de Stan Lee pour la création de personnage doté de super-pouvoir avec une personnalité extrêmement forte et travaillée.
Une réussite indéniable pour ce manga qui, s’il n’a rien d’exceptionnel au premier abord, sait être prenant du fait de sa construction narrative et d’une intrigue de base extrêmement solide.
Gwenaël JACQUET
" Ultimo " T1 de Stan Lee et Hiroyuki Takei Éditions Kazé Shonen Up - 6,50€
L'article "Ultimo" T1 de S. Lee et H. Takei est paru initialement chez BD Zoom

"Mon Vieux" T1 par Tsuru Moriyama

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Akata, la branche manga de Delcourt, sort régulièrement des mangas dont le récit, très dur, offre une vision bien différente du Japon idyllique que l’on imagine généralement. Avec des titres différents des autres éditeurs, ils nous présentent le quotidien de gens simples. Des protagonistes qui essayent, tant bien que mal, de survivre dans un monde qui leur est hostile. On est loin du cliché ou du voyeurisme de bas étage qui étale la prostitution lycéenne ou les suicides dans des reportages télé à sensation.

En début d’année 2010, ce label des éditions Delcourt avait déjà publié le manga, " Un bol plein de bonheur " par le même auteur. Cette fois-ci, c’est avec une série en trois volumes que revient Tsuru Moriyama.
" Mon Vieux " fait partie de ces récits complexes où la frontière entre le bien et le mal est une notion bien superficielle. L’histoire est assez simple, les Kumada sont une famille vivant dans la misère et la pauvreté. Au début du récit, le père est absent, la fille est mariée à un homme extrêmement violent, mais aussi pauvre qu’elle alors que le fils est un trouillard grande-gueule. Le contexte familial peu reluisant est posé.
Là-dessus, un homme, grand, fort et particulièrement baraqué s’interpose dans ce petit monde. Il éclate littéralement la tête du mari venu récupérer sa femme en la trainant par les cheveux comme si c’était un simple bout de viande. Les enfants découvrent donc ce colosse qui sera, à leur plus grande surprise, présenté comme leur père. La suite du récit nous apprendra que seize ans plus tôt, Takeshi Kumada a dû tuer un groupe de yakusa, la mafia japonaise. Afin de l’exproprier, ces derniers venaient de mettre le feu à sa maison. Ayant décimé le clan avec ses poings et une simple pelle de chantier, il n’écopera que d’une peine minime puisqu’il est maintenant de retour.

Pourtant, cette grosse brute qui est dépeinte dans ce début d’album cache en fait un sens de l’honneur, de la loyauté et de la famille très profond. Il n’a jamais levé la main sur sa femme. Il a toujours travaillé dur pour subvenir aux besoins de son foyer. Il a même été jusqu’à plongé dans les flammes de sa maison incendiée afin de sauver ses enfants...
Battu dans sa jeunesse par un père alcoolique qu’il finira par tuer, il n’en a gardé que ce goût immodéré pour le saké. Ce qui lui sert dorénavant aussi bien à soigner son moral qu’à désinfecter ses plaies.
Le trait rugueux et noir de Moriyama convient parfaitement à ce genre de récit. Le dessin travaillé est caractéristique du Gekiga : réaliste et à la limite du grotesque. Les hommes trouvent une mort violente avec des descriptions visuelles sanglantes et détaillées. Les décors, nombreux, sont sales et expriment clairement la pauvreté. L’ambiance générale de ce manga est tendue : c’est un fait indéniable.

Ne faisant pas dans la dentelle, on peut réellement se poser des questions face à cette débauche de violence crue et très exagérée ou l’on voit Takeshi arrêter des sabres avec son bras et trancher la tête des yakuzas avec une pelle. L’auteur donne une vision du père de famille protecteur, mais également chargé de l’éducation stricte de ses enfants. Un homme doit être fort et viril, tel est l’image que Takeshi Kumada veut que ses enfants et sa femme aient de lui. Un père prêt à tout, même sacrifier seize ans de sa vie, pour que sa famille puisse décider de leur avenir sans contraintes. Takeshi Kumada est de retour et compte bien reprendre cette éducation en main.

Ce premier volume de " Mon Vieux " comporte une postface expliquant les raisons de la publication d’une telle œuvre en français. En mettant de côté les aspects purement idéologiques, il faut noter la volonté d’Akata de proposer des titres sortants des stéréotypes habituels du manga. Ici, pas de personnage surhumain, même si Takeshi Kumada semble invincible, juste une famille ancrée dans la réalité quotidienne d’une vie ayant ses défauts, ses moments de peines, mais également sa joie de vivre.
Un manga résolument adulte dans le ton comme dans le graphisme.
Gwenaël JACQUET
" Mon Vieux " T1 par Tsuru Moriyama Édition Delcourt Akata (7,50 &euroWinking

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"Fragments d’amour" par Kiriko Nananan

Kiriko Nananan fait partie de ces mangakas à contre-courant qui sont néanmoins publiés en France. Son nouvel ouvrage, " Fragments d’amour "regroupes des histoires courtes publiées dans diverses revues, il y a une dizaine d’années ou plus. Égale à elle-même, elle nous livre des récits mélancoliques qui sonnent tellement juste que l’on peut s’empêcher d’être bouleversé à chaque fin.


" Jusqu’à la prochaine fois ", le trait précis et fluide de la mangaka sait toucher le cœur de la manière la plus directe qui soit. © Kiriko Nananan - Casterman
" Fragments d’amour " n’a ni héros ni héroïnes, ni de liens entre les histoires. Ce sont réellement dix-neuf récits bien séparés ayant pour seul point commun de ne parler que d’amour. Qui plus est, ce n’est pas toujours le même amour dont il est question. Cela peut être le chagrin d’amour comme dans la première histoire " Jusqu’à la prochaine fois ". L’amour propre et la compétition amoureuse décrite dans la seconde histoire " À propos d’elle, juste une chose " . L’amour fonceur suggéré si justement dans " Et puis commence l’amour ". " L’amour blessant " dans le chapitre du même non. L’amour énigmatique avec l’histoire la plus courte de cet album, de seulement quatre pages, " Crépuscule ". La mésentente amoureuse de " L’Aquarium ", récit de seize pages construites de manière linéaire avec des planches composées de trois cases superposées et sans paroles, à part, sur trois pages où les quelques mots lâchés dans l’espace cassent le rythme monotone. Ils claquent tellement fort qu’ils suffisent à renforcer la tension des deux amants et à eux seuls expliquent beaucoup de choses. Tout comme on sent que chacune des autres phrases servant à agrémenter les différents récits est minutieusement choisie et, qu’à elles seules, elles donnent une part de sens aux histoires sans se perdre dans de longues explications métaphysiques. Juste l’essentiel, juste ce qui va toucher le lecteur et lui tirer un léger sourire ou une larme. Kiriko Nanana n’est pas là pour donner de raison à l’amour, elle ne fait que retranscrire un moment de cet état amoureux.

Le temps qui passe lentement et en silence, une notion particulièrement importante dans le chapitre " L’Aquarium ". © Kiriko Nananan - Casterman
On le voit, chaque histoire se suffit à elle même. Parfois très courtes, parfois plus longues, voir étalée sur plusieurs chapitres comme " Un dimanche de grippe " ou " Amour blessant " comportant chacune trois parties. Ce livre se lit soit d’une traite, soit petit à petit en appréciant les situations à leur juste valeur et surtout en se référant à sa propre expérience. Chez Kiriko Nananan, le récit est toujours structuré pour laisser le lecteur divaguer dans ses pensées, imaginer ce qui se passe entre chaque case (1), lien temporel stratégique de la bande dessinée comme l’expliquait si justement l’auteur américain Will Eisner (2).

Seule scène comportant ouvertement une représentation sexuelle dans le chapitre " Amour blessant VI ". Contrairement à son modèle, Kyoko Okazaki, qui n’hésite pas à dessiner ses personnages dans des positions explicites, Kiriko Nananan est encore une fois dans la retenue et préfère suggérer les choses sans les montrer, laissant ainsi le lecteur fantasmer. © Kiriko Nananan - Casterman
Si le style de dessin de Kiriko Nananan est facilement reconnaissable et surtout très clair et épuré, il est néanmoins aisé de remarquer une différence de traitement entre certaines histoires. Cela s’explique d’une part, par le fait que ces récits ont été dessinés sur une période de six ans, entre 1997 et 2003. Et d’autre part par la multitude de supports de prépublication. Popeye, Cutie, Feel Young, etc. Ce sont tous des magazines plutôt accès mode destiné aux adolescentes ou jeunes adultes. Le manga restant pour eux un produit d’agrément. D’où les récits courts que l’on retrouve dans " Fragments d’amour ".
Les deux récits les plus surprenants graphiquement sont " L’Anniversaire d’une fille " et " C’est bien que soit toi " tous deux publiés à l’origine dans le magazine Bea’s up, lors de sa première année d’existence, en 1997. Plus accès sur la mode et les cosmétiques, cette revue s’adresse en priorité aux jeunes femmes d’une trentaine d’années.

" C’est bien que soit toi " est le chapitre le plus inhabituel, graphiquement parlant. © Kiriko Nananan - Casterman
Kiriko Nananan est une mangaka ayant un public français assez fidèle et adulte. Elle a été particulièrement mise en avant lors d’une exposition assez conséquente mettant en scène ses planches en très grand format lors du festival d’Angoulême en janvier 2009, au CNBDI. Ceci faisant suite à son prix reçu en 2008 de l’École européenne supérieure de l’image. " Fragments d’amour " est son septième livre publié en français.
Gwenaël JACQUET
" Fragments d’amour " par Kiriko Nananan Édition Casterman - Collection " Sakka Auteur " (12,50 &euroWinking
(1) Dans un long entretien avec Benoît Peeters, en 2004, Kiriko Nananan explique sa passion du graphisme et la construction de son œuvre.
L’interview est publiée sur le site de l’École européenne supérieure de l’image.
(2)
Will Eisner, grand théoricien de la bande dessinée a notamment écrit différents ouvrages dans lesquels il parle de ce concept " La Bande dessinée, art séquentiel " et " Le Récit graphique " aux éditions Vertige Graphic ou sa réédition aux Éditions Delcourt " Les Clés de la bande dessinée ".

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" F. Compo " T1 par Tsukasa Hojo

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Panini réédite enfin la série " Family Compo " ou plus simplement " F.Compo " comme indiqué en gros sur la couverture des albums. Précédemment édité par Tonkam, elle fut retirée du catalogue de cet éditeur en 2004, comme tous le reste des œuvres de Tsukasa Hojo suite à la politique de Shueisha, l’éditeur Japonais, de ne plus avoir qu’un seul interlocuteur dans chaque pays ou les œuvres du mangaka sont publiées ; ceci afin de garder un niveau de qualité constant. Pour la France et l’Italie, ce fut donc Panini.

La première version française de " Family Compo " est sortie en 1999 chez Tonkam dans une version respectant le format original japonais, 12,5 x 18 cm. La nouvelle édition de Panini comics reprend le format de luxe déjà en vigueur sur les séries " City Hunter " et " Cat’s Eye ", soit 14,5 x 21 cm. Mais les différences ne s’arrêtent pas à une question de taille, nous allons voir cela ensemble.

Les deux versions placées de manière homothétique l’une à côté de l’autre. © Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
En premier, j’aimerais vous replacer ce manga dans le contexte de l’époque. Tsukasa Hojo est sur le point de terminer " City Hunter ", la série qui l’a consacré auprès du public. En 1995, il débute une nouvelle série " Rash " qui ne fut pas accueillie convenablement par les lecteurs. Comme nous sommes au Japon, pays où les contraintes éditoriales sont très rigoureuses, l’aventure fut stoppée au bout de seulement deux numéros.
Hojo a néanmoins une grande idée, comme il l’explique en introduction de " Family compo " : " je pensais qu’une histoire traitant d’un couple, dont le mari et la femme ont inversé leur rôle pourrait être amusante ". Or, la rédaction de Jump, le magazine mythique pour jeunes garçons qui édite déjà les autres mangas de cet auteur, pense que le sujet est trop osé pour son lectorat. Têtu, Hojo demandera à être publié dans un autre magazine de Shueisha, Allman. Destiné à un public plus adulte le sujet semblait porteur. La série fut en effet un succès durant quatre ans avec ses quatorze volumes.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010
L’histoire en elle même est assez banale et utilise les ficelles classiques de l’auteur pour créer des situations burlesques basées sur le quiproquo. Masahiko Yanagiba se retrouve orphelin à seize ans. Son père vient de décéder dans un accident de voiture et il n’a quasiment jamais connu sa mère. Sans ressources, il voit sonner à sa porte la femme de son oncle qui lui propose de le prendre en charge afin qu’il puisse continuer ses études. Le lecteur se rendra vite compte que sa tante est en faite son oncle et que son mari est en faite sa femme. La famille Wakanae est un couple de travestis.
Le plus drôle dans l’histoire est qu’ils ont un enfant : Shion. Et si pour le moment, c’est une fille, il lui est arrivé de se travestir en garçon durant sa scolarité. Bien sûr, Masahiko est un peu perturbé par ces révélations, mais il finira rapidement par les apprécier en tant que famille.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010
Néanmoins, Masahiko désire hardiment percer le mystère de Shion : est-ce un garçon ou une fille ? Cette situation restera pour toujours ambigüe et sera le leitmotiv de l’histoire. En effet, la série, même si elle se clôture sur un événement heureux, ne répond pas à cette question centrale. De quel sexe est Shion
 ? C’est une fin ouverte, mais qui laisse le lecteur dans l’expectative. Tsukasa Hojo a toujours eu ce problème avec ses séries longues, il ne sait pas comme les finir et préfère laisser l’histoire en suspend comme s’il espérait un jour les continuer toutes. Dans la préface du dernier volume chez Tonkam il raconte même avoir reçu de nombreuses lettres de lecteurs déçus l’encourageant à continuer la série. Or, il répond clairement que " l’histoire serait toujours incomplète, car il n’y a jamais de point final à l’histoire d’une famille ". Une manière détournée pour éluder les questions laissées en suspend. Et il conclut : " ce qu’ils deviendront après le dernier chapitre, je vous laisse à vous, chers lecteurs, le soin de l’imaginer ! ".
Comme on dit " Tout ça pour ça ! ". On en attendait plus, on aurait en effet aimé en savoir encore plus sur les aventures de Masahiko et Shion. On aurait voulu les suivre jusqu’à un point clef de leur vie et non s’arrêter abruptement au meilleur moment. De toutes les séries longues qu’a réalisées Tsukasa Hojo, " Family Compo " est la plus courte (1).
Voyons un peu maintenant clairement ce qui différencie les deux éditions françaises de " Family Compo ".
En premier, j’en ai déjà parlé, la taille des livres. L’édition Panin, qui est plus grande, comporte également plus de pages avec un chapitre supplémentaire qui correspond au début du second volume chez Tonkam. Ce qui est dommage, c’est que ce chapitre était à l’origine en couleur chez Tonkam et se retrouve en noir et blanc chez Panini. De plus, on remarque que le papier utilisé par Tonkam est de meilleure qualité : vraiment blanc et non jaune, et avec un touché plus agréable malgré une épaisseur identique. Mais le papier ne fait pas tout, car l’impression de Panini est bien plus fine et bouche moins les trames tout en respectant la finesse du trait de l’auteur.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Dés la première planche couleur, on peut facilement différencier les deux éditions. Celle de Panini à gauche et celle de Tonkam à droite. La première édition chez Tonkam utilisait des lettrages de couleur et traduisait toutes les onomatopées à la différence du lettrage noir et des caractères japonais présents chez Panini.
La version Panini ayant une édition plus grande, elle a gardé une taille de police sensiblement identique à la version Tonkam. De ce fait, l’écriture flotte plus dans les bulles et cela allège les pages.
On remarquera aussi que la traduction est plus rigoureuse chez Panini : plus formelle, elle semble plus proche de la version japonaise. Néanmoins, la version Tonkam, mise à côté, reste très agréable à lire et les textes coulent un peu mieux, car l’ensemble paraît plus vivant, moins coincé et plus spontané.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010
Cette seconde planche de la version Panini permet de voir la finesse d’impression et une plus grande richesse de couleur que la version de Tonkam ci-dessous. Néanmoins, du fait de l’utilisation d’un papier jaunâtre, cela change la tonalité des couleurs de l’image.

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999
Chez Tonkam, les couleurs sont plus fades et perdent de leur intensité du fait de l’impression moins soutenue.
Après les planches couleur, passons maintenant aux pages en noir et blanc.
Cet extrait est tiré de la première partie lorsque Masahiko découvre la vérité sur son oncle.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999
Grâce à ces deux scans, on remarque clairement l’impression bouchée sur la version Tonkam. Tout est plus sombre, les dégradés sont quasiment inexistants et les détails disparaissent sous la charge d’encre.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Dans cette scène ou Masahiko découvre les attribues masculins de sa tante, on remarque nettement sur la version Tonkam à droite, les pertes au niveau du travail de trame ainsi que les traits bouchés, notamment l’ombre sous le cou qui perd en détail ou les reflets dans les cheveux qui deviennent des pâtés blancs informes.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Même dans les pages couleurs lors de la publication en revue et imprimé en noir dans l’album on remarque une nette différence dans la densité de la trame et son rendu final. Ces deux scans reprennent la version Panini en haut et la version Tonkam en bas sans retouche et en taille réelle.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Cette scène correspond au moment ou Shion joue un tour à Masahiko en lui faisant croire qu’elle ve se dévoilée nue devant lui et lui révéler sa vraie nature. Avec cet exemple, on voit que ce n’est pas le fruit du hasard. La trame a disparu de moitié sur les habits de Shion et les ombres sont bouchées, notamment sous le nez, le cou, les cheveux et les plis de son bustier.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999
Dans la version de droite de Tonkam, le parti pris a été de traduire les onomatopées alors que Panini a plutôt cherché à conserver le dessin original de l’auteur en traduisant à côté en petit les divers bruits émaillant la série.
Et toujours cette perte de détail dans la trame, notamment dans le dégradé sur la maison en haut en gauche.
Comme quoi, même en noir et blanc une bande dessinée demande beaucoup de travail pour respecter le dessin d’un auteur et le rendre de la meilleure manière qui soit. C’est une alchimie complexe entre qualité de reproduction, couleur du papier et taux d’encrage. On comprend mieux maintenant ce qui a poussé Shueisha à vouloir uniformiser par le haut la publication des mangas de Tsukasa Hojo. Cet auteur ayant, en plus, un trait réaliste très fouillé et assez fin. Donc demandant une rigueur dans la reproduction qui manquait clairement a certains éditeurs. On pensera évidement à la première édition de " City Hunter " chez J’ai lu qui fut un massacre, comme tous les mangas qui sont sortis de leurs presses.

Comme je vous l’indiquais en début d’article, le dernier chapitre de l’édition Deluxe correspond au premier du second volume publié chez Tonkam. Cette édition de 1999 avait des pages couleur qui ne sont pas reprises dans celle de Panini en 2010. Néanmoins, la qualité de reproduction de Panni rend honneur au travail de Tsukasa Hojo. Du coup, vaut-il mieux avoir une première édition au trait bouché, mais comportant des pages d’introduction en couleur, ou une version noir et blanc de bonne qualité et de format plus grand ? À vous de voir en fonction de ce que vous trouverez, sachant qu’aujourd’hui il est quasiment impossible de se procurer l’édition de Tonkam.

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999
La page d’introduction du second album original qui, du coup, saute avec cette réédition.

© Tsukasa Hojo - Panini 2010 - Tonkam 1999

© Tsukasa Hojo - Panini 2010

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999

© Tsukasa Hojo - Panini 2010

© Tsukasa Hojo - Tonkam 1999
Remplie d’humour et extrêmement divertissante, la vie de la famille Wakanae est beaucoup plus terre-à-terre que celle de Ryo Saeba dans " City Hunter ". Mais comme elle comporte son lot d’imprévus, cette série est l’une des plus réalistes de Tsukasa Hojo. Une histoire sur la tolérance, le respect de soi ainsi que des autres, l’acceptation de son corps et de ses singularisés sans porter de jugement sur la vie d’autrui. " Family Compo " reste un classique du manga à découvrir ou redécouvrir avec cette très bonne réédition.
Gwenaël JACQUET
" F. Compo " T1 par Tsukasa Hojo Éditions Panini (9,95&euroWinking.
(1) " Cat’s Eye " 18 volumes - " City Hunter " 35 volumes - " Angel Heart " 33 volumes, la série étant toujours en cours de publication.

http://www.bdzoom.com/spip.php?article4603